Lidil Revue de linguistique et de didactique des langues 33 | 2006 La réception
Lidil Revue de linguistique et de didactique des langues 33 | 2006 La réception des textes littéraires La poésie contemporaine L’institution scolaire et les « règles de l’art » Pierre Ceysson Édition électronique URL : http://lidil.revues.org/78 ISSN : 1960-6052 Éditeur Ellug / Éditions littéraires et linguistiques de l’université de Grenoble Édition imprimée Date de publication : 1 juin 2006 Pagination : 37-54 ISBN : 2-914176-14-7 ISSN : 1146-6480 Référence électronique Pierre Ceysson, « La poésie contemporaine », Lidil [En ligne], 33 | 2006, mis en ligne le 01 décembre 2007, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://lidil.revues.org/78 Ce document a été généré automatiquement le 30 septembre 2016. © Lidil La poésie contemporaine L’institution scolaire et les « règles de l’art » Pierre Ceysson 1 Nouveau, moderne, avant-garde, contemporain, extrême contemporain, autant de termes que l’on peut nominaliser ou joindre à roman, poésie, poétique. Depuis longtemps, le neuf se constitue toujours avec et contre de l’ancien 1. Il faut s’en souvenir à un moment où l’institution culturelle et l’institution scolaire envisagent et mettent en place des projets et des dispositifs novateurs, et il m’a paru utile d’interroger la situation actuelle de la poésie dans les différents lieux de sa production, de sa promotion et de sa consommation. Il doit bien y avoir quelques règles de l’art (Bourdieu, 1992) à l’œuvre dans l’institution scolaire, dans le micro-champ poétique et aux intersections de l’une et de l’autre. Examinons « du haut jusques en bas » : du recueil au manuel scolaire, des savants aux néophytes, des éminents aux médiateurs… 2 S’il prend parti dans le cadrage de la nouvelle poésie française et établit un palmarès inévitablement discutable et discuté, Le Magazine littéraire propose aussi une problématisation de ce qu’est le contemporain et de ce qu’est le moderne. La poésie depuis 1970 est globalement orientée par une double postulation 2, assurément relayée par des enjeux et des prises de position opposés : 3 – d’une part, une poésie caractérisée par un travail sur le signifiant comprend ce qui relève du textualisme et de la littéralité (de Tel Quel à Jean-Marie Gleize en passant par Francis Ponge) ; 4 – d’autre part, une poésie de l’« habiter en poète », caractérisée soit par un souci ontologique soit par l’inscription dans « la circonstance », réunit les poètes de la présence au monde (Yves Bonnefoy) et le lyrisme critique le plus récent (Maulpoix, Goffette). 5 Terme fourre-tout qui, pour distinguer, légitimer ou classifier, a besoin de se nuancer (la catégorie de l’extrême contemporain en est l’exemple), la notion de contemporain est une « synthèse sans concept » (Meschonnic) susceptible de regrouper des pratiques et des esthétiques hétérogènes (Maurice Carême est bien contemporain d’Aragon, d’Eluard, de Ponge). Pour caractériser ce qui se définit comme écriture poétique aujourd’hui, la notion La poésie contemporaine Lidil, 33 | 2007 1 de modernité, qui relève « d’une généalogie, d’une historicité, d’une réflexivité 3 », est théoriquement plus satisfaisante, mais nécessairement polémique dans le discours des universitaires-poètes. Ainsi, l’actuelle modernité peut aller jusqu’à se définir contre une poétique du sujet et se revendique comme « poétique de l’évènement », c’est-à-dire « rupture de la figuration et de la corporalisation », que manifestent par exemple les cut- up d’Olivier Cadiot ou la « langue saccadée » de Matthieu Messagier ; plus prudent quand il s’adresse aux bibliothécaires, Jean-Marie Gleize (2001) estime que la modernité est « traversée du monde par l’écriture d’un poète » – en cela, elle est historique et transhistorique (Ponge se rapproche de Rimbaud ou de Malherbe, et réciproquement) –, mais il ajoute que les néo-lyriques envisagent la modernité « sous un angle moins réformiste ». 6 Deux conséquences de ce positionnement. D’abord, le palmarès du Magazine littéraire enregistre les « nouvelles écritures [qui] s’appellent encore poésies » et retient quelques figures majeures, de poètes nés dans les années vingt, comme « devanci[ères] » de l’actuelle poésie : Bonnefoy, Du Bouchet, Dupin, Jaccottet. Sont exclus tous les poètes publiés dans des collections pour l’enfance et la jeunesse : si Cheyne éditeur est mentionné et si La Clarisse de Philippe Dumortier figure dans les publications récentes de la notice de l’éditeur, rien n’est dit sur la collection Poèmes pour grandir, pourtant pourvoyeuse essentielle des recettes de la maison ; sont exclus des éditeurs importants, par exemple Le Dé bleu ou Actes Sud. Seconde conséquence : on se questionne sur la rythmique, le vers, la métaphore. Ainsi, quand il analyse le choix des proses en poésie, Gleize distingue d’une part une spécificité formelle, marquée dans le poème en prose, le chant du vers libre ou du verset, qu’il soit « de haut voltage (Pierre Oster) ou de basse tension (James Sacré) », d’autre part une prose « hors de la poésie », dont Ponge serait l’origine exemplaire (proèmes, définitions-descriptions…). 