Histoire de la Littérature Française de Chateaubriand à Baudelaire Max Milner C

Histoire de la Littérature Française de Chateaubriand à Baudelaire Max Milner Claude Pichois PQ 281 .M455 1996 © 1985, Les Éditions Arthaud, Paris. © 1996, Flammarion, Paris, pour cette édition. ISBN : 2-08-070963-1 INTRODUCflON PROBLÉMATIQUE DU ROMANTISME I I L y a plusieurs manières de concevoir le romantisme, et surtout deux extrêmes. L'une est purement française et correspond à l'histoire à court terme, voire à la micro-histoire. L'autre correspond à l'histoire à long terme et à une vision plus anthropologique ; elle ne se veut pas exclusivement littéraire. Les manuels de littérature assignaient en France au romantisme un petit canton sur le territoire duquel était planté le drapeau de la révolte contre la tradition classique, révolte illustrée par «l'escalier/ Dérobé >> qui avait fait trébucher les spectateurs au début de la représentation d'Hernani et par la lune qu'en forme de point Musset avait posée sur un clocher jauni pour scandaliser ses lecteurs. Cet espace-temps était limité par les côtés de l'Hexagone et ces dates : 1820, publication des Méditations; 1843, chute des Burgraves. Plus généreux, certains faisaient commencer le romantisme avec le siècle lorsque Mme de Staël publia De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800), la date finale restant celle de ces pauvres Burgraves, si mal compris. En amont, il y avait, suivant le Siècle des Lumières, une époque mal définie : la Révolution et l'Empire, et d'ailleurs PROBLÉMATIQUE DU ROMANTISME rarement prise en considération puisqu'cHe tombait entre deux siècles. Après le Romantisme s'élevait, blanc et dur comme marbre, le Parnasse sur lequel on juchait Gautier, Leconte de Lisle, Baudelaire et Banville. Au-delà, les plaines brumeuses du Symbolisme. Après tout, cette conception n'était pas entièrement fausse; elle découlait des définitions que les intéressés avaient essayé de donner : Mme de Staël (la poésie romantique est " celle qui est née de la chevalerie et du christianisme»), Stendhal (p. 203), Hugo (p. 204). Et puisque Baudelaire n'était pas romantique, on ne retenait pas la définition qu'il imposait dans le Salon de 1846, du reste postérieur aux Burgraves : « Qm drt romantrsme drt art moderne, -c'est-à~dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l'infini, exprimées par tous les moyens que contiennent les arts. , A l'autre extrémité, René Wellek (1949) avait indiqué comme principaux traits du romantisme l'importance du symbole et du mythe et la substrtu tion à la philosophie mécaniste de l'époque classique d'une vision organique du cosmos. Hans Eichner (1982) va plus loin. Il propose de voir le trait dominant du romantisme dans << une action désespé rée d'arrière-garde menée contre l'esprit et les implications de la science moderne », action << qui libéra les arts des contraintes d'une esthétique pseudo-scientifique, mais qui était condamnée à l'échec dans le domaine propre de la science ». Selon lui, l'univers a été conçu depuis le xvr' siècle selon un modèle mécaniste : une gigantesque pen dule qui aurait été mise en marche par Dieu, un Dieu qui nlest nécessaire qu~à cet instant initial et dont on peut ensuite se passer, ce Dieu de Descartes à qui Pascal reproche d'ètre condamné à ne donner au monde qu'une « chiquenaude». Ce monde est dominé par la loi implacable de la causalité. L'homme est conçu à l'image de l'univers : il est par son corps une machine, et comment son esprit, si PROBLÉMATIQUE DU ROMANTISME étroitement uni à la matière, pourrait-il échapper à une causalité qui est une fatalité? L'art n'est plus que le résultat de l'application soigneuse d'un code de recettes; l'inspiration y est étroitement surveillée. Ce monde mécaniste, cet homme-machine sont comme inscrits en un point abstrait et fixe du temps. L'idée de progrès, si chère au xvmc siècle, ne serait ai~sî, à en croire H. Eichner, qu'un fantôme d'idée, pmsque le monde, ayant été créé par Dieu, n'a pu être créé que comme le meilleur des mondes possibles, ce qui rend difficile, voire impossible, son amélioration et donc le progrès. De ce monde l'âme cosmique et les dieux ont été proscrits, comme le constate Schiller dans un poème sur Les Dieux de la Grèce : « Les campagnes sont tristes et muettes, nulle Divinité ne s'offre à mon regard. >> La Nature << ressemble au pendule qui suit servilement des lois de la pesanteur >> (trad. de X. Marmier). Keats, en présence de Charles Lamb et de Wordsworth, reprochera à Newton d'avoir détruit la poésie de l'arc-en-ciel en le réduisant à un prisme (28 décembre 1817). De cet univers mécaniste, conçu comme une grande horloge, la poésie a été exclue. Ce qui explique que la poésie lyrique ait été si peu représentée ou reconnue pendant les siècles