Fougeret de Monbron M Ma ar rg go ot t l la a R Ra av va au ud de eu us se e Be
Fougeret de Monbron M Ma ar rg go ot t l la a R Ra av va au ud de eu us se e BeQ Fougeret de Monbron (1706-1760) Margot la Ravaudeuse La Bibliothèque électronique du Québec Collection À tous les vents Volume 280 : version 1.01 2 Sources Romans libertins du XVIIIe siècle, textes établis, présentés et annotés par Raymond Trousson, Collections Bouquins, Robert Laffont, Paris, 1993. 3 Margot la Ravaudeuse 4 Voici enfin cette Margot la Ravaudeuse, dont le général de la Pousse*, sollicité par le corps des catins et de leurs infâmes suppôts, voulut faire un crime d’État à son auteur. Comme on ne l’accusait pas moins que d’avoir attaqué dans cet ouvrage la religion, le gouvernement et le souverain, il s’est déterminé à le mettre au jour, craignant que son silence ne déposât contre lui, et qu’on ne le crût réellement coupable. Le public jugera qui a tort ou raison. * Le lieutenant de police. 5 Ce n’est point par vanité, encore moins par modestie, que j’expose au grand jour les rôles divers que j’ai joués pendant ma jeunesse. Mon principal but est de mortifier, s’il se peut, l’amour-propre de celles qui ont fait leur petite fortune par des voies semblables aux miennes, et de donner au public un témoignage éclatant de ma reconnaissance, en avouant que je tiens tout ce que je possède de ses bienfaits et de sa générosité. Je suis née dans la rue Saint-Paul ; et c’est à l’union clandestine d’un honnête soldat aux Gardes et d’une ravaudeuse que je suis redevable de mon existence. Ma mère, naturellement fainéante, m’instruisit de bonne heure dans l’art de ressertir et rapetasser proprement des chaussures, afin de se débarrasser le plus tôt qu’il lui serait possible du soin de la profession sur moi. J’avais atteint ma treizième année, 6 lorsqu’elle crut pouvoir me céder son tonneau* et ses pratiques, aux conditions pourtant de lui rendre chaque jour un compte exact de mon gain. Je répondis si parfaitement à ses espérances qu’en moins de rien je devins la perle des ravaudeuses du quartier. Je ne bornais pas mes talents à la seule chaussure, je savais aussi très bien raccommoder les vieilles culottes et y remettre des fonds ; mais ce qui ajoutait à mon habileté, et me rendait le plus recommandable, c’était une physionomie charmante dont la nature m’avait gratifiée. Il n’y avait personne des environs qui ne voulût être ravaudé de ma façon. Mon tonneau était le rendez-vous de tous les laquais de la rue Saint-Antoine. Ce fut en si bonne compagnie que je pris les premières teintures de la belle éducation et du savoir-vivre, que j’ai beaucoup perfectionnés depuis, dans les différents états où je me suis trouvée. Ma parentèle m’avait transmis par le sang et par ses bons exemples un si grand penchant pour les * La plupart des raccommodeuses de bas à Paris sont dans des tonneaux. 7 plaisirs libidineux que je mourais d’envie de marcher sur ses traces, et d’expérimenter les douceurs de la copulation. Monsieur Tranchemontagne (c’était mon père), ma mère et moi, nous occupions au quatrième étage une seule chambre meublée de deux chaises de paille, de quelques plats de terre à moitié rompus, d’une vieille armoire, et d’un grand vilain grabat sans rideaux et sans impérial, où nous reposions tous trois. À mesure que je grandissais, je dormais d’un sommeil plus interrompu, et devenais plus attentive aux actions de mes compagnons de couche. Quelquefois ils se trémoussaient d’une manière si vigoureuse que l’élasticité du châlit me forçait à suivre tous les mouvements. Alors ils poussaient de gros soupirs en articulant à voix basse les mots les plus tendres que la passion leur suggérât. Cela me mettait dans une agitation insupportable. Un feu dévorant me consumait : j’étouffais ; j’étais hors de moi-même. J’aurais volontiers battu ma mère, tant je lui enviais les délices qu’elle goûtait. Que pouvais-je faire en pareille conjoncture, sinon de recourir à la 8 récréation des solitaires ? Heureuse encore dans un besoin aussi pressant de n’avoir pas la crampe au bout des doigts. Mais, hélas ! en comparaison du réel et du solide, la pauvre ressource ! et qu’on peut bien l’appeler un jeu d’enfant ! Je m’épuisais, je m’énervais en vain ; je n’en étais que plus ardente, plus furieuse. Je pâmais de rage, d’amour et de désirs : j’avais, en un mot, tous les dieux de Lampsaque1 dans le corps. Le joli tempérament pour une fille de quatorze ans ! mais, comme l’on dit, les bons chiens chassent de race. Il est aisé de juger qu’impatiente et tourmentée de l’aiguillon de la chair ainsi que je l’étais, je songeai sérieusement à faire choix de quelque bon ami qui pût éteindre, ou du moins apaiser, la soif insupportable qui me desséchait. Parmi la nombreuse valetaille dont je recevais incessamment les hommages, un palefrenier jeune, robuste et bien découplé me parut être 1 Ville d’Asie Mineure, sur l’Hellespont, célèbre pour sa corruption. 