UNIVERSITAT AUTÒNOMA DE BARCELONA ! de ! 1 14 MÀSTER FRANCÈS LLENGUA ESTRANGERA

UNIVERSITAT AUTÒNOMA DE BARCELONA ! de ! 1 14 MÀSTER FRANCÈS LLENGUA ESTRANGERA I DIVERSITAT LINGÜÍSTICA Curs 2020-21. 43816. Literatura-món i francofonia Prof. Mar Garcia ! 2. LITTÉRATURE ET LECTURE (08/10) ! Antoine Compagnon. La littérature, pour quoi faire ? Leçon inaugurale du Collège de Fran- ce , 30/11/2006. [extraits] 1 ! […] Les noces de la littérature et de la modernité, disais-je, n’ont jamais cessé d’être batailleuses. Ce constat me replace devant la première et la vraie question que je voudrais débattre avec vous aujourd’hui : pourquoi parler – parler encore – de la « Littérature française moderne et contem- poraine » en notre début du xxie siècle ? Quelles valeurs la littérature peut-elle créer et transmet- tre dans le monde actuel ? Quelle place doit être la sienne dans l’espace public ? Est-elle profi- table dans la vie ? Pourquoi défendre sa présence à l’école ? Une réflexion franche sur les usa- ges et le pouvoir de la littérature me semble urgente à mener : « Si j’ai confiance en l’avenir de la littérature, avançait Italo Calvino dans ses Leçons américaines. Six propositions pour le prochain millénaire, rédigées peu avant sa mort en 1985, c’est parce qu’il y a des choses, je le sais, que seule la littérature peut offrir par ses moyens propres . » Puis-je reprendre à mon compte ce 2 credo en inaugurant mon cours ? Y a-t-il vraiment encore des choses que seule la littérature puisse nous procurer ? La littérature est-elle indispensable, ou bien est-elle remplaçable ? ! Le paysage s’est modifié en profondeur depuis vingt ans. Calvino parlait encore comme Proust dans Le Temps retrouvé : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par con- séquent réellement vécue, c’est la littérature . » La réalisation de soi, jugeait Proust, a lieu non 3 pas dans la vie mondaine, mais par la littérature, non seulement pour l’écrivain qui s’y voue en entier, mais aussi pour le lecteur qu’elle émeut le temps qu’il s’y adonne : « Par l’art seulement, poursuivait Proust, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. » Aux yeux de Calvino, la suprématie de la littérature ne fai- sait pas question. C’est pourquoi, vu d’aujourd’hui, il apparaît que la distance fût moins grande entre lui et Proust, ou entre Roland Barthes et Gide, ou entre Michel Foucault et le surréalisme, qu’entre nous et Barthes, Foucault ou Calvino, entre nous et les dernières avant-gardes qui maintenaient très haut l’exigence de la littérature difficile et croyaient en elle comme en un ab- solu. ! Car le lieu de la littérature s’est amenuisé dans notre société depuis une génération : à l’école, où les textes documentaires mordent sur elle, ou même l’ont dévorée ; dans la presse, où les pages littéraires s’étiolent et qui traverse elle-même une crise peut-être funeste ; durant les loi- sirs, où l’accélération numérique morcelle le temps disponible pour les livres. Si bien que la transition n’est plus assurée entre la lecture enfantine – laquelle ne se porte pas mal, avec une littérature pour la jeunesse plus attrayante qu’auparavant – et la lecture adolescente, jugée en- Texte intégral disponible en ligne: https://books.openedition.org/cdf/156 1 Italo Calvino, Lezioni americane. Sei proposte per il prossimo millennio (1988) ; trad. Y. Hersant, in : Défis aux labyrinthes, Seuil, 2003, 2 vol., t. II, p. 11. 2 Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Gallimard, coll. « Pléiade », 1987-1989, 4 vol., t. IV, p. 474. 3 UNIVERSITAT AUTÒNOMA DE BARCELONA ! de ! 2 14 MÀSTER FRANCÈS LLENGUA ESTRANGERA I DIVERSITAT LINGÜÍSTICA Curs 2020-21. 43816. Literatura-món i francofonia Prof. Mar Garcia nuyeuse parce qu’elle requiert de longs moments de solitude immobile. Quand on les interroge sur le livre qu’ils aiment le moins, les lycéens répondent Madame Bovary, le seul qu’on les ait obligés à lire. ! Du point de vue savant, la philologie faisait l’hypothèse, depuis le début du xixe siècle, de l’unité constitutive d’une langue, d’une littérature et d’une culture – ou plutôt d’une civilisation, comme on disait alors –, ensemble organique identifié à l’esprit d’une nation, et ensemble dont la littéra- ture, entre les racines linguistiques et les frondaisons culturelles, fournissait le noble tronc. D’où l’éminence prolongée des études littéraires, voie royale vers la compréhension d’une culture dans sa totalité. Or le modèle philologique a été ébranlé à la fin du xxe siècle. D’un côté, parce que d’autres