NOUVELLE REVUE DE PSYCHANALYSE Numéro 23, printemps 1981 Dire nrf Tous droits d

NOUVELLE REVUE DE PSYCHANALYSE Numéro 23, printemps 1981 Dire nrf Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays. © Éditions Gallimard, 1981. Jacques Roubaud Dire la poésie. 5 François Gantheret Une parole qui parle d'elle-même. 23 Michel Schneider Dites-moi que je rêve. 37 Joyce McDougall Corps et métaphore. 57 Masud Khan Personne ne peut dire sa folie. 83 Michel de M'Uzan Dernières paroles. 117 Michel Gribinski L'avenir des mots. 131 John Forrester Du sublime au ridicule. 155 Christian David Si quelqu'un parle, il fait clair. 175 Michel Deguy Figurer le rythme, rythmer la figure. 189 Liliane Abensour Transe et transcription poétique. 199 Herbert Read Mythe, rêve et poésie. 207 Annie Anzieu Rencontres. 221 Octave Mannoni Le langage ésopique. 237 Francis Pasche Poésie et vérité dans la cure. 251 Daniel Widlôcher L'interprétation entre guillemets. 263 Pierre Fédida Ouvrir la parole. 279 Jean Starobinski Dire l'amour. 299 TABLE Jacques Roubaud DIRE LA POÉSIE S'établir par la voix dans le silence le presque silence est une expérience quasi pour ainsi dire opaque opaque à soi-même La voix ne ren- contre pas de réponse ni de l'air ni de la bande mince brune qui défile en bruissant en chuintant dans le magnétophone devant soi ni des têtes qui font face dans une salle écoutant ou dormant ou poursuivant quelque voie intérieure parallèle pendant qu'il est dit de la poésie Pourtant si j'aborde chaque occasion de dire sans angoisse si je m'en sou- viens sans regret si je ne regrette aucun de ces remuements monotones de l'air même s'ils n'aboutissent jamais qu'à leur pure et propre fin avec l'arrêt physique de la voix sans exaltation sans effet sans écho sans conviction C'est que jamais réellement privée jamais entièrement publique la voix disant la poésie manifeste un mode original particulier autonome d'existence de la poésie Disant cela précisément je suppose naturellement que ce qui se dit alors est poème pas autre chose et qu'il s'agit de poésie se reconnaît avant tout en cette espèce de la parole qui fait que c'est dans la poésie que je parle que c'est poésie volontairement que je parle à l'exclusion et au détriment des autres manières de parler Comme la poésie se situe à sa manière propre dans la page à la différence de toutes les autres dispo- sitions ce que la page reconnaît et accueille et semblablement à l'oreille la voix car Poésie est définition volontaire DIRE Dans une petite salle une fois à la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon les auditeurs assis sur des coussins confortables il y avait vingt trente per- sonnes je disais des poèmes composés pour être entendus je lisais avec beaucoup de lenteur je parlerai de cette lenteur C'était un après- midi en juillet et à la place de vitres dans cette salle au premier étage il y avait devant les ouvertures dans le mur pas vraiment des fenêtres de grandes feuilles de papier semi-transparent translucide Et au-dehors il y avait un peu de vent au-dehors le vent secouait un arbre frottait des branches feuillues sur les feuilles de papier et la lumière du soleil se décomposait en traversant avec des roux des violets des verts intenses Comme si la lumière en frottant les arbres en se décompo- sant pénétrait avec le bruit lui aussi brouillé Et je voyais et entendais la lumière se décomposant le bruit de l'arbre frotté de vent je les entendais dans les silences de ma propre voix disant ces poèmes qui sont de silence de nuit de sommeil et de non-sommeil avec le plus de silence possible au bout des lignes très courtes alignées au début des poèmes existant sur la page comme on peut les voir sur la page courtes lignes de peu de mots et Ce jour-là à cause de la feuille de papier décomposant la lumière froissant le bruit de vent dans les branches agitées j'ai pensé j'ai reconnu qu'il exis- tait pour moi un accord entre l'existence momentanée sonore des poèmes et ce lieu dans lequel ils étaient l'un après l'autre appelés Cependant que je parlais à travers les feuilles de papier translucides du silence qu'ils parvenaient aux têtes intraduisibles me faisant face les couleurs chachutées froissées d'un arbre de voyelles et comme dans le vent indéfiniment indistinctement répétables transmettant leur lumière brouillée malgré les sauts de la voix les sauts de voix et d'attention les feuilles de buvard de l'attention DIRE LA POÉSIE Une autre fois pendant le festival international de poésie de Cambridge en 1977 toute la semaine pendant toute