Lidil Revue de linguistique et de didactique des langues 33 | 2006 La réception

Lidil Revue de linguistique et de didactique des langues 33 | 2006 La réception des textes littéraires Leçon de lecture, construction de sens, construction de soi Pierre Ceysson Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/lidil/68 DOI : 10.4000/lidil.68 ISSN : 1960-6052 Éditeur UGA Éditions/Université Grenoble Alpes Édition imprimée Date de publication : 1 juin 2006 Pagination : 135-159 ISBN : 2-914176-14-7 ISSN : 1146-6480 Référence électronique Pierre Ceysson, « Leçon de lecture, construction de sens, construction de soi », Lidil [En ligne], 33 | 2006, mis en ligne le 05 décembre 2007, consulté le 19 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/lidil/68 ; DOI : 10.4000/lidil.68 Ce document a été généré automatiquement le 19 avril 2019. © Lidil Leçon de lecture, construction de sens, construction de soi Pierre Ceysson 1 Les travaux qui visent à mieux penser le rapport du texte et de l’apprenti lecteur sont de plus en plus nombreux depuis le début des années 90 (voir la présentation de ce numéro), cependant on voit peu d’enquêtes sur les traces effectives ou sur la mémoire des lectures scolaires, peu de recherches pour dire ou décrire ce que la littérature enseignée fait réellement aux élèves et à quels élèves. Les protocoles développés par Poslaniec (2002) ou les vastes enquêtes de Baudelot et al. (1999) présentent des approches intéressantes de la lecture des élèves mais dans le premier cas l’étude de la réception se fait à partir de textes et de situations imposées par l’expérimentateur et hors du cadre ordinaire de la classe ; à l’inverse, l’enquête sociologique, outre qu’elle ne s’attache pas spécifiquement à la littérature enseignée, donne une analyse quantitative des souvenirs de lecture en terme de titres et de pourcentage mais ne dit rien de leur réception. Les analyses de corpus aujourd’hui assez largement répandues dans les publications de recherche ou de vulgarisation donnent des informations utiles sur la réception en classe à un moment donné et sur un type d’écrit donné. Cependant, ces travaux soucieux de montrer les réussites ou les difficultés d’une approche pédagogique spécifique 1 s’intéressent assez peu à l’impact ou à la trace plus ou moins durable de la lecture scolaire pour tous les élèves. Or, le « sujet-lecteur » (de littérature) ne peut plus être envisagé à partir du témoignage des seuls lecteurs de littérature ou à partir de visées spéculatives, dispensées par principe de l’analyse nuancée de données empiriques. D’autant que, depuis 2002, de nouveaux programmes, forts sans doute de la conviction que l’enseignement de la culture et de la lecture littéraire aura des effets bénéfiques sur la formation des lecteurs et des citoyens, prescrivent un usage généreux de la littérature dès l’école primaire. Il est donc grand temps, « de décrire (au sens large) les faits sur lesquels on se fonde » quitte à négliger pour un temps « la (soi-disant) substantifique moelle conceptuelle du réel. » (Lahire, 2005 : 38). 2 L’équipe RÉEL, installée à l’IUFM de Lyon depuis septembre 2003, s’intéresse à la réception des textes rencontrés dans le cadre scolaire. Notre enquête porte sur des élèves Leçon de lecture, construction de sens, construction de soi Lidil, 33 | 2006 1 entrés en 6e en 2004 et elle s’est effectuée en deux temps : un questionnaire distribué aux élèves à la rentrée (dans 14 classes choisies dans des contextes socio-économiques variés), puis une série d’entretiens à divers moments de l’année scolaire (14 entretiens semi- directifs, avec des groupes de 2 ou 3 élèves). L’objectif était simple : quelles émotions ou quels savoirs les élèves conservent-ils de leurs lectures scolaires, à plusieurs mois de distance ? 3 On voudrait montrer dans cet article que les ambitions affichées, lisibles dans les programmes comme dans les choix littéraires des enseignants, ne se trouvent pas nécessairement confirmées par les discours tenus et les impressions retenues. La première partie interroge les décalages entre les programmes et les discours des élèves comme entre leurs lectures libres et leurs lectures scolaires à partir du dépouillement de l’enquête écrite, pour une classe seulement ; la deuxième partie, s’appuyant sur des enregistrements effectués avec des élèves de quatre classes différentes, s’efforce de présenter quelques invariants de la narration et de l’imaginaire des élèves qui contrastent, ici encore, avec la variété des propositions de lecture scolaire. L’enquête écrite de septembre 2004 : mémoire, statistiques et valeurs 4 A la rentrée de septembre 2004, il s’agissait de saisir à partir des souvenirs de lectures le profil d’une classe de sixième d’un collège de l’ouest lyonnais (collège récent, tous milieux). 