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1 LE LIVRE D'ART POUR LA JEUNESSE : QUELLES FORMES ET QUELLES SPÉCIFICITÉS ? par Carine Dellenbach Carine Dellenbach, enseignante en école maternelle, titulaire d'un master 2 « Littérature pour la jeunesse », mène actuellement des recherches sur la didactique de la littérature de jeunesse appliquée à l'enseignement artistique et culturel. Cette contribution a reçu le Prix critique 2013 de l'Institut international Charles Perrault. Elle est ici présentée dans une version remaniée par son auteure pour La Revue des livres pour enfants (n° 274, décembre 2013, dossier « Littératures de l’imaginaire ») La question de la rencontre entre le livre pour la jeunesse et l’art est riche et complexe. Le phénomène, somme toute assez récent, s’est amplifié en tout cas et doit être analysé à la lumière de l’histoire de l’art, de l’éducation et du champ novateur que constitue la recherche dans le domaine de la littérature de jeunesse. Ces livres pour la jeunesse (définie ici comme la tranche d’âge entre trois et dix ans) ayant pour thème l’art ou offrant un traitement artistique revêtent des formes très diverses. Ils ne constituent pas un genre distinct au même titre que la bande dessinée ou le roman, mais englobent toute une catégorie d’ouvrages où l’image est omniprésente et où le rapport texte-image donne naissance à une exploitation souvent virtuose du support et ouvre la voie à une création et un discours expérimentaux. LES FORMES DES LIVRES D’ART POUR LA JEUNESSE Depuis la dernière décennie du vingtième siècle, le domaine de la littérature de jeunesse a connu une très forte créativité alimentée par une réflexion sur la création des artistes, expliquée aux enfants. On dénombre une multitude de livres consacrés à l’art, à des artistes ou à des œuvres d’art. Ils revêtent des formes et interventions esthétiques, illustratives et plastiques très variées. LE DOCUMENTAIRE repose sur une présentation d’un artiste, d’une œuvre, d’un courant ou d’un thème artistique basé sur des documents de type informatif ou didactique. Par exemple : - La Couleur (Gallimard Jeunesse, collection « Mes premières découvertes ») - Mirô, Bleu II (Prats-Okuyama, Centre Georges Pompidou, série « L’Art en jeu »). La série consacrée à des monographies d’une œuvre d’art, relève d’une véritable démarche artistique et d’une éducation au regard. LE DOCU-FICTION peut recouper certaines caractéristiques de la fiction, comme par exemple la reconstitution, ou bien peut donner lieu à un scénario fictif plus ou moins élaboré. Par exemple dans Le Manège de Petit Pierre (Piquemal, Merlin, Albin Michel Jeunesse). 2 LES LIVRES D’ACTIVITÉS (coloriages, livres-jeux), dont la sélection doit être rigoureuse face à une production devenue pléthorique, artificielle voire relevant du gadget. Par exemple : - Premiers paysages (Maurice Denis, collection « Les Leçons de choses du petit coloriste », éditions Henri Laurens, 1912, réédité par le musée départemental Maurice Denis). Le peintre nabi Maurice Denis a initialement conçu ces grandes planches de paysages, avec un premier dessin original, puis une seconde version aquarellée, enfin une troisième au trait noir prête à être complétée par l’enfant, le tout accompagné de quelques commentaires de l’artiste. Cet ouvrage constitue l’un des premiers livres de coloriages d’artiste. - Le Grand livre des petites choses (Keith Haring, La Joie de lire, Genève). LES IMAGIERS, ABÉCÉDAIRES1, issus d’une tradition ancienne, ont renouvelé leurs formes et rivalisent pour certains d’ingéniosité, d’inventivité et de sens esthétique. C’est en cela qu’ils peuvent être considérés comme des livres d’art. Par exemple : - Mon premier livre d’art (P. Belvès, F. Mathey, Gautier- Languereau) - ABC3D (Marion Bataille, Albin Michel Jeunesse), peut aussi bien être répertorié dans la catégorie des abécédaires que dans celle des livres-objets. Cet ouvrage offre une exploration des formes et l’émotion première du signe. Tout d’abord édité à trente exemplaires sous le titre Op-up par Les Trois Ourses, il a connu un engouement et un succès tout public bien mérité. 3 LES LIVRES-OBJETS (pop-up ou à systèmes, flip-books, livres scratch, accordéons, listes ou leporello2, méli-mélo, fresques, anamorphoses, dioramas...) : leur tradition est ancienne avec, par exemple, les albums animés de la Librairie Enfantine Illustrée aux éditions A. Capendu. Du livre-objet qui est d’un accès direct pour l’enfant, en passant par le pop-up, les livres tactiles, les flip-books ou livres de pouce, toutes ces formes originales de la littérature pour la jeunesse, qui s’adressent d’abord au plus jeune âge, donnent lieu à une « exploitation virtuose du support3 » par la transgression du principe de base du livre-codex et de ses contraintes. Par exemple : - Cependant (Paul Cox, Seuil Jeunesse), imagier sous- titré « le livre le plus court du monde », dans lequel l’artiste compose ses dessins pixel par