1 Catherine KINTZLER La copie et l’original Résumé Faire l’éloge de la copie su

1 Catherine KINTZLER La copie et l’original Résumé Faire l’éloge de la copie suppose non seulement qu’on renverse les valeurs respectives de l’original et de la copie, mais aussi qu’on remette en question, à travers la catégorie d’originalité, la primauté d’une philosophie des origines au profit d’une philosophie du commencement. À cet effet, rien de tel, et parce qu’il y va du statut de l’extériorité, qu’un parcours esthétique. De l’épreuve du graveur à la «belle nature» des classiques, de l’acte réfléchissant du faussaire à l’application de l’artiste à l’étude, en passant par la représentation comme savoir, la fonction critique du simulacre montre qu’il n’y a d’original que perdu. L’opération esthétique, comme celle de la connaissance, ne restaure pas une vérité par un dévoilement, mais la constitue tout en se saisissant comme sa condition de possibilité. Cette réhabilitation de l’imitation comme schème productif ne se limite pas à une culture révolue de la représentation ou de la figuration: pourvu qu’on le débarrasse de la posture ou de l’impératif d’originalité qui le ravalent parfois au comble du conformisme, l’art contemporain, parce qu’il est isomorphe à un geste ou à une opération plus qu’à une chose, permet d’en achever la radicalisation. La copie a mauvaise réputation. De l'élève paresseux et envieux qui copie sur son voisin au plagiaire et au faussaire, de l'artiste en panne d'idées au snob modelé sur une extravagance de convention, mais aussi plus philosophiquement dans la violente critique que Platon fait de l'imitation et de la spécularité, la suspicion qui la frappe y dénonce l'essence même de l'aliénation. Copier, c'est se livrer à l'extériorité. La copie est donc doublement condamnable – comme mensonge et fausseté puisqu'elle n'est que prétention, comme faute morale puisqu'elle consiste à s'égarer en réglant sa conduite sur ce qui advient. Dans ce mouvement de réprobation, on comprend aisément que l'art soit au cœur de la cible. Si copier c'est se régler sur l'extérieur, alors nul doute que l'art, parce qu'il prend l'extériorité au sérieux et qu'il ose y voir la forme même de l'intériorité, soit éminemment suspect. 2 Plus que la copie proprement dite, c'est le simulacre qui est suspect et troublant, du moins dans la distinction qu'en fait Platon dans Le Sophiste (234a-236b) et au célèbre Livre X de La République. À la faveur de cette distinction, la copie au sens strict, qui s'en tient à la reproduction fidèle d'un original, s'en sort plutôt bien: fondée sur la ressemblance, elle reste en contact avec son origine dont elle retient la colonne vertébrale et la déperdition d'authenticité y est donc réduite. Le simulacre en revanche, fondé sur la dissemblance, se règle sur un effet externe de ressemblance et «donne congé à la vérité» parce que son principe est dans l'écart et l'éloignement de l'authenticité. Toute une thématisation philosophique de l'apparence comme paradoxalement disjointe de l'essence repose dans cette distinction. Mais on accordera provisoirement au terme de «copie» un sens large qui la recréditera de tous les péchés attribués plus spécifiquement au simulacre platonicien et à son noyau artistique. Bien avant Hegel, Platon a vu que l'art élève le sensible à l'apparence et que cette élévation fait de l'apparence une essence. Bien sûr, on n'est pas obligé de souscrire à l'anathème platonicien et du reste, même s'il indique une tendance lourde dans la tradition philosophique, d'autres options existent au sein de celle-ci. Mais la critique n'en est pas si aisée et il importe d'en voir la puissance. On sait par exemple que Gilles Deleuze, dans un chapitre de sa Logique du sens 1, après avoir rappelé la distinction platonicienne entre copie et simulacre, réhabilite le simulacre avec les accents nietzschéens d'un renversement des valeurs. Lui accorder ce « devenir- fou » en y voyant, à la différence de Platon, une positivité, c'est bien renverser la perspective mais sans nécessairement ruiner le prestige de la notion même d'original qui, de la posture ontologique classique substantielle d'un être, passe à celle d'un devenir en mouvement; mais l'idée d'originalité n'est pas pour autant congédiée, elle a simplement changé de camp. Une philosophie des origines n'a pas nécessairement besoin de supposer un arrière monde pour maintenir le régime fascinant d'une unité de principe – et Heidegger, en méditant Nietzsche, ne s'y est pas trompé: le principe, quel qu'en soit le nom et quel que soit le fil conducteur qui y mène (dont on n'exceptera pas même le corps, pourvu qu'il retrouve sa légèreté et son innocence infantiles), est affaire de dévoilement et non de fabrication, de découverte et non d'appareillage; et si l'apparence peut trouver place, c'est comme éclat et comme grâce et non par la pesanteur et l'artifice de l'extériorité. 