28 élèves ont répondu à l’enquête écrite, 4 groupes de 3 élèves sélectionnés ont participé chacun à un entretien d’une trentaine de minutes. Effectuée dans un temps restreint (45 minutes) et sans préparation ni conditionnement préalable, l’enquête écrite ne s’appuyait sur aucune réactivation individuelle ou collective des souvenirs scolaires ou privés : on demandait seulement à chaque élève de citer, puis de raconter des textes qu’il a aimés ou au contraire, qu’il n’a pas aimés. La formulation laissait à l’appréciation et aux capacités de chaque élève le choix du nombre de titres comme de la longueur de la narration, et la justification de l’intérêt ou du désintérêt pour le livre lu en classe ou pendant les vacances2. 5 Cela explique sans doute le caractère peu fourni de la liste des titres retenus : 28 élèves citent 65 textes lus à l’école. La première question (« Cite au moins deux au plus cinq lectures que tu as aimé faire, à l’école, l’an dernier ») amène l’évocation de 47 titres. Quant à l’autre question (« Cite au moins deux au plus cinq lectures que tu n’as pas aimé faire, à l’école, l’an dernier »), elle permet de relever 18 titres différents. Sept élèves n’y répondent pas, et six précisent qu’ils n’ont aucun souvenir de ce type. La tendance est donc à l’effacement des titres et des contenus qui ont déplu. 6 La question sur la justification des choix (« Dis pourquoi… ») permet de relativiser la dimension quantitative et statistique des résultats obtenus : Ludovic cite Cheval de guerre mais ne se souvient plus du contenu, il ajoute qu’il n’y a aucun livre qu’il n’a pas aimé (de fait, il ne reconnait pas par écrit son manque de pratique de la lecture de fictions) ; Jérémy cite trois titres qu’il a « très très3 » ou « trop bien aimés » mais il ne « s’en souvient pas », pas plus que du livre « trop nul » Alice ou la rivière souterraine. Au contraire, plusieurs élèves n’arrivent pas au bout du questionnaire parce qu’ils rendent compte avec précision de l’histoire travaillée en classe, en utilisant des compétences acquises au CM2 : résumé, justification, mention de l’auteur, expression d’un point de vue. Le souvenir de lecture scolaire est plus précis, plus construit que celui de la lecture faite pendant les dernières vacances. Thaïs résume en une phrase Reine du fleuve, lu au cours de l’été : « Une petite fille qui est adoptée par des personnes égoïstes qui l’adoptent pour être riches, et Leçon de lecture, construction de sens, construction de soi Lidil, 33 | 2006 2 [à] qui il arrive des aventures merveilleuses », comme le livre qu’elle n’a pas aimé, alors qu’elle consacre plus de cinq lignes aux livres étudiés en classe qu’elle a appréciés. Lecture scolaire et lecture privée 7 Si l’opposition entre lecture scolaire et lecture privée est désormais un lieu commun (par exemple Rouxel, 1999), elle est ici manifeste quand on confronte les souvenirs de lectures des vacances et ceux des lectures à l’école. Lectures d’été 8 D’une part, 6 élèves ne répondent pas et 3 disent n’avoir rien lu en été ; un ajoute même : « lire pour moi c’est pas lire en vacances », alors qu’il déclare avoir lu un magazine de football. D’autre part, les 26 souvenirs de lecture estivale concernent des lectures de magazine de loisir, correspondant à des gouts avérés, voire à une passion, de garçons (voiture, moto, avion, football), plutôt que d’actualité (un cas) ; les lectures de bandes dessinées (Titeuf, Cédric, Malika, Picsou) sont mentionnées par une fille et un garçon, qui n’avait « rien d’autre à se mettre sous les yeux dans son séjour au bord de la mer ». Consacrées à des histoires de chevaux, de copines, d’amitié dans le monde ordinaire ou du show-biz, les lectures des filles se révèlent plus romanesques, se situant dans des collections de jeunesse, parfois ciblant les filles. Dans deux cas seulement, leur choix prolonge la légitimation par l’école de certains ouvrages (Tom Sawyer, ou Jérémy Cheval de P.-M. Beaude). Deux garçons se réfèrent, l’un, à un roman policier du cycle 3, l’autre, à son gout unique pour le « marrant ». Souvenirs de CM2 : préférences, rejets, inventaire 9 La partition garçon/fille n’est pas la même quand il s’agit des lectures scolaires. Notons tout d’abord un trait commun : le rejet du roman historique, que ce soit Claudine de Lyon, Les Disparus de la malle-poste (« pas bien compris ») ou Yvon enfant de uploads/Litterature/ lidil-68.pdf

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