1 Discours de soutenance 4 novembre 2016 Mesdames, Messieurs les professeur(e)s
1 Discours de soutenance 4 novembre 2016 Mesdames, Messieurs les professeur(e)s, Monsieur le Président du jury, Permettez-moi de commencer ce discours en vous remerciant d’avoir accepté de lire mon travail et de faire partie de mon jury. Je voudrais également exprimer ma profonde gratitude à mes proches, à mes collègues, aux camarades doctorants et à tous ceux qui me font l’amitié de leur présence, sans oublier mes anciens étudiants. C’est en faisant appel à la mémoire d’un texte qui m’est cher, et qui a inauguré ma rencontre avec Louis Aragon, que je voudrais amorcer aujourd’hui mon propos afin de situer la genèse de ce travail sur la « politique du chant dans les œuvres de Pablo Neruda et de Louis Aragon », l’établissement de mon corpus et, progressivement, la constitution de mon objet d’étude, de préciser mes choix méthodologiques et enfin, d’exposer certains prolongements qui pourraient être menés par la suite. *** Généalogie « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. » C’est là que tout a commencé entre Aragon et moi, un mois d’octobre 2004, en classe d’hypokhâgne lorsque notre professeur(e), Marie-France Boireau, alors elle-même en plein travail de thèse sur Aragon et l’Histoire, avait décidé de faire de nous, jeunes bacheliers, ses cobayes et de nous faire partager ses marottes. Cette phrase liminaire, délicieuse et si symptomatique de l’écriture aragonienne (car oui, on l’oublie, mais Aragon est drôle) m’a plongée dans la lecture d’Aurélien et fait découvrir le charmant personnage de Bérénice vers lequel – cette thèse en est la preuve ou le symptôme – je suis revenue à plusieurs reprises dans mon parcours universitaire. Quelques années plus tard, en master, je compris que ce plaisir du texte que j’avais connu avec Aurélien ne provenait pas seulement de la forme romanesque : il se jouait dans Aurélien quelque chose d’autre, cette présence-absence que Claudel avait très tôt remarquée, associant Aurélien à un « poème » plutôt qu’à un « roman ». Cette lecture de 2 Claudel, que Marie-France Boireau avait alors jugé bon de nous proposer à la dissertation en concours blanc, a constitué le point de départ d’une réflexion sur le genre littéraire chez Aragon, que j’ai poursuivie dans un mémoire de master intitulé « Le concert d’images dans Aurélien », afin d’apprécier encore davantage ce double visage de Bérénice, ce qui « chante en elle ». Cette question du chant, je l’ai rencontrée à nouveau, en préparant l’Agrégation de Lettres modernes et en découvrant le beau programme sur l’épique où figurait alors Chant général de Pablo Neruda. J’ignorais à cette époque qu’Aragon et Neruda avaient été proches et qu’ils partageaient une réflexion conjointe sur le « chant ». Car si ces deux poètes communistes, amis dans la vie, semblent être un lieu commun de l’Histoire littéraire, en regardant de plus près, et à ma grande surprise, peu de travaux de recherche portaient sur eux deux. Pourtant, un problème demeurait, et non des moindres, puisque je ne parlais alors pas mot d’espagnol. Isabelle Poulin m’a convaincue, et je lui en suis particulièrement reconnaissante aujourd’hui, qu’il était possible de mener un travail de thèse et d’apprendre une langue simultanément. Car on oublie parfois l’excitation qui préside à l’apprentissage des langues, la découverte d’un monde littéraire, les premiers échanges, les premières lectures en langue originale, et c’est dans cette dynamique, absolument stimulante, que je me suis engagée dans la lecture de mes auteurs. *** Corpus et choix méthodologiques Mais malgré l’énergie déployée par toute jeune thésarde, il me faut admettre aujourd’hui que je n’avais pas imaginé alors qu’Aragon et Neruda avaient tant écrit, et qu’ils avaient entretenu tant de relations profondes avec des poètes et des artistes fameux parmi lesquels Federico García Lorca, Rafael Alberti, Miguel Hernández, Diego Rivera, Fernand Léger, Jean Lurçat et bien d’autres encore. Ainsi, plus je les lisais, plus je voyais les problèmes survenir les uns après les autres. J’ai en effet mis du temps à comprendre qu’Aragon se moquait de son lecteur (moi en l’occurrence), de ses outils de lecture, et que mon sujet, initialement intitulé « la politique des genres littéraires dans les œuvres de Louis Aragon et de Pablo Neruda, en lien avec leurs réflexions esthétiques » risquait d’être caduc, si j’évitais une des questions centrales posée par ces deux voix : celle du chant. Car, au-delà de l’idéologie communiste, Aragon et Neruda ont ceci de commun que dans leurs textes le chant est pasrtout : ils intitulent leurs poèmes « chants », « chansons », « hymnes », « cantiques » – et j’en oublie. C’est au fil des lectures que l’intérêt d’un travail 3 sur le chant s’est manifesté : s’engager dans le « chant » plutôt que vers des catégories comme « l’hymne », « la chanson », « romance », recouvrait le désir non pas de faire du chant une rubrique générale rassemblant des « sous-genres », mais de construire, à partir des propositions de mes deux poètes, une expression capable de reconfigurer les territoires de la création. Malgré les apparences, il est apparu que la perspective ouverte par le chant ne se surimposait nullement à un domaine strictement musical : j’ai d’ailleurs choisi de ne pas aborder la question très spécifique de la musique, même s’il est vrai qu’elle aurait pu être traitée, et j’ai tenté au contraire de mettre la notion à l’épreuve sur un domaine étranger à la musique, les arts plastiques. De fait, ce qui pouvait passer pour une métaphore musicale dans les textes de mes auteurs au début de mes lectures s’est avéré un dispositif transcendant les langues et les langages artistiques et révélant comment ils pouvaient faire corps. Le chant échappe à une définition purement formelle comme à une réduction thématique, et c’est sous les espèces de l’énergie qu’il apparaît, permettant de restaurer les voix inaudibles et les corps invisibles. Il est ce qui permet au poète et à l’artiste de donner voix à une communauté et de la rendre sensible – d’en être l’expression. Comme le montrent entre autres les romans d’Aragon, cet effet de présence, très intense, excède le texte et invite à penser également un hors-texte, dont s’emparent certains artistes comme Pedro Olmos ou Jean Lurçat. Une telle perspective impliquait de repenser cette question en des termes proprement politiques d’où le titre que j’ai finalement adopté, « politique du chant ». L’examen du chant sur une période longue, des premières traductions d’Aragon au prix Nobel de Neruda en 1971, permettait de dégager les étapes de sa fabrique tout en problématisant la place de ces deux poètes, trop souvent lus à mes yeux à partir d’étiquettes, dans l’Histoire et dans l’histoire littéraire internationales. Un tel projet aurait pu m’occuper sans doute une vie entière, et il fallait opérer une sélection d’ouvrages afin de construire un échantillon qui rendît compte de la généalogie du chant sans sacrifier la complexité de ces deux œuvres ; c’est en convoquant des textes qui marquent des temps d’articulation forts soit d’un point de vue historique (comme Chant général), soit d’un point de vue générique (comme Aurélien ou La Mise à mort) que j’ai choisi d’établir mon corpus, souhaitant faire la part également belle à des œuvres moins connues, évincées par le succès de « monuments », comme Le Fou d’Elsa ou Les Pierres du Chili par exemple. Ce choix a permis, je l’espère, de penser une politique du chant en dehors d’une politique de l’écrivain, de ne pas sonder seulement la politisation des discours littéraires à partir d’un moment de l’Histoire (celui des années 1930-1950, par exemple), mais de voir sur le plan poétique ce qui dans la littérature devient chant en émanant de la communauté et en 4 touchant au corps collectif, et que le poète ou l’artiste, cherche à exprimer. C’est en lisant les textes de Jacques Rancière que j’ai découvert une autre manière de saisir le politique et de dépasser les propositions de Sartre ou de B. Denis qui s’avéraient trop restrictives pour mes textes. Le recours à Rancière présentait pour mon projet un double intérêt : ses propositions invitaient à se défaire d’une politique de l’écrivain et à reconsidérer le rôle de la poésie appelée à créer « des objets qui forment un monde commun1 ». Elles avaient également le mérite d’ouvrir une réflexion sur les arts en général et sur leurs modalités d’intervention dans l’espace politique. Les hypothèses de Jacques Rancière me permettaient de réfléchir à ce qui fonde une communauté en pensant un continuum de la poésie et des arts plastiques : ce qui n’était sans doute à l’origine chez mes auteurs qu’une métaphore musicale a gagné en puissance grâce aux transferts qu’elle a connus, grâce à sa circulation et ses réappropriations par les poètes et les artistes communistes du 20ème siècle. La notion, labile et relativement indéterminée, est marquée par la mobilité de ses usages, qui construisent progressivement une catégorie complexe. Or, pour cerner les enjeux de cette circulation, il fallait (re)lire Aragon et Neruda en dehors du cadre de la nation et mettre uploads/Litterature/ margaux-valensi-discours-de-soutenance.pdf
Documents similaires










-
37
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 11, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1698MB