MIDEO 31 – 2016 Spécimen auteur « La Nuit du Qadr » (Coran, sourate 97) dans le
MIDEO 31 – 2016 Spécimen auteur « La Nuit du Qadr » (Coran, sourate 97) dans le Shi’isme ancien (Aspects de l’imamologie duodécimaine XV) 1 MOHAMMAD-ALI AMIR-MOEZZI ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES (SORBONNE) Au Nom de Dieu, le Clément le Miséricordieux. 1. Oui, Nous l’avons fait descendre pendant la Nuit du Qadr. 2. Et qu’est-ce qui peut te faire comprendre ce qu’est la Nuit du Qadr ? 3. La Nuit du Qadr est meilleure que mille mois ! 4. En elle, les anges et l’Esprit descendent avec la permission de leur Seigneur pour tout ordre. 5. Elle est paix jusqu’à la pointe de l’aurore 2. 1. Cet article est le quinzième d’une série consacrée à l’imamologie duodécimaine. Les dix premiers sont réunis maintenant dans Amir-Moezzi, La religion discrète, (chapitres 3 et 5 à 14 ; trad. anglaise : The Spirituality of Shiʿi Islam) ; les suivants sont : « Icône et contemplation : entre l’art populaire et le soufisme dans le shi’isme imamite (Aspects de l’imamologie duodécimaine XI) » (paru aussi dans Differenz und Dynamik im Islam, p. 473-492 (trad. anglaise dans Khosronejad (ed.), The Art and Material Culture of Iranian Shi’ism, p. 25-45) ; « Dissimulation tactique (taqiyya) et scellement de la prophétie (khatm al-nubuwwa) (Aspects de l’imamologie duodécimaine XII) », p. 411-438 ; « Les cinq esprits de l’homme divin (Aspects de l’imamologie duodécimaine XIII) », p. 297-320, « ʿAlī et le Coran (Aspects de l’imamologie duodécimaine XIV) », p.669-704. 2. Bi smi llāhi r-raḥmāni r-raḥīm/innā anzalnāhu fī laylati l-qadr/wa mā adrāka mā laylati l-qadr/ laylatu l-qadri ḫayrun min alfi šahr/tanazzalu (?)l-malāʾikatu wa r-rūḥu fīhā bi iḏni rabbihim min kulli amr/salāmun hiya ḥattā maṭlaʿi l-faǧr. 182 mohammad-ali amir-moezzi Spécimen auteur 3. La compréhension (et donc la traduction) de cette sourate pose d’innombrables problèmes, presque à chaque ligne. On le verra encore plus loin au sujet de son mot-clé al-qadr, qui a également été lu al-qadar. La première lecture semble cependant préférable car elle correspond à la rime de la sourate formée sur le schème « consonne/voyelle a/consonne non vocalisée/la lettre r (qadr, šahr, ’amr, faǧr). Selon certains savants musulmans médiévaux, il faut diviser le verset 4 en deux, ce qui donne un total de six versets et non cinq ; voir Marcotte, 2002. 4. Rien qu’à travers les traductions françaises du Coran, nous avons une riche gamme de termes pour rendre ce mot qui qualifie une mystérieuse nuit sainte : « La nuit de la destinée » (Blachère, Hamidullah), « la nuit du décret » (Masson, Grosjean), « la nuit du destin » (Khawam), « la nuit grandiose » (Berque), « la nuit de la prédétermination » (Abu-Sahlieh), « la nuit sublime » (Ould Bah). De plus, la racine à laquelle appartient notre mot a également le sens de « pouvoir, puissance » (d’où le titre de l’article cité dans la note précédente) ou encore celui de « valeur, prix, mesure ». Voir Azmoudeh, 2007, p. 608-609. 5. Par ex. Wensinck, 1925 ; Goitein, 1929 (article repris et développé dans “Ramadan, the Muslim Month of Fasting”), p. 1-17; Wagtendonk, 1968, p. 82 sqq., 92 sqq., 112 sqq. ; Lohmann, 1969 ; Manzoor, 1986 ; Ahmad, 1989-93 ; Sells, 1991 ; Alves, 1993 ; Cuypers, 2000 ; 2014, p. 213-217. 6. Lüling, 2002, p. 147 sqq. (traduction révisée de : id., Über den Ur-Qur’ān) ; Bassetti-Sani, 1977, p. 153 sqq. ; Shoemaker, 2003, p. 11-39 (cette étude concerne la sourate 19 et non 97) ; Luxenberg, 2004 ; Dye, 2011 (où, dans les notes 3 et 4, d’autres études sur le sujet sont énumérées). Van Reeth, 2015, p. 225-250. Cette thèse était déjà celle du moine chrétien éthiopien ʿEnbāqom au xvie siècle dans sa Anqaṣa amīn (La porte de la foi), p. 73 (cité par Cuypers, 2014, p. 213-214). Mises à part des prises de position idéologiques personnelles notamment dans l’introduction, l’imposant recueil d’articles d’auteurs divers sur le sujet réunis par Ibn Warraq est d’une grande utilité : Ibn Warraq, 2015. Voici un « essai de traduction » – pour reprendre la pertinente expression de Jacques Berque – de l’énigmatique sourate 97, appelée al-Qadr (ou Innā anzalnāh, en référence à ses premiers mots) et une des plus courtes du Coran 3. Le terme qadr possède de nombreuses et très différentes significations et c’est la raison pour laquelle, tout comme Kazimirski dans sa traduction du Coran, j’ai préféré garder l’original arabe 4. La sourate, dans son ensemble ou pour certains de ses éléments, a fait l’objet d’un nombre assez important d’études monographiques 5. Par ailleurs, d’après quelques recherches, notamment celles, récentes et