Alain Badiou avec Gilles Haéri Éloge des mathématiques Flammarion © Flammarion,

Alain Badiou avec Gilles Haéri Éloge des mathématiques Flammarion © Flammarion, 2015. Dépôt légal : septembre 2015 ISBN Epub : 9782081352469 ISBN PDF Web : 9782081352476 Le livre a été imprimé sous les références : ISBN : 9782081352452 Ouvrage composé et converti par Meta-systems (59100 Roubaix) Présentation de l'éditeur Loin d’être l’exercice ingrat ou vain que l’on imagine, les mathématiques pourraient bien être le chemin le plus court pour la vraie vie, laquelle, quand elle existe, se signale par un incomparable bonheur. Alain Badiou Écrivain, philosophe, professeur émérite à l’École normale supérieure, Alain Badiou est traduit et étudié dans le monde entier. Gilles Haéri Éditeur, ancien élève de l’école Centrale Paris, Gilles Haéri est agrégé de philosophie. Déjà parus dans la collection Café Voltaire Jacques Julliard, Le Malheur français (2005). Régis Debray, Sur le pont d'Avignon (2005). Andreï Makine, Cette France qu'on oublie d'aimer (2006). Michel Crépu, Solitude de la grenouille (2006). Élie Barnavi, Les religions meurtrières (2006). Tzvetan Todorov, La littérature en péril (2007). Michel Schneider, La confusion des sexes (2007). Pascal Mérigeau, Cinéma : Autopsie d'un meurtre (2007). Régis Debray, L'obscénité démocratique (2007). Lionel Jospin, L'impasse (2007). Jean Clair, Malaise dans les musées (2007). Jacques Julliard, La Reine du monde (2008). Mara Goyet, Tombeau pour le collège (2008). Étienne Klein, Galilée et les Indiens (2008). Sylviane Agacinski, Corps en miettes (2009) ; nouvelle édition (2013). François Taillandier, La langue française au défi (2009). Janine Mossuz-Lavau, Guerre des sexes : stop ! (2009). Alain Badiou (avec Nicolas Truong), Éloge de l'amour (2009). Marin de Viry, Tous touristes (2010). Régis Debray, À un ami israélien, avec une réponse d'Élie Barnavi (2010). Alexandre Lacroix, Le Téléviathan (2010). Mara Goyet, Formules enrichies (2010). Jean Clair, L'Hiver de la culture (2011). Charles Bricman, Comment peut-on être belge ? (2011). Corrado Augias, L'Italie expliquée aux Français (2011). Jean-Noël Jeanneney, L'État blessé (2012). Mara Goyet, Collège brutal (2012). Shlomo Sand, Comment j'ai cessé d'être juif (2013). Régis Debray, Le bel âge (2013). Alain Badiou (avec Nicolas Truong), Éloge du théâtre (2013). Édouard Launet, Écrivains, éditeurs et autres animaux (2013). Sylvie Goulard, Europe : amour ou chambre à part ? (2013). Michel Schneider, Miroirs des princes (2013). Marie-Josèphe Bonnet, Adieu les rebelles ! (2014). Jacques Julliard, Le choc Simone Weil (2014). Christiane Taubira, Paroles de liberté (2014). Bernard Attali, Si nous voulions (2014). Élie Barnavi, Dix thèses sur la guerre (2014). Éloge des mathématiques J'ai, il y a de nombreuses années – un peu avant et un peu après ma première « somme » philosophique, L'être et l'événement (1988) –, introduit la notion, qu'on retrouvera plus loin, des conditions de la philosophie. Il s'agissait de nommer, de façon précise, les types réels d'activité créatrice dont l'humanité est capable, et dont l'existence de la philosophie dépend. Il est évident en effet que la philosophie est née en Grèce parce qu'il y avait dans cette contrée, en tout cas à partir du Ve siècle avant J.-C., des propositions totalement neuves concernant les mathématiques (géométrie et arithmétique déductives), l'activité artistique (sculpture humanisée, peinture, danse, musique, tragédie et comédie), la politique (invention de la démocratie) et le statut des passions (transfert amoureux, poésie lyrique…). J'ai donc proposé de dire que la philosophie ne se déploie vraiment que lorsque des nouveautés surgissent dans un ensemble de « vérités » (c'est le nom que je leur donne pour des raisons philosophiques), qui appartiennent à quatre types distincts : la science, l'art, la politique et l'amour. C'est pourquoi j'ai répondu favorablement à l'invitation de Nicolas Truong à dialoguer avec lui à Avignon, dans la perspective d'un éloge de l'amour puis dans celle d'un éloge du théâtre. De même pour la proposition de Gilles Haéri : un dialogue, à Lyon, dans le cadre de la Villa Gillet, ouvrant à un éloge des mathématiques. Les deux premiers dialogues ont donné des livres dans la collection « Café Voltaire » de Flammarion. Il en va de même du troisième, qui fait l'objet du présent ouvrage. Reste à faire l'éloge de la politique : j'y songe. I IL FAUT SAUVER LES MATHÉMATIQUES Alain Badiou, vous constituez ce que j'appellerai, pour user d'un terme mathématique, une singularité dans le paysage intellectuel français. Il y a bien sûr votre engagement politique, que le grand public connaît depuis 2006 à travers le succès de De quoi Sarkozy est-il le nom ? Vous incarnez aujourd'hui l'une des dernières grandes figures d'intellectuel engagé, l'un des critiques les plus impitoyables de nos démocraties