Reinardus. Yearbook of the International Reynard Society 20 (2007–2008), 107–12
Reinardus. Yearbook of the International Reynard Society 20 (2007–2008), 107–127. doi 10.1075/rein.20.08rey issn 0925–4757 / e-issn 1569–9951 © John Benjamins Publishing Company Les fables insérées dans Reynaerts historie (L’histoire de Renard, Flandre, xve s.) et le Dit D’ysopet de Marie de France Joris Reynaert Trois des quatre fables insérées dans Reynaerts historie sont clairement tributaires de l’Esopet flamand (XIIIème siècle), une traduction assez fidèle d’une des multiples variantes du Romulus, la version latine la plus répandue de la collection des fables ésopiques au moyen âge. Par rapport à l’Esopet, Reynaerts historie a surtout amplifié, en ajoutant des détails qui concrétisent et rendent plus vifs les aspects matériels et psychologiques des situations contées, et les implications sociales des moralisations. Sur ces points l’Historie présente non seulement une analogie de vision et de style, mais souvent aussi une ressemblance marquée avec les Fables de Marie de France et la manière dont elle aussi a amplifié le Romulus. Nous étudions de plus près les élements qui relient les deux textes entre eux, et proposons une réponse à la question de savoir quelles ont pu être les causes des analogies et des recoupements constatés. Nous pensons pouvoir conclure qu’il s’agit, entre autres, d’une relation intertextuelle directe, c.-à-d. d’une réception du texte de Marie de France en pays flamand au XVème siècle. Pour Philippe Verelst1 Dans la seconde version des aventures de Renard en moyen-néerlandais, Rey naerts historie, le thème de l’emploi perfide du langage est mis en avant de manière encore plus prononcée que ce n’était déjà le cas dans Van den vos Reynaerde, dont Reynaerts historie reprend et continue l’intrigue, en y ajoutant une traduction de la branche VI du Roman de Renart. Cette seconde partie du texte, c’est-à-dire ce que le second auteur a ajouté à Van den vos Reynaerde, est presque uniquement com posée d’interventions verbales par lesquelles les courtisans du roi Nobel semblent constamment occupés à manipuler insidieusement leur entourage. Le personnage . C’est avec plaisir que je dédie cet article à mon excellent collègue gantois, qui par maintes occasions m’a aidé à trouver mes repères dans la littérature française du moyen âge et qui a, par ailleurs, eu l’amabilité de bien vouloir corriger la langue et le style de la première version de cette communication. Joris Reynaert central, manipulateur par excellence, n’échappe évidemment pas à cette caracté risation typique du remaniement. Ainsi, à l’occasion de son plaidoyer devant la cour, le renard se révèle-t-il comme un conteur et commentateur très talentueux de quelques fables de tradition ésopique. Ces fables font partie de la description par le renard d’un miroir que celui-ci aurait envoyé au roi et au moyen duquel – bien que le présent ne soit jamais arrivé à destination – il espère recouvrer la bienveillance de la cour. Sur les bords du miroir, quatre fables auraient été représentées, dont les ‘leçons’ font parfaitement l’affaire du renard dans sa situation d’ennemi public accusé par deux de ses antagonistes hériditaires, le loup Isengrijm et le chat Tybeert. Aussi ne manque-t-il pas de raconter ces fables avec un luxe de détails et de les accompagner de l’interprétation qui lui convient dans les circonstances données. Ainsi, en se servant du genre de la fable, traditionnellement associé aux notions de sagesse et de rectitude, le renard réussit-t-il non seulement à se présenter dans le rôle discursif du ‘juste’, mais aussi à se créer l’occasion de critiquer tous ceux qui l’accusent – à tort, bien entendu – de divers méfaits. Les deux premières fables (‘le cerf et le cheval’ et ‘l’âne et le chien’) nous apprennent que certains – entendez: les ennemis du renard – sont mûs par la jalousie dans tout ce qu’ils entreprennent. Les deux dernières (‘le chat et le renard’ et ‘le loup et la grue’) s’en prennent à la mau vaise foi en général, mais spécialement, bien sûr, à celle du chat et du loup – com prenez: Tybeert et Isengrijm.2 Paul Wackers, de l’université d’Utrecht, a analysé avec grande précision le contenu et la teneur de ces fables dans le contexte où elles furent insérées. Il conclut que, contrairement à l’opinion de certains commenta teurs, l’auteur de l’Historie a choisi et remanié ces fables d’une façon telle qu’elles s’intègrent parfaitement dans la trame de son récit et n’interrompent en rien son discours pessimiste sur l’égoisme et la cupidité du genre humain. Trois des quatre fables insérées (‘cerf et cheval’, ‘âne et chien’, ‘loup et grue’) se rencontrent déjà dans l’Esopet, une traduction flamande (XIIIe siècle) d’une rédaction du Romulus, la version la plus répandue de la collection des fables ésopiques au moyen âge. Plusieurs