9 digne de mes attentions. Il me troussa un compliment à la palefrenière, et me jura qu’il n’étrillait jamais ses chevaux sans songer à moi. À quoi je répondis que je ne rapetassais jamais une culotte que l’image de Monsieur Pierrot (c’était son nom) ne me trottât dans la cervelle. Nous nous dîmes très sérieusement une infinité d’autres gentillesses de ce genre, dont je ne me rappelle pas assez l’élégante tournure pour les répéter au lecteur. Il suffit qu’il sache que Pierrot et moi nous fûmes bientôt d’accord, et que peu de jours après nous scellâmes notre liaison du grand sceau de Cythère, dans un petit cabaret borgne vers la Râpée1. Le lieu du sacrifice était garni d’une table étayée de deux tréteaux pourris, et d’une demi-douzaine de chaises disloquées. Les murs étaient remplis de quantité de ces hiéroglyphes licencieux que d’aimables débauchés en belle humeur crayonnent ordinairement avec du charbon. Notre festin répondait au mieux à la simplicité du sanctuaire. 1 Hameau à l’extérieur de Paris, sur la rive droite de la Seine, où l’on trouvait nombre de cabarets et de guinguettes. 10 Une pinte de vin à huit sols, pour deux de fromage, et autant de pain ; le tout bien calculé montait à la somme de douze. Nous officiâmes néanmoins d’aussi grand coeur que si nous eussions été à un louis par tête chez Duparc*. On ne doit pas en être surpris. Les mets les plus grossiers, assaisonnés par l’amour, sont toujours délicieux. Enfin, nous en vînmes à la conclusion. L’embarras fut d’abord de nous arranger ; car il n’était pas prudent de se fier ni à la table, ni aux chaises. Nous prîmes donc le parti de rester debout. Pierrot me colla contre le mur. Ah ! puissant dieu des jardins1 ! je fus effrayée à l’aspect de ce qu’il me montra. Quelles secousses ! quels assauts ! La paroi ébranlée gémissait sous ses prodigieux efforts. Je souffrais mort et passion. Cependant de mon côté je * Traiteur de l’Hôtel de Ville. 1 Priape, fils de Dionysos et d’Aphrodite, dont la statue était placée à l’entrée des domaines dont on lui confiait la garde. À l’époque romaine, il personnifiait surtout la virilité et l’amour physique. 11 m’évertuais de toutes mes forces, ne voulant pas avoir à me reprocher que le pauvre garçon eût supporté seul la fatigue d’un travail si pénible. Quoi qu’il en soit, malgré notre patience et notre courage mutuels, nous n’avions fait encore que de bien médiocres progrès, et je commençais à désespérer que nous pussions couronner l’oeuvre, lorsque Pierrot s’avisa de mouiller de sa salive la foudroyante machine. Ô nature ! nature, que tes secrets sont admirables ! Le réduit des voluptés s’entrouvrit ; il y pénétra : que dirai-je de plus ? Je fus bien et dûment déflorée. Depuis ce temps- là, je dormis beaucoup mieux. Mille songes flatteurs présidaient à mon repos. Monsieur et Madame Tranchemontagne avaient beau faire craquer le lit dans leurs joyeux ébats, je ne les entendais plus. Notre innocent commerce dura environ un an. J’adorais Pierrot, Pierrot m’adorait. C’était un garçon parfait, auquel on ne pouvait reprocher – aucun vice, sinon qu’il était gueux, joueur et ivrogne. Or, comme entre amis tous biens doivent être communs, et que le riche doit assister le pauvre, j’étais le plus souvent obligée de fournir à ses dépenses. On dit 12 proverbialement qu’un palefrenier mangerait son étrille quand même il aurait affaire à la reine. Celui-ci, tout au contraire, pour ménager la sienne, me mangea mon fonds de boutique et mon tonneau. Il y avait déjà longtemps que ma mère s’apercevait du dépérissement de mes affaires, et qu’elle m’en faisait d’austères réprimandes. La renommée lui apprit bientôt que j’avais mis le comble à mon dérangement. La bonne maman dissimula ; mais un beau matin que je dormais d’un sommeil léthargique, elle s’arma de l’âme d’un balai neuf ; et m’ayant traîtreusement passé la chemise par-dessus la tête, elle me mit les fesses tout en sang avant que je pusse me débarrasser. Quelle uploads/Litterature/ margot-la-ravaudeuse-fourgeret-de-monbron-pdf.pdf
Documents similaires










-
39
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 19, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3773MB