9/5/2015 Mystique musulmane http://asr.revues.org/1137 1/7 Annuaire de l'École

9/5/2015 Mystique musulmane http://asr.revues.org/1137 1/7 Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses Résumé des conférences et travaux 120 (2011-2012) | 2013 Islam Mystique musulmane Mystique musulmane Conférences de l’année 2011­2012 CONFÉRENCE DE PIERRE LORY p. 69­74 Résumé Le propos du cours était d’éclairer ce qui, dans l’homme, peut être qualifié de proprement « humain » selon la pensée islamique, plus particulièrement dans son versant mystique. Une étude serrée des textes principaux traitant du règne animal, de ce qui peut fonder la différence entre hommes et animaux et éventuellement la supériorité des uns sur les autres, a cherché à cerner les contours de l’« humanitude », à situer ainsi la place de l’être humain dans l’ensemble du monde créé. La conclusion générale du cours, surtout celle menée à travers la littérature proprement mystique (Ibn ‘Arabî), a mené à placer la notion de sainteté, walâya, comme axe principal de ce qui constitue fondamentalement la dignité humaine par rapport au reste de la création. 9/5/2015 Mystique musulmane http://asr.revues.org/1137 2/7 Entrées d’index Thèmes : Mystique musulmane Subjects : Muslim mysticism Texte intégral Le projet général du cours visait à cerner la notion de nature humaine dans la culture religieuse musulmane. Il importe de noter que la notion de « nature » (tab‘, tabî‘a), n’est pas islamique au départ. Elle a été introduite dans la culture musulmane par le biais de la pensée hellénique. La théologie musulmane fondée sur le texte coranique aura plutôt tendance à parler de statut (hukm) assigné par Dieu à chacune des espèces créées. À quoi correspond ce statut accordé par Dieu à Adam et à sa descendance ? Les cours des années 2011-2012 et 2012-2013 cherchent à le définir au mieux en le situant par rapport à ses deux limites extérieures : l’une inférieure, celle des animaux – l’autre supérieure, celle des anges. Il s’agit d’une hypothèse de travail, destinée à être remise en question. Le séminaire a pu remarquer en de multiples occasions qu’en culture islamique, ces frontières « inférieures » et « supérieures » sont poreuses, et que les hiérarchies qu’elles sont sensées instaurer apparaissent souvent bien instables. De nombreux humains apparaissent inférieurs aux animaux – ainsi les païens, les mondains1. Inversement, un débat très vif aura lieu en théologie quant à savoir si les anges sont supérieurs aux humains, ou bien si une préséance universelle revient en fait à ces derniers. 1 La première définition générale de l’homme qui vient à l’esprit est bien sûr celle d’animal « raisonnable » et parlant (hayawân nâtiq). Cette intelligence lui confère à première vue une supériorité complète sur le monde animal. Dans l’anthropologie musulmane classique, la personne humaine est composée d’un corps, d’une âme vitale, d’un esprit raisonnable. Les trois sont indissolublement liés, à telle enseigne que la Résurrection est affirmée sans ambigüité par le dogme comme une résurrection physique : le bienheureux seront dotés d’un corps intégral, mangeront, boiront, etc. L’animal, par contraste, possèderait bien un corps et une âme vitale, mais pas d’esprit raisonnable. Il n’est pas destiné à une vie éternelle, selon la théologie sunnite. À y regarder de près cependant, l’animal ne semble pas si fondamentalement démuni. Que représente en effet cet intellect que l’homme possède, quelle en est la portée, la finalité, la fine pointe – si ce n’est de parvenir à croire en Dieu et à obéir à ses volontés ? Le Coran est traversé de part en part par cet appel à la conversion vers Dieu, et la soumission à sa volonté, c’est là l’unique raison de son existence comme révélation. Or les sources musulmanes – Coran, hadith – et la plupart des courants de pensée en théologie comme en mystique s’accordent à considérer que les animaux ont assez d’intelligence pour reconnaître leur Créateur, et pour suivre les ordres qu’Il leur a imposés : l’ensemble du séminaire a détaillé ces positions selon les différents auteurs qui les ont affichées. La définition de l’homme comme « animal raisonnable » ne peut être considérée comme complète et satisfaisante. 