Mélanges de l'École française de Rome. Moyen-Age « Rendre un culte aux anges à
Mélanges de l'École française de Rome. Moyen-Age « Rendre un culte aux anges à la manière des Juifs» : quelques observations nouvelles d’ordre historiographique et historique Michel-Yves Perrin Résumé L’accusation d’angélolâtrie portée contre les Juifs dans l’antiquité est ici réexaminée d’un double point de vue : d’une part, on met en évidence le rôle capital des controverses religieuses des XVIIe-XVIIIe siècles dans la constitution de cet objet historiographique. D’autre part, on enrichit le dossier d’un nouveau témoignage issu de la Rome du IVe siècle, et l’on souligne la rareté de cette incrimination, qui ne procède pas toujours de l’association des pratiques juives à la magie. Dès lors, il convient de replacer l’analyse dans le cadre plus large de l’examen de la luxuriante efflorescence angélique qui caractérise nombre de courants du judaïsme au tournant de l’ère commune. Citer ce document / Cite this document : Perrin Michel-Yves. « Rendre un culte aux anges à la manière des Juifs» : quelques observations nouvelles d’ordre historiographique et historique. In: Mélanges de l'École française de Rome. Moyen-Age, tome 114, n°2. 2002. pp. 669- 700; https://www.persee.fr/doc/mefr_1123-9883_2002_num_114_2_9247 Fichier pdf généré le 24/02/2020 . * Ma gratitude va à Evyatar Marienberg (McGill University, Montréal) et à Jean-Marc Daul (Rome) qui m’ont amicalement procuré copie d’articles introu- vables à Paris. Elle s’adresse également aux responsables des bibliothèques de l’Al- liance israélite universelle (Paris), de l’Institut Catholique (Paris) et du Pontificio Is- tituto Biblico (Rome) qui m’ont aimablement autorisé à accéder à leurs fonds. 1 J. Odé, Commentarius de angelis, Utrecht, Matthys Visch, 1739 (2e éd., ibid., 1755). Quelques années plus tôt, en 1732, Odé avait présidé à huit disputationes theologicae de angelis à l’Université d’Utrecht. Sur l’auteur, voir J. Chr. Adelung- W. Rotermund, Fortsetzung und Ergänzungen zu Christian Gottlieb Jöchers Allgemei- nen Gelehrten-Lexikon, worin die Schriftsteller aller Stände nach ihrer vornehmsten Lebensumständen und Schriften beschrieben werden, Brême, 1816 (rééd., Hildes- heim-Zürich-New York, 1998), V, p. 923, s. v. Ode Jacob [le Commentarius est ici étrangement daté de 1734 (sic)]; P. C. Molhuysen, J. P. Blok et L. Knappert, Nieuw nederlandsch biografisch woordenboek, V, Leyde, 1921, p. 382-383, s. v. Odé (Jaco- bus). Odé ne figure ni dans J. P. De Nie-Joosjes, Biographisch woordenboek van pro- testantsche godgeleerden in Nederland, La Haye, 1919-1949 (l’ouvrage n’a pas été continué après l’article Linden), ni dans les cinq volumes parus à ce jour de D. Nau- ta et al., Biographisch lexicon voor de geschiedenis van het nederlandse protestan- tisme, Kampen, 1978-2001. Il faudra attendre 2011 pour disposer d’une histoire de l’université d’Utrecht (cf. M. Wingens, Stand van zaken van de projecten geschied- schrijving van de Nederlandse Universiteiten, januari 2001, dans Nieuwsbrief univer- siteitsgeschiedenis. Lettre d’information sur l’histoire des universités, 2001 (http://www.kuleuven.ac.be/archief/studgen/nbr/2001–1/Bijdragen.htm). MICHEL-YVES PERRIN «RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS» QUELQUES OBSERVATIONS NOUVELLES D’ORDRE HISTORIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE * En 1739, un libraire d’Utrecht, Matthys Visch, publiait un imposant in- quarto de plus de mille pages intitulé Commentarius de angelis, dû à la plume d’un docteur en philosophie et théologie, professeur ordinaire d’as- tronomie et de physique expérimentale à la faculté de la ville, nommé Ja- cob Odé (1698-1751)1. De cet ouvrage qui constitua en terre protestante jus- qu’à la fin du XIXe siècle et, en quelques cas, le début du suivant, une ré- 670 MICHEL-YVES PERRIN . 2 Voir par exemple, H. Cremer, s. v. Engel, dans Realencyklopädie für protestan- tische Theologie und Kirche, 3e éd., Leipzig, 1898, V, p. 364-372, ou W. Lueken, Mi- chael. Eine Darstellung der jüdischen und der morgenländisch-christlichen Tradition von Erzengel Michael, Göttingen, 1898, p. 12 n. 1, 14 n. 3-4, 48 n. 2, etc. 3 J. Odé, Commentarius de angelis, cit. n. 1, p. 896-993. 4 G. J. Vossius, De theologia gentili et physiologia christiana; sive de origine ac progressu idolatriae; deque naturae mirandis, quibus homo adducitur ad Deum, Libri IV, Amsterdam, Jan et Cornelis Blaeu, 1641. Une nouvelle édition, dédiée à Colbert, parut en 1668 avec l’adjonction de cinq livres inédits, tirés des papiers de son père par Isaac Vossius. [cf. C. S. M. Rademaker, Life and work of Gerardus Joannes Vos- sius (1577-1649), Assen, 1981 (Respublica Literaria Neerlandica, 5), p. 291, 306-309, 351, 368-369]. Odé se réfère à cet ouvrage dès l’ouverture du chapitre ici considéré (Commentarius de angelis, p. 897). Pour le débat sur l’idolâtrie à l’époque moderne, voir C. M. N. Eire, War against the idols : the reform of worship from Erasmus to Calvin, Cambridge, 1986; F. Schmidt, Les polythéismes : dégénérescence ou progrès?, dans Id. (éd.), L’impen- sable polythéisme. Études d’historiographie religieuse, Paris, 1988, p. 13-91 (part. p. 20-22); R. H. Popkin, The crisis of polytheism and the answers of Vossius, Cud- worth and Newton, dans J. E. Force et R. H. Popkin (éd.), Essays on the context, nature and influence of Isaac Newton’s theology, Dordrecht-Boston-Londres, 1990 (Archives internationales d’histoire des idées, 129), p. 9-25; M. Mulsow, John Seldens De diis Syris : Idolatriekritik und vergleichende Religionsgeschichte im 17. Jhdt, dans Archiv für Religionsgeschichte, 3, 2001, p. 1-24. G. G. Stroumsa, John Spencer and the roots of idolatry, dans History of religions, 41, 2001, p. 1-23. 