classiques. Le renversement s'opère dans les toutes dernières années du xvm' siècle, lorsque Schelling publie son Système de la philosophie de la Nature. La Nature cesse d'être un non-moi pour devenir un esprit mconscient qui s'efforce vers la conscience. Pénétration lente et pénible qui mène au vers final des Chimères : « Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres! >> L'univers n'est plus, pour quelques-uns, une grande machine qui repose dans la main fragile de Dieu. Il devient un grand organisme, un animal cosmique apparenté à Dieu. La logique, qui fondait la causalité, cède la place à l'analogie, qui s'accom PROBLÉMATIQUE DU ROMANTISME mode du principe de contradiction. L'homme retrouve sa liberté et toute sa responsabilité. La poésie, l'inspiration, puisqu'elle redevient un acte individuel, libéré des contraintes de l'imitation. Cette conception organique et quasiment biologique de l'univers et de l'homme, visible dans la théorie qui permettra à Geoffroy Saint-Hilaire de l'emporter sur Cuvier (voir p. 182), est proche du panthéisme et doit sans doute beaucoup plus qu'elle ne le croyait à une connaissance diffuse de Spinoza. Elle est en tout cas liée au vitalisme, c'est-à-dire à la croyance en une force vitale ou en un fluide vital. Sa pensée analogique a retrouvé une tradition occultée par la pensée scientifique classique, une longue tradition qui va de Philon le Juif (re' siècle) et de Plotin (me siècle), autrement dit de l'Ecole d'Alexandrie, jusqu'à Jakob Boehme (1575-1624), en passant par Joachim de Flore, et qui, à l'époque classique, continue à vivre, dans les marges ou souterrainement, grâce aux hétérodoxes et aux !!luministes. Des pensées très riches, pleines de pro messes, souvent confuses. Cette Weltanschauung libère certes le poète des contraintes qui pesaient sur lui, mais elle ne permet pas tou jours de fonder une science immédiatement utile. La science romantique a existé, notamment dans les Allemagnes : il y a eu une géologie, une chimie, une biologie, une astrobiologie, une psychopathologie des plantes, même une médecine romantique (l'homéopathie; voir p. 183). Plus l'on s'éloigne du domaine des sciences dites exactes, moins les résultats sont menacés par le dur contact de la réalité. Mais si une science se juge à ses effets positifs, la science romantique-la science, car elle constitue une totalité -a produit des rêveries fécondes, grosses peut-être de fruits que nous ignorons encore, -des rêveries et des poèmes. En niant, au niveau de l'efficacité, l'implacable causalité, elle n'a pas conduit à des résultats concrets. PROBLÉMATIQUE DU ROMANTISME Dans notre vie quotidienne, nous sommes les bénéficiaires de la lignée qui, de Bacon et de Galilée à Einstein et à Max Planck, a tout misé sur la logique. La science romantique a été en Allemagne et parfois en Angleterre le support du romantisme littéraire : il n'est que de penser aux études de minéralogie faites par Novalis et à l'importance des entrailles de la terre dans Heinrich von Ofterdingen. En France, au contraire, le romantisme-du moins celui des manuels -n'a pas été une théorie de la connaissance, une épistémologie digne de ce nom, comme l'a montré Georges Gusdorf (1982). Le romantisme n'est sans doute pas dans la première moitié du xrxe siècle un phénomène latin, en raison de la forte résistance que lui oppose une structure classique consolidée au long du xvme siècle. Ce qui se passe alors en France est tout à fait différent de l'évolution que éonnaissent l'Allemagne et l'Angleterre. Il faut constater un décalage d'un demi-siècle. C'est juste avant 1800 que les romantismes allemand et anglais commencent à pousser leurs plus belles fleurs : en 1798, Coleridge et Wordsworth publient les Lyrical Ballads, les frères Schlegel lancent l'Athenaeum. C'est après 1840 que le romantisme français trouvera sa voie ou, plutôt qu'il la retrouvera. ' En effet, tout avait commencé synchroniquement dans le Nord de l'Europe, France comprise. En France, grâce au Genevois Rousseau qui proposait une nouvelle société, une nouvelle foi, une nouvelle pédagogie, une nouvelle conception des rapports humains et de l'amour, et cela dans une langue aux accents jusqu'alors inouïs. Grâce aussi à Diderot mais la vraie et complexe pensée de celui-ci ne ser~ connue que bien plus tard; environ 1800, il est surtout le maître d'oeuvre de l'Encyclopédie. Rousseau a été l'un des premiers à employer l'adjectif << romantique >>. Il écrit dans la cinquième Promenade des Rêveries : << Les rives du lac de Bienne sont PROBLÉMATIQUE DU ROMANTISME plus sauvages et plus romantiques que celles uploads/Litterature/ max-milner-claude-pichois-histoire-de-la-litterature-francaise-7-de-chateaubriand-a-baudelaire-7-editions-flammarion-1999.pdf

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