ISBN 978-2-7578-4305-5 © Éditions du Seuil, février 1982, pour les chapitres ex
ISBN 978-2-7578-4305-5 © Éditions du Seuil, février 1982, pour les chapitres extraits d’Édouard Drumont et Cie, mars 1992, mai 2004 et mai 2014 pour les autres chapitres et la composition du livre. Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Présentation Trois thèmes principaux font l’objet de ce livre, qui pourrait aussi s’intituler : le Moi national et ses maladies. D’abord, le nationalisme – ou plutôt les nationalismes, car le mot peut recevoir plusieurs définitions. Nous avons insisté sur les deux types que la France a connus : le nationalisme ouvert, issu de la philosophie optimiste des Lumières et des souvenirs de la Révolution (celui de Michelet, mais aussi celui du général de Gaulle), et le nationalisme fermé, fondé sur une vision pessimiste de l’évolution historique, l’idée prévalente de la décadence et l’obsession de protéger, fortifier, immuniser l’identité collective contre tous les agents de corruption, vrais ou supposés, la menaçant. Ensuite, nous avons voulu approfondir l’examen de ce nationalisme fermé à travers l’ordre imaginaire qu’il s’est construit. La politique est moins faite de rationalité que de mythes et de mythologies. Quels partis pourraient prétendre y échapper ? Le mythe suprême ne serait-il pas l’illusion du rationalisme politique ? Cependant, la démonologie et le délire de l’extrême droite ont dépassé les fictions ordinaires : l’antisémitisme en est la frénésie permanente. Sur ce thème, nous avons repris les études qui composaient notre Édouard Drumont et Cie, publié au Seuil en 1982, en les complétant de nouvelles approches. Enfin, il nous a paru nécessaire de traiter de deux autres catégories de notre histoire politique : le bonapartisme et le fascisme, qui ont partie liée, elles aussi, avec le nationalisme, et sur lesquelles une historiographie récente est revenue. Ces trois thèmes sont illustrés, dans une dernière section, par des cas particuliers – hommes politiques et écrivains – qui ont marqué d’une manière ou d’une autre l’histoire du nationalisme français, dans ses variations et ses contradictions. I Du nationalisme français 1 Nationalisme ouvert et nationalisme fermé1 Au lendemain des élections législatives de 1902, qui ont été remportées par le Bloc des gauches, Charles Péguy écrit, dans les Cahiers de la Quinzaine : « Les élections ont prouvé que la poussée nationaliste est beaucoup plus compacte, beaucoup plus dense, beaucoup plus serrée, beaucoup plus carrée qu’on ne s’y attendait. Les querelles individuelles des principaux antisémites et des principaux nationalistes ne peuvent nous masquer le danger antisémite et nationaliste. Au contraire, si les partis nationalistes, aussi mal conduits par des chefs rivaux, ont obtenu pourtant les résultats que nous connaissons, qui ne voit qu’il faut que ces partis aient à leur service des passions compactes dans des masses compactes. On ne fabrique pas par stratagème, artifice, des mouvements aussi étendus, aussi profonds, aussi durables2. » Ce mot : nationaliste, que l’on trouve sous la plume d’un écrivain qualifié lui-même, une dizaine d’années plus tard, de « nationaliste », est d’usage récent. Les dictionnaires donnent l’année 1798 comme date de son apparition, mais tout au long du XIXe siècle, il n’est qu’un mot savant et oublié, que Littré ignore dans son grand dictionnaire élaboré sous le Second Empire. C’est dans les dix dernières années du siècle que cet adjectif – et le substantif qui lui est lié – va servir à désigner une tendance politique que l’on classe nettement à droite, et même à l’extrême droite. Son introduction semble être redevable à un article de Maurice Barrès, dans Le Figaro, en 18923. Au demeurant, dans notre langage, les mots « nationalisme » et « nationaliste » sont ambivalents. Le même terme, en effet, sert à caractériser deux mouvements historiques, tantôt successifs, tantôt simultanés. D’abord, le nationalisme des peuples qui aspirent à la création d’un État-nation souverain – c’est ce qu’on appelle aussi parfois le mouvement nationalitaire, dont l’aboutissement en Europe a correspondu aux traités qui concluent la Première Guerre mondiale et achèvent la destruction des grands empires ; au XXe siècle, ce mouvement nationalitaire, qu’on appellera désormais nationaliste, est principalement le fait des peuples colonisés : l’accès à l’indépendance des États du « tiers monde » en a été le résultat. Cependant, le même mot nationalisme est pratiqué, depuis l’affaire Dreyfus surtout, pour étiqueter les diverses doctrines qui, dans un État constitué, subordonnent tout aux intérêts exclusifs de la nation, de l’État-nation, à sa force, à