libérales, infatigable défenseur de l'idée communiste, que vous refusez de jeter avec l'eau du bain de l'Histoire. Mais, d'un point de vue plus spécifiquement philosophique, l'œuvre que vous avez bâtie est également extrêmement singulière. À l'heure où la philosophie se replie sur une certaine spécialisation, renonçant en cela à son ambition inaugurale, vous n'avez eu de cesse de vouloir redonner un sens à la métaphysique, en bâtissant un système qui se présente comme une grande synthèse sur le monde et sur l'être. Or cette philosophie, exposée principalement dans L'être et l'événement, puis dans Logiques des mondes, se fonde très largement sur les mathématiques. Vous êtes à cet égard l'un des rares philosophes contemporains à prendre les mathématiques véritablement au sérieux, et à ne pas seulement en parler en philosophe mais à les pratiquer quasi quotidiennement. Pouvez-vous pour commencer nous expliquer d'où vous vient ce rapport très fort aux mathématiques ? Ça s'est passé avant même que je naisse ! Pour la simple raison que mon père était professeur de mathématiques. Il y a donc le stigmate du nom du père, comme dirait Lacan. En vérité, cela a eu des effets considérables, parce que j'ai entendu parler de mathématiques dans ma famille – entre mon père et mon frère aîné, entre mon père et des collègues, etc. –, dans une sorte d'imprégnation primitive, sans trop comprendre initialement ce dont il s'agissait, mais en percevant que ça avait une espèce d'intérêt aigu et obscur à la fois. Voilà pour la première étape, prénatale, si je puis dire. Ensuite, en tant qu'élève, j'ai été saisi par les mathématiques à partir du moment où l'on a commencé à faire quelques démonstrations réellement subtiles. Je dois dire que ce qui m'a véritablement captivé, c'est le sentiment que, lorsque l'on fait des mathématiques, c'est un peu comme si l'on suivait un chemin extrêmement tordu et complexe, dans une forêt de notions et de concepts, et que ce chemin conduise quand même, à un moment donné, à une sorte d'éclaircie magnifique. Ce sentiment quasi esthétique des mathématiques m'a frappé très tôt. Je crois que je pourrais citer ici quelques théorèmes de géométrie plane, notamment de l'inépuisable géométrie du triangle, que l'on nous enseignait en troisième et en seconde. Je pense à la droite d'Euler. On montrait que les trois hauteurs d'un triangle sont concourantes en un point H, c'était déjà beau. Puis que les trois médiatrices l'étaient aussi, en un point O, de mieux en mieux ! Enfin que les trois médianes l'étaient également, en un point G ! Formidable. Mais alors, avec un air mystérieux, le professeur nous indiquait que l'on pouvait démontrer, comme l'avait fait le génial mathématicien Euler, que ces points H, O et G étaient en plus tous les trois sur une même droite, qu'on appelle évidemment la droite d'Euler ! C'était si inattendu, si élégant, cet alignement de trois points fondamentaux, comme comportement des caractéristiques d'un triangle ! On ne nous en faisait pas la démonstration, car elle était considérée comme trop difficile en seconde, mais on en suscitait le désir. Que l'on puisse démontrer une chose pareille me ravissait. Il y a cette idée d'une découverte véritable, d'un résultat surprenant, au prix d'un cheminement parfois un peu difficile à suivre, mais où l'on est récompensé. J'ai souvent comparé plus tard les mathématiques à la promenade en montagne : la marche d'approche est longue et pénible, avec beaucoup de tournants, de raidillons, on croit être arrivé, mais il reste encore un tournant… On sue, on peine, mais quand on arrive au col, la récompense est sans égale, vraiment : ce saisissement, cette beauté finale des mathématiques, cette beauté sûrement conquise, absolument singulière. Voilà pourquoi je continue de faire propagande pour les mathématiques aussi sous cet angle esthétique. En rappelant d'ailleurs qu'il s'agit d'un angle très ancien, puisque Aristote considérait en fait les mathématiques comme une discipline, non pas tant de la vérité, que de la beauté. Il affirmait que la grandeur des mathématiques est de type esthétique, beaucoup plus qu'ontologique ou métaphysique. J'ai ensuite fréquenté de plus près les mathématiques contemporaines, en suivant les deux premières années d'université en maths. C'était entre 1956 et 1958, mes deux premières années à l'École normale supérieure. J'y ai combiné de fortes découvertes philosophiques (Hyppolite, Althusser, Canguilhem, ont été mes maîtres du moment) avec les cours de mathématique à la Sorbonne, et d'importantes discussions avec les élèves mathématiciens de l'ENS. C'est à partir de ce moment-là, sans doute aussi parce que c'était l'ambiance du structuralisme et des années soixante, où les disciplines formelles avaient beaucoup d'écho, uploads/Litterature/ eloge-des-mathematiques-flammarion-16-se-badiou-alain-et-haeri-gilles.pdf

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