Michel Vâlsan - Références islamiques du « Symbolisme de la Croix ». La signifi

Michel Vâlsan - Références islamiques du « Symbolisme de la Croix ». La signification ésotérique du signe de la croix fut énoncée par René Guénon pour la première fois dans un article intitulé « La Prière et l'Incantation », publié, sous le pseudonyme T Palingénius, dans La Gnose du début 1911 (1). Parlant de l'incantation comme mode de travail initiatique, tout intérieur en principe, mais pouvant être exprimé et soutenu extérieurement par des paroles ou des gestes, l'auteur disait que le but final à atteindre en était « la réalisation en soi de l'Homme Universel, par la communion parfaite de la totalité des états de l'être, harmoniquement et conformément hiérarchisés, en épanouissement intégral dans les deux sens de l'ampleur et de l'exaltation ». En note, il ajoutait la précision suivante : « Cette phrase contient l'expression de la signification ésotérique du signe de la croix, symbole de ce double épanouissement de l'être, horizontalement, dans l'ampleur ou l'extension de l'individualité intégrale (développement indéfini d'une possibilité particulière, qui n'est pas limitée à la partie corporelle de l'individualité), et verticalement, dans la hiérarchie indéfinie des états multiples (correspondant à l'indéfinité des possibilités particulières comprises dans l'Homme Universel) ». (2) Dans les livraisons suivantes de la dite revue, Guénon revenait sur ce thème avec un article intitulé précisément « Le Symbolisme de la Croix », lequel, comme on le sait, fut la première ébauche du livre qui devait paraître sous le même titre, vingt années plus tard (3). Cependant il n'y faisait aucune référence explicite à des sources islamiques, alors que la notion de l'« Homme Universel » et celles d'« ampleur » et d'« exaltation » s'y rapportaient indubitablement. Toutefois, à ne considérer que la collection de La Gnose, on comprend naturellement que l'occasion d'aborder un tel sujet, qui sous sa plume devait trouver une fortune exceptionnelle, lui avait été offerte par la publication, dans un numéro précédent, de la traduction faite par Abdul-Hâdi (John Gustaf Aguéli) d'un petit traité du Tasawwuf présenté sous le titre suivant : « Epître intitulée Le Cadeau, sur la manifestation du Prophète, par le Sheikh initié et inspiré Mohammad ibn Fazlallâh El-Hindî » (4). Cet écrit apportait en effet une donnée doctrinale de premier ordre pouvant être rattachée immédiatement au symbolisme de la croix, bien que son texte ne comportât pas de référence expresse à la croix elle-même ; cette donnée se trouve dans un passage que nous allons citer et qui venait après une énumération des Sept Degrés de l'Existence Universelle. En conservant le lexique du traducteur, mais en résumant le texte, ces degrés sont les suivants (par différence des simples parenthèses, les mots entre crochets sont ajoutés par nous) : 1° L'Inassignable ou l'Absolu, qu'on désigne par le nom de « l'Unité Pure ». 2° La première assignation, qui est la conscience que Dieu possède de Sa quiddité, de Ses attributs et de tous les êtres créés d'une façon générale ou synthétique ; ce degré s'appelle la « Vérité de Muhammad » [nous dirions plutôt la « Réalité Muhammadienne »]. 3° La seconde assignation, qui est la conscience que Dieu possède de Sa quiddité, de Ses attributs et de tous les êtres créés en mode distinctif et analytique. 4° Les esprits [ou plutôt « le monde des esprits purs »], C’est-à-dire les créatures abstraites et simples qui se manifestent en leurs essences premières. 5° Le monde des formes premières, c'est-à-dire les créatures subtiles, mais composées, qu'on ne peut diviser (sans qu'elles cessent d'être ce qu'elles sont). 6° Le monde des corps, c'est-à-dire les choses grossières qu'on peut fractionner ou diviser (sans qu'elles changent foncièrement de nature). 7° Le degré universel qui englobe les cinq immédiatement précédents et qui est l'homme. Tout de suite après cette énumération on a le passage qui nous intéresse : « Le premier de ces 7 « plans » est celui du « Non-Manifesté », tandis que les 6 autres comprennent toute la manifestation ou l'« expansion ». Lorsque l'homme dans le septième (et dernier) « degré » s'exalte vers le sublime, lorsque surgissent en lui les autres (cinq) « plans » en parfait épanouissement, il est « l'homme universel ». L'exaltation ainsi que l'ampleur ont atteint leur apogée en notre Prophète — qu'Allâh prie sur lui et le salue ! — » (5). Ce passage, modifié quant au style — car, retraduit pourrait-on dire — fut repris par Guénon comme citation expresse de « L'Epître de Fazlallâh El-Hindî », seulement en 1931, dans le