7 Comment les différentes strates de l’institution scolaire, non universitaire, se repèrent- elles dans le contemporain et la modernité ? 8 Considérons le palmarès et les orientations des textes officiels 4. Dans les listes d’œuvres de littérature pour la jeunesse en principe destinées à la littérature cursive, les programmes du premier cycle pour les classes de sixième et du cycle central proposent des poètes publiés dans les collections pour la jeunesse (cinq poètes de la collection Poèmes pour grandir chez Cheyne au cycle central seulement ; cinq poètes de la collection Fleurs d’encre dirigée par Jacques Charpentreau – Pierre Coran, Maurice Carême, Georges Jean), des anthologies thématiques dont les Poèmes pour mes amis les enfants de Soupault, Les Animaux de Roubaud, Hugo, Prévert, Queneau, Claude Roy, les Innocentines d’Obaldia… Pour le cycle central, est effectuée la distinction entre les poètes contemporains modernes et ceux d’inspiration lyrique (on associe Philippe Jaccottet, Bernard Noël, Jean Tardieu, Frank Venaille avec Marc Alyn, René-Guy Cadou, Andrée Chédid, Jean-Hugues Malineau, Gianni Rodari), les poètes classiques (dans l’ordre, Hugo, La Fontaine, Marot, Rimbaud, Rutebeuf, Verlaine et Villon) et les poètes mis en chanson… En classe de troisième, les grands classiques (de Rutebeuf à Apollinaire) lisibles en anthologie sont accompagnés par un panachage d’auteurs contemporains réunissant des recueils de poètes de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe (Laforgue, Cros, Fargue), du XXe siècle (Aragon, Eluard, Prévert, Michaux, Prévert, Ponge, Queneau, Tardieu…) ; on s’étonne de trouver associés Le Visage de l’ange de Jacques Charpentreau, l’Anthologie personnelle de Frédéric-Jacques Temple, plus encore Tout le monde se ressemble d’Emmanuel Hocquard. Sans doute faut-il voir là des compromis établis avec des médiateurs de collections, de La poésie contemporaine Lidil, 33 | 2007 2 revues ou de commissions ministérielles, après l’enquête « lancée auprès des organismes spécialisés et des revues de littérature pour la jeunesse ». Le terme contemporain est bien un fourre-tout, mais la poésie pour la jeunesse est alors évacuée. 9 S’il est conseillé d’approcher la poésie « pour le langage et les jeux » avec la préoccupation de regarder, lire, dire, écouter (classe de sixième) ; de « sensibiliser les élèves aux liaisons entre l’expression sonore et le contenu figuratif de la poésie », d’« identifier les figures-reines du discours et les symboles » et de proposer des exercices créatifs (cycle central), en classe de troisième, c’est dans le cadre d’une progression de séquence que s’intègre la poésie : on suggère d’intégrer un ensemble de textes de poètes de la Résistance (Aragon, Desnos, Eluard) dans une étude des formes d’argumentation, ou d’étudier l’engagement (forme de l’expression de soi) à partir de textes des mêmes auteurs, avec comme axe d’étude la poésie en lutte. Primauté du thématisme, quasi exclusivité des formes versifiées et rythmées, étude des figures du discours, polarisation en fonction des âges vers le ludique ou la poésie argumentative, autant de constantes qu’amplifient à peu de variantes près les douze manuels dépouillés 5. On note l’exception dans l’étude des Enfantasques de Claude Roy (Besson, 2000 : 212-213) : en cinq séances, servent de supports des questionnements sur les relations du texte et des images, la titrologie, le détournement des expressions figurées prises au pied de la lettre, les jeux homophoniques, la métrique et la structure strophique, l’énonciation, le procédé du collage ; on propose une réflexion terminale sur le contenu du livre ; l’objectif majeur est la réalisation d’un montage poétique au cours duquel les enfants en duo et par groupes diront les poèmes appris par cœur. La technique du collage n’est ni abordée par des jeux créatifs (mots-valises ou dessins), ni reliée à la fonction subversive du procédé (le refus du sérieux, la réfection de la fable traditionnelle, le détournement de la langue par une pratique du non-sens). 10 Le palmarès des auteurs contemporains s’établit comme suit dans l’ordre décroissant : Prévert, Apollinaire, Eluard, Roy, Guillevic ; les auteurs pour la jeunesse ne passent pas le niveau de la classe de cinquième ; parmi les contemporains considérés dans la modernité, seul Ponge apparait. 11 Le cas de Ponge permet de faire apparaitre d’autres médiations dans la diffusion de la modernité, qu’il s’agisse de celle du lyrisme de l’habitation poétique du monde ou de celle uploads/Litterature/ lidil-78 1 .pdf
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- Publié le Dec 30, 2021
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