Dix-huitième Siècle Le prétexte anatomique Michel Delon Abstract Michel Delon :
Dix-huitième Siècle Le prétexte anatomique Michel Delon Abstract Michel Delon : The anatomical pretext. Medical and marriage treatises (Venette, de Lignac) describe male and female sexual organs ; certain thought systems, often inherited from Antiquity, enabled them to account for similarities and differences, and form the basis for a theory of generation, and a social hierarchy. The dual trend to identification and différenciation can have different ideological functions. This article analyses these ambiguities and contradictions of classical anatomical descriptions, on the basis of its questions (who is decisive for procreation ? Who has the most pleasure ?), its hesitations (the role of female seminal fluid and the clitoris). It is no doubt in literature that the ideological presuppositions of such writings are best exposed (Diderot, Sade). Citer ce document / Cite this document : Delon Michel. Le prétexte anatomique. In: Dix-huitième Siècle, n°12, 1980. Représentations de la vie sexuelle. pp. 35-48; doi : 10.3406/dhs.1980.1267 http://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1980_num_12_1_1267 Document généré le 19/04/2017 LE PRETEXTE ANATOMIQUE Si l'âge classique postule à la fois l'unité du monde et sa lisibilité, la division des sexes et les mécanismes de la procréa¬ tion représentent une difficulté théorique. La différence des organes et des fonctions s'impose comme une évidence, mais ne s'inscrit pas d'emblée dans les grilles dominantes du savoir. Les deux sexes doivent être assez semblables ou suffisamment analogues pour que restent possibles leur jonction et leur action commune, mais aussi suffisamment dissemblables pour ne pas se perdre dans une indifférence qui ruinerait tout autant le prin¬ cipe de génération. La partition de l'espèce est maintenue entre ces deux risques antagonistes de l'indépendance et de l'indiffé¬ rence. De tels risques mettent en cause le centralisme selon lequel le classicisme cherche à penser le monde sur le modèle religieux et politique. La trop grande différence porte atteinte à l'unité, la trop grande similitude à la hiérarchie. Tout doit être conçu comme rayonnant à partir d'un centre divin ou royal. La division des sexes ne peut déboucher sur une rivalité des pouvoirs, sur une contradiction entre des éléments actifs d'égale efficacité. Dans leur forme comme dans leur fonction, les deux sexes obéissent à un même schéma, unique et orienté. Ils sont soumis à un ordre qui leur impose une fin commune et une place différente, soit, en d'autres termes, sens et préséance. Pareille problématique peut être étudiée dans l'ensemble des discours qui portent sur ce que nous appelons aujourd'hui sexualité. On se propose d'isoler la description des organes masculins et féminins, sans entrer directement dans le dédale des théories et des mythes de la génération 1, à l'intérieur de trois types de textes : des textes médicaux (traités d'anatomie 1. Dédale débrouillé par E. Guyénot, Les Sciences de la vie aux 17* et 18e siècles (Paris, 1957) et J. Roger, Les Sciences de la vie dans la pensée française du 18' siècle (Paris, 1963). Voir aussi P. Darmon, Le Mythe de la procréation à l'âge baroque (Paris, 1977). 36 MICHEL DELON et de physiologie, de chirurgie, d'obstétrique) 2, des ouvrages de vulgarisation et de préparation au mariage (Venette et de Lignac) 3, des textes littéraires (Diderot et Sade principalement). Cette répartition est discutable dans la mesure où la catégorie de littérature semble aussi sujette à caution et anachronique que celle de sexualité. Certaines œuvres de Diderot comme les Elé¬ ments de physiologie pourraient s'inscrire mieux sous la rubrique « Médecine » ou « Sciences de la vie » que dans le champ litté¬ raire. Mais il n'est pas question ici de constituer des discours homogènes, à rapporter à telle institution ; il s'agit au contraire de suivre la circulation de l'information et des hypothèses d'un texte à l'autre et de voir se former, en marge du progrès scientifique proprement dit, un discours différent sur la diffé¬ rence des sexes. On pourrait même risquer l'hypothèse d'une articulation entre l'émergence, au 18e siècle, des deux catégories de sexualité et de littérature. L'Antiquité fournit jusqu'à l'âge classique les principaux schémas de pensée pour rendre compte de la similitude et de la différence des sexes. La femme est définie par rapport à l'homme comme manque, comme excédent ou, selon une théorie plus élaborée, comme inversion. Ce dernier modèle est intéres¬ sant, car il tente de penser en même temps une identité et un principe de transformation qui fasse passer d'un sexe à l'autre. Galien établit ainsi une équivalence entre les ovaires, l'utérus et le vagin d'une part, les