sa puissance, à sa grandeur. En principe, la France n’a pu connaître que ce nationalisme du second type, puisque, depuis longtemps, son unité et sa souveraineté étaient acquises. Mais la réalité n’est pas si simple, car le mouvement nationalitaire qui brasse et reconstruit l’Europe tout au long du XXe siècle, on peut dire que la France, que la Révolution française, y ont – directement ou indirectement – contribué. L’idée nationale s’est, à la fin du XVIIIe siècle, confondue avec la poussée démocratique. Le « Vive la nation ! » des soldats de Valmy, au moment où l’on allait fonder la première République, en septembre 1792, ce cri-là signifiait non seulement un élan patriotique repoussant les armées étrangères ; il affirmait aussi la liberté et l’égalité du peuple souverain. À l’Europe des dynasties, il opposait l’Europe des nations ; à l’Europe des monarques, l’Europe des citoyens. Ainsi, avant la lettre, la France a connu un nationalisme, un nationalisme de gauche, républicain, fondé sur la souveraineté populaire, et appelant les nations asservies à se délivrer de leurs chaînes. Ce nationalisme a sa propre histoire. Mais, entre ce nationalisme des « patriotes » et le nationalisme des « nationalistes » (ceux qui assumèrent le mot, Barrès, Déroulède, Maurras, et tant d’autres), il serait erroné d’imaginer une cloison étanche qui les isolerait l’un de l’autre. Entre ces deux mouvements, on observe des passages, des convergences, voire des compromis. Le nationalisme républicain Tout commence avec la Révolution française. Celle-ci proclamait, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » (art. 3). Ainsi parlant, la Constituante déplaçait la source de la légitimité, du souverain héréditaire au peuple français dans son ensemble : la monarchie d’Ancien Régime, en attendant la monarchie tout court, était abolie. La loi devait être l’expression de « la volonté générale ». En bonne logique, cette souveraineté nationale impliquait l’idée d’indépendance nationale. Qu’était-ce qu’une nation ? Non pas le rassemblement hasardeux de populations sous le sceptre d’une dynastie qui, au gré des guerres et des stratégies matrimoniales, en variait la dimension et la composition. La Nation était elle-même le résultat d’une volonté générale. Ainsi, la fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, posait le principe d’une cohésion volontaire des Français dans une communauté nationale – y compris de ceux qui, selon la loi ancienne, dépendaient de souverains étrangers : le pape, pour les Avignonnais (le comtat Venaissin fut rattaché à la France en 1791) ; les princes possessionnés d’Allemagne, pour les Alsaciens. Face à l’Europe dynastique, protestant contre ces principes nationaux, Merlin de Douai répliquait, le 28 octobre 1790, à l’Assemblée nationale : « Aujourd’hui que les rois sont généralement reconnus pour n’être que les délégués et les mandataires des nations dont ils avaient jusqu’à présent passé pour les propriétaires et les maîtres, qu’importent au peuple d’Alsace, qu’importent au peuple français les conventions qui, dans les temps du despotisme, ont eu pour objet d’unir le premier au second ? Le peuple alsacien s’est uni au peuple français, parce qu’il l’a voulu4. » En germe, cette volonté-là annonçait le bouleversement de la carte politique de l’Europe : la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, c’est l’idée révolutionnaire qui va redessiner toutes les frontières. Le mouvement nationalitaire, qui va se répandre et embraser le continent en 1848, a d’abord confondu le principe des nationalités et le principe démocratique. Le nationalisme de la France républicaine avait vocation universelle : « Le Dieu des nations a parlé par la France », s’exclame Michelet. La nation ? Les constituants lui donnaient encore une définition abstraite, juridique. Mais les poètes et les historiens, dont Michelet a été sans doute le plus marquant, ont, tout au long du XIXe siècle, enrichi d’un contenu affectif le principe de nation française, transfiguré son histoire en destin, et pourvu le culte patriotique d’une mythologie : celle d’un peuple élu. Nul mieux que Michelet n’a réussi à conjuguer l’amour de la France, l’amour charnel de la terre française, l’amour spirituel d’une « âme » française, avec l’amour universel de l’humanité : « Cette nation, écrit-il dans Le Peuple, a deux choses très fortes que je ne vois chez nulle autre. Elle a à la fois le principe et la légende, l’idée plus large et plus humaine, et uploads/Litterature/ nationalisme-antisemitisme-et-michel-winock-pdf.pdf
Documents similaires
-
9
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 31, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 3.1807MB