1 Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1967, «Simulacre et philosophie antique», p. 292 et suiv. 3 I.- Un original toujours perdu Faire l'éloge de la copie – tel est ici le projet – et du simulacre dont on ne la distinguera pas pour le moment, suppose alors que la modification du régime de l'extériorité affecte aussi la thématique fondamentale de l'originalité. Dans la Poétique d'Aristote est esquissé clairement pour la première fois après Platon, et précisément au sujet de l'œuvre d'art, un statut de l'extériorité capable d'ébranler ce rapport entre la copie et l'original. C'est justement parce qu'il s'applique à produire de l'apparence et du vraisemblable que le poète dépasse la réalité ordinaire et parvient à atteindre le schème productif dont celle-ci dérive: la poésie rend compte du monde tel qu'il est mais aussi tel qu'il aurait pu être. La mimesis aristotélicienne déverrouille le soupçon de perdition qui la frappe en redistribuant les rôles de l'original et de sa «copie» poétique. Une comparaison permettra peut-être de préciser les idées. Les graveurs et à leur suite les imprimeurs et photographes utilisent un beau terme pour désigner la copie: l'épreuve. L'épreuve n'est pas un exemplaire à l'identique, elle est épreuve de l'original. Comme le dit son nom, c'est un moment de vérité sans lequel aucun original ne se révèle. De plus, cette vérité n'advient qu'au cœur de la matière: elle est esthétique, sa valeur logique est tout entière prise dans sa nature matérielle. Si le cliché n'est pas bon, si l'eau-forte est manquée, l'épreuve en administrera par translation la preuve aveuglante. C'est la même chose pour tout ce que l'on copie, à commencer par bien des textes qui ne résistent pas à la copie. Or ce que la copie trahit et révèle, ce n'est pas tant son original que le défaut de celui- ci. De sorte que bien souvent, le vrai n'advient qu'au moment de la copie. On voit l'erreur dès qu'on s'apprête à la copier. Rousseau le dit à l'article «Copiste» de son Dictionnaire de musique. «Enfin le devoir du copiste écrivant une partition est de corriger toutes les fausses notes qui peuvent se trouver dans son original. Je n'entends pas par fausses notes les fautes de l'ouvrage, mais celles de la copie qui lui sert d'original. La perfection de la sienne est de rendre fidèlement les idées de l'auteur, bonnes ou mauvaises: ce n'est pas son affaire; car il n'est pas auteur ni correcteur, mais copiste. Il est bien vrai que si l'auteur a mis par mégarde une note pour une autre, il doit la corriger; mais si ce même auteur a fait par ignorance une faute de composition, il la doit laisser. Qu'il compose mieux lui- même, s'il veut ou s'il peut, à la bonne heure; mais sitôt qu'il copie, il doit respecter son original. On voit par là qu'il ne suffit pas au copiste d'être bon 4 harmoniste et de bien savoir la composition; mais qu'il doit, de plus, être exercé dans les divers styles, reconnaître un auteur par sa manière, et savoir bien distinguer ce qu'il a fait de ce qu'il n'a pas fait. Il y a, de plus, une sorte de critique propre à restituer un passage par la comparaison d'un autre, à remettre un fort ou un doux où il a été oublié, à détacher des phrases liées mal à propos, à restituer même des mesures omises; ce qui n'est pas sans exemple, même dans des partitions. Sans doute il faut du savoir et du goût pour rétablir un texte dans toute sa pureté: l'on me dira que peu de copistes le font; je répondrai que tous le devraient faire»2 Bien sûr, si l'auteur fait des fautes, on doit les laisser (c'est l'aspect professionnel, mécanique ou servile du métier). Mais, il n'empêche, c'est tout de même dit: on voit les fautes – c’est l'aspect éprouvant et libéral du métier. Par son caractère matériel, l'épreuve est une version non extatique de la révélation; elle rompt le cercle des interprétations, dissipe les brouillards pneumatiques de l'inspiration et nous ramène au principe du vrai, lequel n'est autre que l'effectuation réelle dont l'un des modèles est la lecture, qui ne cherche pas un sens préexistant au texte, mais qui administre la preuve que la pensée ne se réalise que dans l'opération qui la forme et nulle part ailleurs. Lorsque nous lisons un poème, aucun sens fixé uploads/Litterature/ kintzler-catherine-la-copie-et-l-x27-orginal-pdf.pdf

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