2 Si l’intelligence ne semble pas un critère suffisant pour définir l’être humain, la forme physique humaine ne l’est pas plus. On trouve en effet des données scripturaires mettant en scène des humains qui ne sont pas revêtus de forme humaine. Ainsi le verset coranique dit du Pacte primordial (le mîthâq ; VII 172) a-t-il été généralement interprété comme une adresse par Dieu à une humanité encore à 3 9/5/2015 Mystique musulmane http://asr.revues.org/1137 3/7 II. Les animaux dans l’exégèse du Coran et du hadith l’état de germe (« dans les reins des fils d’Adam »). La Tradition sunnite, à la suite d’un célèbre hadith, identifie les corps des hommes à ce moment précis à une espèce de poussière (dharra). Cette interprétation paraît absurde à l’exégèse mu‘tazilite, qui refuse de concevoir un être humain sous une forme pulvérulente, privé de ses organes usuels. Dans son grand commentaire coranique, Fakhr al-dîn Râzî tâche de défendre et d’expliciter l’argumentation théologique sunnite. Il rappelle que l’homme n’est pas son corps de façon essentielle. Il est fondamentalement une substance unique, une âme raisonnable (jawhar fard, nafs nâtiqa ; vol. XV 42). Sur un registre un peu différent, une illustration est donnée dans le Coran lui-même avec l’histoire de Jésus qui parla au berceau (XIX 29), manifestant qu’il était avant tout un esprit, et secondairement une forme humaine. D’autres exemples – marginaux mais significatifs – d’humains dépourvus de la forme humaine usuelle sont fournis par les versets signalant la métamorphose (maskh) en singes et en porcs d’une communauté de transgresseurs du sabbat (Coran II 64, V 60, VII 166). Une fois transformés, ces coupables continuent d’être des humains, leur forme animale étant un châtiment. Ce châtiment sera d’ailleurs généralisé dans l’au-delà : tous les damnés acquerront des formes monstrueuses traduisant leurs états intérieurs. Des hommes peuvent donc bien habiter des formes non « humaines ». Enfin, a contrario, des êtres peuvent revêtir une apparence humaine, sans appartenir à ce genre. Les anges peuvent prendre une apparence humaine : ainsi Gabriel est-il apparu au Prophète à de multiples reprises sous une apparence « adamite ». Les djinns possèdent également une telle faculté, et cette apparence n’est pas si fantomatique, puisqu’ils peuvent même se marier et avoir des enfants avec les humains, selon une série de traditions. Dernier exemple : les éphèbes et les houris du Paradis possèdent eux aussi des corps humains, portés à un degré de beauté et de perfection inouï – mais ils ne sont pas pour autant des humains « adamites ». Au final, le trait le plus distinctif des êtres humains semble donc devoir résider ailleurs. L’intelligence des animaux, et singulièrement leur degré de conscience religieuse, sont illustrés par de nombreux passages coraniques. C’est un corbeau qui fournit à Caïn l’exemple à suivre pour traiter rituellement le cadavre de son frère en l’enterrant (Coran VI 31), l’instruisant ainsi sur une des formes primaires de la Loi religieuse – la charia – que seuls les Prophètes enseignent en principe. Les abeilles sont dites recevoir de Dieu une révélation leur enseignant le comportement à suivre (XVI 68- 69). Les oiseaux participent à la liturgie accomplie par le chant de David (XXI 79 ; XXXIV 10 ; XXXVIII 17-19). Une fourmi reconnaît le statut du roi Salomon (XVII 16- 19) et un dialogue s’engage entre eux : Salomon connaît en effet le langage des animaux2 – ce qui en passant confirme l’usage d’une langue et d’une raison chez ceux-ci. L’idée est renforcée avec le rapport du même Salomon et de la huppe dans les versets qui suivent (XXVII 20 sq.). Mais il y a plus : les animaux manifestent une réelle piété, une adoration adressée à leur Créateur. Passons sur le cas du chien des Sept Dormants (XVIII 18) accompagnant les jeunes gens dans leur mystérieux sommeil, dont la présence reste peu explicitée3. Mais l’action de grâce des animaux est évoquée explicitement dans plusieurs versets : « C’est devant Dieu que se prosternent les habitants des cieux et les animaux (dâbba) sur la terre » (XVI 48- 50) ; « Tous les êtres des cieux et de la terre rendent grâce à Dieu, mais vous ne 4 9/5/2015 Mystique musulmane http://asr.revues.org/1137 4/7 III. Dimensions mystiques comprenez pas leur louange » (XVII 44) ; « Ne vois-tu pas que tous les êtres des cieux et de la terre et les oiseaux en rangs louent Dieu ? Chacun connaît sa propre prière et sa louange » (XXIV 41). Malgré les efforts de plusieurs exégètes développant l’idée d’une « prière inconsciente » des êtres naturels, ces versets suggèrent clairement que les animaux participent à une louange consciente de leur Créateur, au même titre que les humains ; participation qui accuse indirectement les idolâtres qui, eux seuls dans toute la création, s’y refusent. Les données fournies par le hadith ne fournissent pas une conception homogène de la fonction du règne animal, comme on pouvait d’ailleurs s’y attendre. De façon générale, le hadith recommande de se montrer bon envers les animaux. Ceux-ci sont uploads/Litterature/ mystique-musulmane.pdf

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