fort documentée, de Stephen Shoemaker et de Guillaume Dye, il semble maintenant plausible que les péricopes coraniques sur la naissance du Christ, y compris notre sourate, aient pu tirer leur origine d’un ou de plusieurs textes chrétiens sur la Nuit de la Nativité de Jésus 6. Mon propos ici ne concerne pas la sourate al-Qadr en elle-même, ni sa « préhistoire », mais les perceptions shi’ites anciennes à son endroit et les usages doctrinaux que les shi’ites en font ; sujet qui, à ma connaissance, n’a pas encore été étu- dié. Cependant, comme on le verra à la fin de cet examen, certaines de ces « la nuit du qadr » (coran, sourate 97) dans le shiʿisme ancien 183 Spécimen auteur 7. Šahru ramaḍāna l-laḏī unzila fīhi l-qur’ānu hudan li l-nās… 8. Innā anzalnāhu [i.e. al-kitāb al-mubīn ] fī laylatin mubārakatin… représentations shi’ites peuvent être rapprochées des origines chrétiennes probables du texte coranique. Malgré le caractère aussi mystérieux que lapidaire de la sourate, la quasi-totalité des exégètes musulmans du Coran en ont fait le récit d’un des évènements les plus importants de leur religion, à savoir l’avènement de la révélation du Livre saint. Pour cela, ils ont notamment rapproché cette sourate de deux autres fragments coraniques : le début du verset 2 :185 (Le mois de Ramaḍān pendant lequel fut révélé le Coran comme un guide pour les hommes…) 7 et le début du 44 :3 (Certes, Nous l’avons révélé [l’Écrit éclairant du verset précédent] pendant une nuit bénie…) 8. Le résultat de ces exégèses coraniques combiné avec quelques ḥadīṯ-s ont abouti, à quelques tâtonnements près, à la conclusion traditionnelle selon laquelle la sourate 97 est le récit allusif de l’avènement de la réception de la Parole divine par Muḥammad, par l’intermédiaire de l’Esprit saint identifié à l’ange Gabriel, pendant une nuit (généralement impaire) de la dernière décade du mois de Ramadan. Il y a divergence sur la modalité et le contenu exacts de cette première révélation ainsi que sur la date précise de cette nuit. Toujours est-il qu’il est conseillé aux Musulmans de pratiquer des veillées pendant la dernière décade du mois de jeûne afin de ne pas rater cette « nuit bénie » où les portes du ciel semblent ouvertes, la communication avec Dieu plus facile, l’exaucement des prières plus plausible et le pardon des fautes plus sûr. Pour les mystiques, la Nuit du Qadr devient progressivement un « chiffre » pour désigner l’expérience spirituelle de la transcendance qui, évidemment, peut survenir à n’importe quel moment de l’année. Pourtant, il semble que, pour les Alides que l’on finira par appeler shi’ites, l’importance de cette sourate répondait à d’autres enjeux. Apparemment très tôt, un genre littéraire comprenant des recueils de ḥadīṯs monographiques consacrés aux bénéfices que l’on peut tirer de ce chapitre coranique a vu le jour dans les milieux shi’ites. Dans un article consacré au sujet, Hassan Ansari en cite trois exemples anciens : le Faḍl sūrat innā anzalnāh ou Ṯawāb innā anzalnāh de ʿAbd al-Raḥmān b. Kaṯīr al-Hāšimī, disciple de l’imam Ǧaʿfar al-Ṣādiq (première moitié du 2e/viiie siècle), le Faḍl innā anzalnāh d’Abū Yaḥyā ʿUmar b. Tawba al-Ṣanʿānī (début 3e/ixe siècle) ou encore le Kitāb ṯawāb innā anzalnāh d’Abū ʿAbdallāh Muḥammad b. Ḥassān al-Rāzī 184 mohammad-ali amir-moezzi Spécimen auteur 9. Ansari, 2011, p. 10-12 ; sur le livre d’Ibn Kaṯīr al-Hāšimī voir aussi Modarressi, 2003, vol. 1, p. 172. Pour d’autres indications sur la Nuit du Qadr dans les ouvrages shi’ites voir Kohlberg, 1992, index s.v. laylat al-qadr. 10. Ansari, 2011, p. 13-18 (sur d’autres sources anciennes rapportant d’Ibn al-Ḥarīsh, voir p. 17, note 41). Sur al-Ṣaffār, voir Amir-Moezzi, 1992a ; version plus développée dans Amir-Moezzi, 2011, chapitre 4 ; Newman, 2000, chapitres 5 et 7. Sur al-Kulaynī, voir id., op.cit., chapitres 4 et 7 et surtout maintenant Amir-Moezzi & Ansari, 2009, p. 191-247 ; version plus développée dans Amir-Moezzi, 2011, chapitre 5. 11. Al-Ṣaffār al-Qummī, Baṣā’ir al-daraǧāt fī ʿulūm āl Muḥammad, section 5, chapitre 3 (« bāb mā yulqī ilā al-a’imma fī laylat al-qadr »), vol. 1, p. 783, tradition no 6 ; al-Maǧlisī, Biḥār al-anwār, vol. 94, p. 23, tradition no 53. al-Zaynabī (seconde moitié du 3e/ixe siècle) 9. Cependant, ces ouvrages, tous perdus, n’auraient pas abordé le contenu de la sourate mais plutôt les vertus de sa lecture comme c’est le cas des écrits appartenant au genre plus général dit « les vertus ou uploads/Litterature/ mohammad-ali-amir-moezzi.pdf
Documents similaires
-
10
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 10, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3705MB