détails textuels indiquent clairement que l’auteur de l’Historie s’est inspiré de l’Esopet. Dans son analyse de ces fables insérées Paul Wackers a donc, logiquement, pris en compte les textes correspondants de l’Esopet. La comparaison révèle que l’auteur de l’Historie a traité ses exemples en fonction de son propre projet. Les remaniements mettent l’accent de façon nette ment plus marquée sur la méchanceté des personnages et sur le caractère cupide et matérialiste de leurs motivations. Ainsi ils contribuent de manière conséquente . Reynaerts historie, éd. P. Wackers, Reynaert in tweevoud, II (Amsterdam, 2002), pp. 243–252 (v. 5643–5881). Les fables insérées dans Reynaerts historie à énoncer la vision pessimiste du monde et de l’humanité, qui est caractéristique de l’oeuvre dans sa totalité.3 Qu’il me soit permis de poser ici un regard nouveau sur les fables insérées dans l’Historie en incluant dans le tableau comparatif les fables de Marie de France. En effet, trois des quatre fables (‘âne et chien’, ‘chat et renard’, ‘loup et grue’: donc pas exactement les mêmes qui apparaissent dans l’Esopet) se retrouvent également dans le Dit d’Ysopet. En lisant ce dernier texte il m’était apparu que l’Historie et les textes de Marie se recoupent, eux aussi, à certains endroits. En premier lieu, j’ai voulu examiner de façon plus précise quels étaient les élements qui relient les deux textes entre eux et quels étaient, dans l’intention de l’auteur ou dans le contexte historique, les aspects communs qui pouraient expliquer ces recoupements. Mais en y regardant de plus près, la question s’imposait de savoir s’il ne pouvait pas s’agir d’une relation intertextuelle directe, c’est-à-dire d’une ‘réception’ flamande des fables de Marie au XVe siècle. Nous examinerons d’abord, pour chacune des fables concernées, la manière dont Reynaerts historie a remanié l’Esopet flamand (qui est, rappelons le, une tra duction dérivée du Romulus), et nous comparerons ces données avec les aspects par lesquels Marie de France de son côté s’éloigne de ses modèles latins (qui eux aussi appartiennent au fond des Romulus). Ensuite se pose la question de savoir quelle interprétation donner aux déviations similaires par lesquelles l’Historie et les fables de Marie se dintinguent de la tradition à laquelle ils se rattachent en fin de compte. 1. Reynaerts historie, l’Esopet flamand et le Dit d’Ysopet: aspects de la narration Trois des quatre fables sur le miroir dans l’Historie sont donc clairement appa rentées à l’Esopet flamand. Mais d’autre part elles s’en distinguent nettement par certains aspects. Ainsi, ce qui frappe immédiatement, c’est que les versions de l’Historie sont toutes bien plus longues que celles de l’Esopet.4 Elles amplifient . P. Wackers, ‘The use of fables in ‘Reinaerts historie’’ in Third International Beast Epic, Fable and Fabliau Colloquium. Münster 1979. Proceedings, éd. J. Goossens et T. Sodmann (Köln– Wien, 1981), pp. 461–483 (p. 465–478) et P. Wackers, De waarheid als leugen. Een interpretatie van Reynaerts historie (Utrecht, 1986), pp. 107–108. . La différence est très marquée pour les fables ‘l’âne et le chien’ et ‘le loup et la grue’: respectivement 77 et 50 vers dans Reynaerts historie, pour 34 et 20 dans l’Esopet. ‘Le cheval et le cerf’ compte 40 vers dans R.H., 34 dans l’Esopet. Joris Reynaert leurs modèles tant au niveau de la narration qu’au niveau de la moralisation. Il s’agit, commes nous le verrons ci-dessous, de quelques types d’addition, que nous retrouverons dans la manière d’adapter de Marie de France. 1.1 ‘Le cheval et le cerf’ Des trois fables que l’Historie a empruntées à l’Esopet, cette première a reçu l’adaptation la plus fidèle. En comparaison avec l’expansion substantielle donnée aux deux autres fables, le nombre de vers de celle-ci n’augmente pas de manière spectaculaire:5 l’adaptation suit donc le modèle de très près. Les quelques modi fications qui apparaissent sont pourtant déjà caractéristiques de la méthode du second auteur. Il s’agit entre autre de précisions dans les domaines de la matéri alité et de l’espace, qui contribuent à donner une image plus réaliste des situations représentées: le ‘cheval’ et le ‘cerf’ qui, dans l’Esopet, sont simplement nommés, sans adjonctions qui les rendraient plus ‘visibles’,6 apparaissent avec nettement plus de présence et de contexte physique dans l’Historie. Ici, il s’agit d’un cheval robuste et gras (enen peerd, sterck ende vet) et d’un cerf qui courait dans la forêt. Dans l’Esopet le cheval obtient l’aide d’un homme (enen man), dans l’Historie il s’adresse à un berger (enen herde). En un uploads/Litterature/ les-fables-inserees-dans-reynaerts-historie.pdf
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- Publié le Jan 15, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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