cadre du Symbolisme de la Croix (Ch. III), lorsque, ayant employé les termes « ampleur » et « exaltation », il eut à préciser que ceux-ci étaient empruntés au langage de l'ésotérisme islamique (6). Mais à cette occasion il ajoutait une autre donnée islamique de source ésotérique : « Ceci permet de comprendre cette parole qui fut prononcée il y a une vingtaine d'années, par un personnage occupant alors dans l'Islam, même au point de vue exotérique, un rang fort élevé : « Si les Chrétiens ont le signe de la croix, les Musulmans en ont la doctrine. » (7) Puisqu'il n'a été indiqué nulle part, ni par Abdul-Hâdi, ni par René Guénon, ni par quelque autre auteur, quels sont les termes arabes rendus par les mots « ampleur » et « exaltation » — alors que toute une génération d'écrivains d'esprit traditionnel utilise maintenant les termes français correspondants ou leurs équivalents dans d'autres langues occidentales — nous allons les transcrire ici, mais nous devons aussi prévenir qu'il s'agit en vérité de deux « notions » complémentaires, exprimables par différents couples de termes plutôt que d'un couple unique de termes particuliers. Ainsi, tout d'abord, dans le texte arabe de l'Epître de Fazlallâh El-Hindî (8) ces termes sont : inbisât pour « ampleur » et ‘urûj pour « exaltation ». Pris dans leurs sens ordinaires, le premier signifie proprement « extension » et le deuxième « montée » ; ils ne désignent donc pas les dimensions expresses d'une croix, mais des tendances et des mouvements qu'on peut axer symboliquement sur ces dimensions. On peut remarquer de toute façon qu'en tant que désignation de phases de la réalisation initiatique, ils correspondent respectivement aux deux parties du Voyage Nocturne du Prophète, symbole par excellence du voyage initiatique : la première appelée Isrâ' (Transfert nocturne), allant de la Mecque à Jérusalem et correspondant à la dimension horizontale de la croix (9), la deuxième, céleste, désignée par le terme Mi’râj (Moyen d'Ascension, Echelle) (10) correspondant à la dimension verticale et aboutissant au Seigneur de la Gloire Toute-Puissante, fin qui est située à l'« intervalle des deux arcs (qâba qawsayn), ou plus près (adnâ) » ce qui est une expression du passage au-delà de la Dualité (11). (1) Cet article refondu et complété fut repris, avec le même titre, comme chapitre XXIV des Aperçus sur l'initiation (1946).— Mais nous pouvons attester, pour l'avoir lu, que le symbolisme de la croix avait déjà fait l'objet de certaines considérations spéciales dans les conférences tenues par Guénon, au début de 1908, au cercle ésotérique de l'Ordre du Temple Rénové à une date où il n'avait pas encore commencé à publier. (2) La Gnose, janvier 1911, p. 26. Le passage du texte se retrouve quelque peu modifié dans les Aperçus sur l'initiation, p. 173 de la 1ère édition (1946), et p. 170 des 2ème (1953) et 3ème (1964) éditions ; la note y est remplacée par un simple renvoi au livre du Symbolisme de la Croix, paru depuis 1931. (3) Sur les éditions de ce livre et les remarques circonstancielles qui s'imposent voir notre chronique des « Livres » dans les E. T. de janvier-février 1971, pp. 35-40. (4) La Gnose, déc. 1910 : les « Notes » de cette traduction parurent distinctement dans le n° de janvier 1911. (Rappelons à l'occasion que ce traité a été réimprimé dans Le Voile d'Isis de juin 1935). (5) Ib., déc. 1910, p. 271. (6) Avant cela, Guénon avait déjà indiqué, une première fois tout au moins, l'origine de ces deux termes, dans l'Esotérisme de Dante, ch. VI, mais sans avoir eu à citer l'Epître dont nous parlons. (7) On sait que ledit personnage est le Cheikh Elîsh El-Kébîr à la mémoire vénérée duquel Guénon dédiait Le Symbolisme de la Croix. — Ajoutons que, d'après une certaine mention privée, Guénon reconnaissait à ce maître le degré initiatique du Rose-Croix effectif. (8) Le titre arabe en est : At-Tuhfat al-mursala ilâ-n-Nabî = « Le Cadeau envoyé au Prophète ». L'auteur, dont Abdul- Hâdi avouait ne savoir que le nom, s'appelle plus complètement et en une transcription à peine plus convenable, Mohammad Ibn Fazlallâh al-Hindî al-Burhanapurî (ce qui indique vraisemblablement une lignée familiale indienne et une origine personnelle de la ville de Burhanapur) est un auteur des 10° et 11° siècles de l'Hégire, mort plus exactement en 1029/1620. (9) René Guénon dit, dans L'Esotérisme de Dante, ch. V, que l'Isrâ’ est une descente aux régions infernales ; de fait, d'après les textes des hadîths qui en parlent, ce voyage correspond par uploads/Litterature/ michel-valsan-re-fe-rences-islamiques-du-symbolisme-de-la-croix.pdf

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