5 I. Bartolocci da Celleno, Qiryat Sefer. Bibliotheca Magna Rabbinica. De Scripto- ribus, et scriptis hebraicis, ordine alphabetico hebraice et latine digestis. Pars Prima, Rome, Typographia Sacrae Congregationis de Propaganda Fide, 1675. L’œuvre férence inexpugnable de presque toute étude sur les anges2, la neuvième et avant-dernière section3 porte de cultu angelorum et s’applique à retracer l’histoire et les développements de cette «superstition papiste». Cette pé- nultième partie faisait écho à la Theologia gentilis et physiologia christiana de Geerard Jan Vos (1577-1649), le grand Vossius, qui avait tenté de dévoi- ler, près d’un siècle plus tôt, l’origine et les progrès de l’idolâtrie4 : en effet avant d’examiner ce qu’il en fut du culte des anges dans le christianisme, des prohibitions scripturaires et patristiques aux pratiques des hérétiques et des papistes, Odé envisageait l’histoire de ce culte chez les païens et chez les Juifs. Une telle prise en considération des usages et croyances juifs n’avait, à cette date, rien d’inédit, mais s’inscrivait dans le sillage d’une polémique qu’avait contribué à enfler , plus d’un demi-siècle auparavant, en 1675 très exactement, la publication du premier tome de la Bibliotheca Magna Rabbi- nica du cistercien et scriptor hebraicus de la Bibliothèque Vaticane, Giulio Bartolocci (1613-1687)5. En effet dans la notice qu’il consacrait à Éliézer 671 RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS . comporta au total quatre volumes et fut achevée en 1693 par Carlo Giuseppe Imbo- nati. Un reprint en a été publié par la maison d’édition, Gregg, à Farnborough, en 1965-1968. Sur Bartolocci, voir G. Garbini, s. v. Bartolocci, dans Dizionario biografi- co degli Italiani, VI, Rome, 1964, p. 669-670, et M. Silvera, Rashi et l’étude du peuple juif dans la Bibliotheca Magna Rabbinica de Giulio Bartolocci, dans G. Sed-Rajna éd., Rashi 1040-1990. Hommage à Ephraïm E. Urbach. Congrès européen des Études juives, Paris, 1993, p. 507-522 (ici, p. 508-509). 6 I. Bartolocci, op. cit. n. 5, p. 192-216. Sur Éliézer Ha-Kalir, voir Encyclopedia Judaica, X, Jérusalem, 1971, s. v. Kallir, Eleazar, col. 713-715, et P. Lenhardt, s. v. Ka- lir, Eleazar, dans Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexikon, III, Herzberg, 1992, col. 967-968. Sur les pyyutim, voir L. J. Weinberger, Jewish hymnography. A literary history, Londres-Portland, 1998 (The Littman library of Jewish civilization), part. p. 1- 72; H. Sivan, From Byzantine to Persian Jerusalem : Jewish perspectives and Jewish/ Christian polemics, dans Greek, Roman and Byzantine studies, 41, 2000, p. 277-306 (ici, p. 279-282). 7 I. Bartolocci, op. cit. n. 5, p. 197-198 : Hanc angelorum invocationem contra antiquissimum Iudaeorum placitum, et universae Synagogae dogma respuit Ioseph Al- bo in Ikarim lib. 2 cap. 28. (...). Cui respondetur : quod antica synagoga, sicut et eccle- sia catholica, orationem non dirigebat ad angelos, vel sanctos, sed ad Deum. Neque vir- tutem per angelorum nomina vetus synagoga respiciebat, sicut nec Ecclesia Catholica, sed eos orabat tanquam Dei dilectos et administratorios spiritus, in ministerium mis- sos propter eos, qui hereditatem capiunt salutis. (...). Fuit haec perpetua Synagogae sententia, quam usque ad hodiernum diem retinet, quamvis indoctiores Iudaei, ut ali- quid semper contra Ecclesiam Catholicam dicere videantur, illam negent. – Voir Jo- seph Albo, Sefer ha-{Ikkarim II, 28 (I. Husik, Sefer ha-{Ikkarim. Book of Principles by Joseph Albo, critically edited on the basis of manuscripts and old editions and provided with a translation and notes, II, Philadelphie, 1930, p. 172-186 (ici p. 184-185) : «This shows the error of those who mention the names of the angels for the power which they exert in their personal capacity. But this is precisely what is forbidden in the commandment : “Thou shalt have no other gods before Me”, as we said before. The origin of the error is because there are certain prayers of ancient authorship contai- ning special names of angels. Hence they thought that it is permissible to include all the names in the prayer. But it is not so. No name may be mentioned in the uploads/Litterature/ mefr-1123-9883-2002-num-114-2-9247.pdf
Documents similaires










-
26
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 05, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2239MB