Michel Serres, Récits d'humanisme Le Pommier, 2006, 218 pages L'humanisme est t

Michel Serres, Récits d'humanisme Le Pommier, 2006, 218 pages L'humanisme est toute théorie ou doctrine qui prend pour fins la personne humaine, ses valeurs et son épanouissement. Michel Serres, de l'Académie française et professeur à Stanford University, a publié de nombreux essais d'histoire et de philosophie des sciences et il nous convie ici à un voyage humaniste. Sa passion de conteur est appréciée et chacun connaît sa voix à la pointe d'accent gascon qui entraîne l'auditeur dans une réflexion nonchalante et discursive. Le récit écrit est plus difficile à appréhender et il en convient volontiers : « Il m'arrive donc de prêter moins attention à la véracité du dire qu'à son aura, sa brillance possible, l'enthousiasme qu'il communique et la chaleur qu'il propage ; voilà pourquoi voguant sur les ondes longues de la voix, je parle mieux que je n'écris. » Le propos est ambitieux : livrer le « Grand Récit » de l'aventure humaine en reconstituant ce qu'il est impossible de savoir et en réunissant les vérités des connaissances aux croyances des mythes et religions. L'histoire de l'homme est celle de l'individu, de l'autre, du groupe, des peuples. Vouloir tout relater depuis le chaos de l'univers jusqu'à nos vies contemporaines ne produit pas une histoire linéaire et objective. L'auteur invente le trajet des premiers hommes depuis leur continent berceau, l'Afrique, pour coloniser toute la planète ; au cours de leur errance, ils ont été soumis à la sélection naturelle darwinienne : les plus faibles ont été abandonnés et les plus forts et courageux se sont adaptés à de nouveaux milieux. Depuis, chaque voyage n'est pas une découverte, mais un retour puisque le chemin a déjà été parcouru. Pour Michel Serres, raconter et imaginer ce qui nous a précédés est un devoir de mémoire, des retrouvailles après les séparations. La reconstitution de l'arbre généalogique d'Homo sapiens, pour accéder à l'homme universel, permettrait de répondre aux questions : « qui suis-je ? » et « qui es-tu, toi ? ». Une phrase revient comme un leitmotiv : « Nous avons tous besoin d'un récit pour exister », même s'il est difficile de choisir entre vérité et mensonge, entre réussite, échecs et douleurs. Pour passer de soi au collectif, il faut accepter de vivre en groupe, mais cette appartenance doit-elle signifier sacrifice, engagement et acceptation de la violence ? Il n'est pas aisé pour chacun d'entre nous d'identifier une communauté qui risque de demeurer introuvable. Même si nous cherchons des réponses dans les mythes, les religions, la science, notre histoire s'inscrit dans le linéaire et l'inattendu. L'auteur est fasciné par la transgression d'Ève au Jardin d'Eden ; en refusant la répétition, elle a tout compris de la diversité de la vie y compris la violence et le malheur. De même la moindre modification du code génétique permet les bifurcations évolutives. En somme, toute désobéissance est créatrice, comme tout échec expérimental autorise un 1 renouveau du récit. Ce livre est un éloge de la bifurcation, même si un chercheur risque d'être incompris de son vivant et célébré après sa mort ! Au fil des pages, Dieu, souvent évoqué, est-il figé dans son dessein ou capable d'accueillir l'inattendu ? Le philosophe peut être un guide pour le lecteur ou l'amener à exercer sa liberté. Il nous faut nous débrouiller avec notre histoire sans savoir où nous allons et l'aimable conteur risque de nous laisser en plein désarroi. Décidément ce nouvel humanisme n'est pas forcément celui de l'apaisement. Le Banquet, n°24, 2007/1. 2 uploads/Litterature/ michel-serres.pdf

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