pixel4, qui n’est pas sans évoquer l’artiste Sigmar Polke qui peint à la main trames et points caractéristiques de son œuvre. L’auteur adopte une «démarche globale de création dans le rapport au jeu, à la couleur, aux contraintes ou dans l’interrogation au livre lui-même5 ». - Moi, c’est Blop ! (Hervé Tullet, Panama). L’auteur, issu du graphisme, de la communication et de la publicité, est à l’origine d’une série d’ouvrages révélant une démarche inventive et artistique, où l’image prime sur le texte. Blop est une forme qui fait référence à de nombreux artistes. Sa filiation passe entre autres par Léo Lionni (Petit Bleu et Petit Jaune), Matisse, Claude Viallat (fondateur en 1969 du mouvement artistique Supports/Surfaces et auteur de la série « bâches », motif répétitif que rappelle celui de Blop). LES LIVRES DE COMMANDES Ce type d’ouvrages pour la jeunesse est réalisé par des artistes à la demande d’institutions. Le phénomène, assez circonscrit, peut donner lieu à des œuvres de circonstance comme à de véritables réussites. - 4 Ainsi, l’artiste Milos Cvach – notamment partenaire de Sophie Curtil dans l’aventure de « L’Art en jeu » ainsi que dans L’Art par 4 chemins – répond-il en 1998 à la commande du Centre des livres d’artistes de Saint-Yrieix-la-Perche par un projet original : Jet de boules. Ce livre-accordéon, édité par Les Trois Ourses, donne à voir l’histoire-trajectoire de boules qui dans leurs mouvements et leurs rencontres forment des taches recto et verso, négatives et positives. Cet ouvrage de commande force l’admiration car il communique au jeune lecteur la primauté de l’impact visuel, il sollicite son sens de l’humour et il stimule son imagination. L’ALBUM L’album pour la jeunesse doit aussi être considéré comme une des formes contemporaines du livre d’artiste dès lors qu’il développe une approche plastique, esthétique ou conceptuelle particulière. Évoquer les formes d’intervention plastique des auteurs-illustrateurs6 dans les albums ne peut être fait ici de façon exhaustive. Jean Perrot parle à leur propos d’« une nouvelle génération d’illustrateurs dont l’imagination a été, elle- même, nourrie par la lecture des albums publiés par les éditeurs pour la jeunesse et qui se servent de leurs souvenirs d’une culture considérée jusque-là comme marginale pour poser et affirmer sans état d’âme la légitimité de leur démarche7 ». Les auteurs-illustrateurs d’albums bousculent et complexifient leur rapport aux langages textuels et iconiques et y initient leurs jeunes lecteurs. L’exemple le plus prégnant, qui a dépassé les frontières du Royaume-Uni, est celui d’Anthony Browne, auteur-illustrateur ayant développé un véritable univers d’artiste et parlé d’art et de vie aux enfants, tout en enrichissant son univers plastique de références et de clins d’œil à l’art. Artistes du texte et de l’image, ils le sont tout autant du livre. Leurs albums s’apparentent effectivement à des livres d’artistes, se définissant comme des « œuvres d’art dont la forme est un livre8 ». LIVRES D’ART, LIVRES D’ARTISTES : FORMES, STATUT, DESTINATAIRES Les intentions des artistes envers le public jeunesse, la finalité artistique, les formes d’interventions plastiques innovantes, les divers modes de narration graphique, les explorations de thèmes nouveaux, toutes ces dimensions sont constitutives de la définition du livre d’art et du livre d’artiste pour la jeunesse. En témoignent les propos de Sophie Curtil qui a conçu et réalisé à la fois des livres documentaires sur l’art et des « livres d’artiste » : « Il faudrait commencer par redéfinir chaque terme : “Livres d’art “, “Livres documentaires sur l’art“, “ Livres d’artistes“... Et, dans chaque rubrique, des approches différentes ! Quant aux classifications usuelles pour les livres d’art, “littérature jeunesse“ et “documentaires“, elles pourraient vraiment être révisées à l’aune de l’édition actuelle. Le vocabulaire dont nous disposons reste bloqué dans le registre de l’écriture et du savoir, largement dépassé aujourd’hui. »9 5 Les livres d’artistes pour la jeunesse prennent en effet de multiples formes et leur corpus est foisonnant : du conte patrimonial, ou non, illustré (Kô et Kô les deux Esquimaux, Vieira Da Silva ; Le Nouveau Pinocchio, illustré par Antonio Saura), à l’album développant un véritable univers d’artiste, tous appartiennent à la catégorie des livres d’artistes pour la jeunesse. La question du statut de ces ouvrages se pose. L’interaction entre l’artiste et le livre pour la jeunesse doit être envisagée à l’aide des récentes recherches sur le livre d’artiste10, qui est considéré, depuis les années 1960, comme une forme d’art à part entière. Le livre d’artiste pour enfant ne serait-il alors uploads/Litterature/ livres-d-art-pour-la-jeunesse-rlpe-no274-2013.pdf
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- Publié le Oct 11, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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