représentations culturelles comme les images fixes et mobiles se sont imposées auprès de la littérature, et qu’elles n’ont plus été jugées moins recevables ; de l’autre, parce que l’association de la culture et de la nation n’a plus été perçue en termes aussi étroits ni détermi- nants. ! La littérature elle-même – la littérature qu’on dit « vivante » – semble douter parfois de son bien- fondé face aux discours rivaux et aux techniques nouvelles, non seulement – vieille querelle – les sciences exactes et sociales, mais aussi l’audiovisuel et le numérique. Depuis la modernité, la littérature est entrée dans « l’ère du soupçon ». Mais cette époque, sans doute par contrecoup, fut longtemps celle d’une prodigieuse fécondité et d’un extraordinaire culte de la littérature. Au- jourd’hui, même si chaque automne voit la parution de centaines de premiers romans, l’on peut avoir le sentiment d’une indifférence croissante à la littérature, ou même – réaction plus intéres- sante, car plus passionnée – d’une haine de la littérature considérée comme une intimidation et un facteur de « fracture sociale ». La littérature n’est-elle pas la langue de l’allusion ? Pour l’ente- ndre, il faut « en être », comme on disait chez Mme Verdurin. L’allusion, c’est donc l’exclusion. ! La lecture doit désormais être justifiée, non seulement la lecture courante, celle du liseur, de l’honnête homme, mais aussi la lecture savante, celle du lettré, de l’homme ou de la femme de métier. L’Université connaît un moment d’hésitation sur les vertus de l’éducation générale, accu- sée de conduire au chômage et concurrencée par des formations professionnelles censées mieux préparer à l’emploi, si bien que l’initiation à la langue littéraire et à la culture humaniste, moins rentable à court terme, semble vulnérable dans l’école et la société de demain. ! L’amoindrissement de la culture littéraire ne trace donc pas pour nous un avenir impossible. C’est pourquoi, auprès de la question traditionnelle depuis Lamartine, Charles Du Bos et Sartre : « Qu’est-ce que la littérature ? », question théorique ou historique, se pose aujourd’hui plus sé- rieusement la question critique et politique : « Que peut la littérature ? » Autrement dit : « La lit- térature, pour quoi faire ? » […] Quelle est la pertinence – l’anglais a de vieux mots français plus parlants que les nôtres : rele- vance ou significance – de la littérature dans la vie ? Quelle est sa force non seulement de plaisir mais aussi de connaissance, non seulement d’évasion mais aussi d’action ? Ces sommations de- viennent plus impérieuses après le temps des avant-gardes, quand la foi dans le progrès fait re- lâche. Que l’on fût pour ou contre, cette foi a déterminé le mouvement de la modernité : la litté- rature était emportée par le projet d’aller toujours plus loin, suivant un élan qui prit avec les avant-gardes la forme du « toujours moins » : purification du roman et de la poésie, concentra- UNIVERSITAT AUTÒNOMA DE BARCELONA ! de ! 3 14 MÀSTER FRANCÈS LLENGUA ESTRANGERA I DIVERSITAT LINGÜÍSTICA Curs 2020-21. 43816. Literatura-món i francofonia Prof. Mar Garcia tion de chaque genre sur lui-même, réduction de chaque médium à son essence. Les défis te- chniques occupaient le premier plan : restriction du personnage au point de vue ou au mono- logue intérieur, puis effacement du personnage. Le Nouveau Roman se dressait contre le roman d’analyse, la poésie contre le récit, le Texte contre l’auteur… On ne regardait pas en arrière ni sur le côté, le bas-côté de l’autre littérature, la « littérature de boulevard », celle qui se lit. Toute men- tion du pouvoir de la littérature était jugée obscène, car il était entendu que la littérature ne ser- vait à rien et que seule comptait sa maîtrise d’elle-même. Mais dans notre époque de latence où le progressisme comme confiance dans le futur n’est plus à l’ordre du jour, l’évolutionnisme sur lequel la littérature s’est reposée durant un bon siècle semble révolu. Dans son derniers cours au Collège de France en 1980, Roland Barthes, à la recherche d’une tierce forme littéraire entre l’essai et le roman, espérait l’avènement d’un « Optimisme sans Progressisme ». Si son histoire, 4 son progrès et son mouvement autonome ne légitiment plus la littérature, comment fonder son autorité ? ! « La vérité est que les chefs-d’œuvre du roman contemporain en disent beaucoup plus long sur l’homme et sur la nature, que de graves uploads/Litterature/ litt-et-lecture-compagnon.pdf

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