la semaine il y avait des lectures toute la journée quelque chose comme huit ou neuf heures de lecture et j'allais à toutes dès le deuxième jour j'allais à toutes les lectures je m'installais dans la salle inconfortable une salle de réunion des étudiants de Cambridge parmi les grincements de vieux bois habitué à la polémique aux éclats aux discours aux suaves Oxoniens je m'installais dans ces voix anglaises Bien sûr la masse des lectures était anglaise avec un saupoudrage de fran- çais d'italien d'américain je me souviens de la lecture de Jean Daive il a lu décimale blanche il a lu en entier décimale blanche et la version anglaise était lue par Michael Edwards en alternance parfois même simultané- ment les voix inégalement se recouvrant se superposant J'avais espéré aussi entendre Denis Roche mais comme à son habitude au der- nier moment il n'est pas venu il a envoyé son télégramme grand-mère malade Et Fielding Dawson le Black Mountain prosateur était tellement saoul qu'il est resté dix minutes devant le micro sans pouvoir parler sinon pour se plaindre de la trop forte lumière il n'a rien pu lire ce qui était parfaite- ment adéquat pour de la prose dans un festival de poésie à ce qu'il m'a semblé personne ne parlait à sa place ne bougeait personne ne disait rien ne faisait rien pour l'empêcher de se débrouiller de son silence ivre tout le monde dans la salle se taisait en anglais c'était une fort intéressante expérience ethnologique en somme qui aurait dû être filmée par Jean Rouch pro- sateur américain en East Anglia Mais ce n'est pas de cela que je voulais par- ler Ce dont je me souviens surtout en ces journées c'est d'être entré dans une masse de parole de poésie toutes les variétés de voix de poésie en anglais de toutes provinces voix galloises et angliennes et cumbriques et oxoniennes voix de tweeds de limericks voix shakespeariennes words- worthiennes dylanthomasiennes voix de Wendy Mulford dans son pantalon de corsaire stevensonien bleu et les chuintantes de Sorley Mac Lean disant en scottish gaelic puis en anglais l'anglais n'était guère différent du scottish gaelic en sa diction 1 like Parish me dit-il plus tard à Toronto I like Parish but it is a wickéd town DIRE J'entendais sur une durée considérable des voix de poésie existant à la suite dans l'oreille et pour la première fois une dimension irremplaçable de la poésie dite m'est apparue qui était quelque chose de presque invariable s'avalant soi-même de son en son dans la successivité de la voix se prolongeant de silence en silence toute seule comme si elle était seule presque indépendamment de la présence de l'auditoire La poésie orale peut exister sans auditoire il y a ces bergers érythréens ou soudanais (?) dont parle Ruth Finnegan ils disent à haute voix pour eux seuls chacun dit pour son troupeau lui chante lui récite ils se taisent devant toute présence humaine ils disent à haute voix pour eux seuls et certes on pourrait prétendre que leur troupeau est leur auditoire les têtes troupeau de l'auditoire Mais ils ne disent leur poème que s'il n'y a per- sonne aux alentours que la végétation les chemins et le bétail J'imagine ces voix crépusculaires de champ en champ chaque poète avec son propre troupeau qui sert d'oreilles indislensables mais sans réponse J'aime cette espèce de tradition de broutadours Et chaque voix anglaise ainsi en cette semaine de Cambridge était pour moi comme devant un champ de têtes broutantes et ruminantes dont je fai- sais partie devant la pure physique laineuse de la parole de la voix vous amenant à la proximité de l'endormissement comme sous la phrase foré- zienne de L'Astrée en son bois noir un lecteur du sentiment géographique de Michel Chaillou Et c'est pourquoi j'ai quelque gêne devant la professionnalisation extrême de la lecture américaine tellement audience-oriented comme on dit son succès même et il est considérable grandes performances où ne s'endort nul auditoire ni ne se raréfie mais son succès tend à une dilution tran- quille de la poésie comme s'il y avait dans une voix mettons tant de quanta de poésie à répandre à distribuer en l'air réceptif il faut les divi- ser par le nombre des oreilles sans favoriser aucun sourd DIRE LA POÉSIE La lecture américaine en son excellence rendra plus difficile la survie de ce mode presque solipsiste d'existence de la voix de poésie dont je parle ici Le troubadour Pierre d'Auvergne vieux professionnel s'il en uploads/Litterature/ nouvelle-revue-de-psychanalyse-23-dire 1 .pdf

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