testicules et la verge de l'autre. Les organes masculins ne seraient que le renversement et l'extériori- 2. Ont été privilégiés deux ensembles de traités d'anatomie datant respec¬ tivement de la fin du 17e siècle et de la seconde moitié du 18e : 1° Louis Barles, Les nouvelles découvertes sur les organes des femmes servant à la génération (Lyon, 1674), et Les nouvelles découvertes sur les organes des hommes servant à la génération (Lyon, 1675) ; Claude Brunet, Traité raisonné sur la structure des organes des deux sexes destinés à la génération (Paris, 1696) ; Reinier de Graaf, Histoire anatomique des parties génitales de l'homme et de la femme qui servent à la génération (Bâle, 1699) ; Jean Palfyn, Description anatomique des parties de la femme qui servent à la génération (Leyde, 1708). 2° Buffon et Daubenton, Histoire naturelle , générale et particulière (Paris, 1749-1767); Gautier d'Agoty, Anatomie des parties de la génération de l'homme et de la femme (Paris, 1773) ; Haller, La génération ou exposition des phénomènes relatifs à cette fonction naturelle (Paris, 1774). A quoi s'ajoutent, à titre de repères, quelques traités de chirurgie et d'obstétrique : Pierre Dionis, Cours d'opérations de chirurgie (Paris, 1707) ; Mme de La Marche, Instruction fami¬ lière et utile aux sages-femmes, nelle éd. (Paris, 1710); Mme Le Boursier du Coudray, Abrégé de l'art des accouchements (Paris, 1759). 3. Venette, Tableau de l'amour considéré dans l'état du mariage, nelle éd. (Parme, 1696). Ce livre a connu un immense succès jusqu'au 19e siècle; A. Vartanian en parle comme d'un « best-seller international ». Il a été imité par de Lignac, De l'Homme et de la Femme considérés physiquement dans l'état du mariage (Lille, 1772). LE PRETEXTE ANATOMIQUE 37 sation des organes féminins. Sa théorie dont on peut suivre la trace durant le Moyen Age et la Renaissance4 reste vivace au 18e siècle. Réfutée ou réactivée, elle est partout présente. Si de Graaf, par exemple, s'occupe à la critiquer et la déclare ridicule 5, c'est qu'elle continuait à avoir cours. « Quelle pro¬ portion y a-t-il entre la matrice et le gland, ou si l'on veut la bourse de l'homme, entre le membre viril et le clitoris ? » demande Venette qui est, lui aussi, adversaire de la thèse de Galien 6. Mais le terme proportion n'est pas sans faire problème, car les traités vantent également la prévoyance de la Nature et les bonnes proportions qui adaptent les organes masculins au réceptacle féminin. Il faut écarter une relation d'équivalence, mais conserver un rapport de complémentarité ; éviter l'identi¬ fication, mais maintenir l'adéquation fonctionnelle. S'il est vrai que de Graaf est un observateur scrupuleux des ovules et par là un partisan de la spécificité féminine, la thèse de Galien n'est pas pour autant une simple construction de l'esprit, démentie par l'expérience. Daubenton disséquant des foetus note l'équivoque sexuelle et conclut à une analogie entre organes masculins et féminins. Il contamine l'hypothèse de l'identité inversée et celle de l'organe supplémentaire, la matrice. Il explique que la femme possède « un viscère de plus que l'homme » (II, 199) ; ce viscère bloque le développement des autres organes génitaux qui ne peuvent s'extérioriser. Quelques années plus tard, l'Encyclopédie mentionne ce texte de Dau¬ benton et le compare avec la tradition de Galien 7. Diderot qui suit avec attention de tels débats, adopte des 4. La matrice est « instrument de génération des femmes semblable aux instruments de génération des hommes, fors en tant qu'il est envers » (La Chirurgie de Maître Henri de Mondeville [1314], rééd. Paris, 1897-1898, p. 418). Elle « est comme la verge renversée, ou mise au-dedans » (Guy de Chauliac, La Grande Chirurgie [1363], rééd. Paris, 1890, p. 67). «Ce que l'homme a au dehors, la femme l'a au dedans » ( Les Œuvres d'Ambroise Paré, 11e éd., Lyon, 1652, p. 86). 5. II, 43. Galien est également critiqué par Haller (I, 97). Voir J. Mayer, Diderot, homme de sciences (Rennes, 1959), p. 265, et P. Hoffmann, La Femme dans la pensée des Lumières (Paris, 1977), p. 101-103. 6. Venette, p. 14. Voir Palfyn : « Il n'y a aucune proportion entre le col de la matrice et la grandeur et la figure du membre viril » (II, 190). 7. Art. Femme (Anthropologie). Voir P. Charbonnel, « Repères pour une étude du statut de la femme dans les préoccupations morales, économiques et sociales de quelques philosophes », Etudes sur le 18' siècle, III (Bruxelles, 1976) ; Y. Knibiehler, « Les médecins et la nature féminine au temps du Code civil », Annales, 1976, 4 et « Le discours médical uploads/Litterature/ michel-delon.pdf
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- Publié le Jan 26, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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