PRO-JETER Dominique Païni Gallimard | « Les cahiers de médiologie » 2000/2 N° 1
PRO-JETER Dominique Païni Gallimard | « Les cahiers de médiologie » 2000/2 N° 10 | pages 164 à 169 ISSN 1270-0665 DOI 10.3917/cdm.010.0164 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-mediologie-2000-2-page-164.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Gallimard. © Gallimard. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Les ap- parences de l’innovation technologique en art et en communication – il faut bien se dé- cider à inscrire ces deux mots dans leur proxi- mité et leur irréductibilité réciproque – en in- duisent le présage. La projection relève d’une histoire méconnue appartenant aux domaines de la physique, de la géométrie, de l’optique, de la psychologie, de la représentation pictu- rale et architecturale, des arts du spectacle. Le dictionnaire le plus banal donne à sentir, dans sa définition la plus succincte, le carac- tère amphibologique du mot : action de pro- jeter des images sur un écran et représenta- tion d’un volume sur une surface plane. © Gallimard | Téléchargé le 27/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 189.229.188.143) © Gallimard | Téléchargé le 27/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 189.229.188.143) Le spectacle et la géométrie, champs d’activité éloignés l’un de l’autre, sont confondus dans le même mot. Avec la diapositive ou le film, il s’agit bien pourtant d’un résultat comparable : un volume rapporté à une surface, illu- sion et codification géométrique, mirage et science. Au mot projeter, l’esprit commun convoque les mots envisager, imaginer, préméditer, prévoir, autant qu’éjecter, expulser, lancer, pousser. Autrement dit, des mots qui évoquent des activités de la pensée autant que l’activité physique ou corporelle. Pourtant, si nous resserrons notre acception de la projection, celle liée au transport lu- mineux des images, et si nous tentons simultanément d’énumérer le plus grand nombre possible de catégories d’images sans considération de leur champ d’application ou de leur usage pratique ou symbolique, nous percevons spon- tanément deux grands modes de réalisation de l’image : les supports maté- riels auxquels adhère l’image indissociable de ce support et les dispositifs de projection lumineuse dont un écran immaculé (ou non) intercepte éphé- mèrement (ou non) le rayon. Une image-lumière D’une histoire de l’art à la fois réelle et mythologique, technique et philo- sophique, on connaît les enjeux et les antagonismes. On pourrait faire la fic- tion d’une lutte entre deux déesses ennemies : une image noble au service des princes et de leur istoria et une image plus roturière souvent associée aux saltimbanques et à leurs fantasmagories. L’une libre de circuler de mains en mains, l’autre asservie au dispositif machinique qui l’incarne, l’une mo- difiable à l’infini par celui (ou d’autres) qui l’engendre, l’autre peu suscep- tible de bénéficier de métamorphoses à moins d’être conçue répétitivement ainsi (le film au XXe siècle), l’une enfin qui appelle pour être vue une lu- mière ambiante ou dirigée sur elle, l’autre dépendante de la lumière qui tra- verse le voile transparent de son support. Cette bipartition divise les regar- deurs, entre ceux dont le point de vue sur l’image n’est pas assignable à une place particulière et obligée dans l’espace et ceux dont le point de vue sur l’image est marqué par l’obligation (relative) d’une place induite par le dis- positif de projection. En d’autres termes, les visiteurs et les spectateurs, dont l’art contemporain de cette fin de XXe siècle va se charger de brouiller les identités et les comportements respectifs. Le film « s’expose » en défilant en boucle dans des « installations » et, inversement, la peinture et la sculpture sont montrées dans les musées selon des enchaînements qui empruntent à 166 © Gallimard | Téléchargé le 27/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 189.229.188.143) © Gallimard | Téléchargé le 27/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 189.229.188.143) des principes de montage, d’éclairage et de rythmes d’apparition hérités de la sphère audiovisuelle contemporaine 1. Cette inversion apparente a été fa- vorisée par l’image vidéo : le projecteur et l’écran ré- unis dans un même dispositif réduit. L’indissociabilité support/image et le rayon lumineux éphémère fusion- nent dans l’image vidéo, machine à images autant qu’image-machine. Cette confortable bipolarisation du régime des images est ainsi profondément perturbée par les images contemporaines qui, du coup, mettent en doute rétroactivement la rigidité ontologique de la distinction entre images imprimées et images projetées. Par exemple, le vitrail est l’impression d’une image indissociable de son support dont la lumière nécessaire à sa vision n’est pas réfléchissante mais traversante. Pourtant, la lumière n’emporte pas pour autant l’image hors de son support transparent. Autre exemple : de la numérisation des don- nées enregistrées par le CD-ROM au vidéo projecteur, l’image transportée et agrandie sur un écran n’émane pas d’un voile pelliculaire initial peint ou photographique. Susceptible de connaître des interventions ultérieures (l’interactivité) sur son support (le disque, le réseau), l’image numérique est néanmoins projetable […]. Une image-texte Le temps est cosubstantiel à l’image projetée. Et il est étrange que deux textes fondateurs pour l’image projetée n’aient pas été retenus de manière plus insistante du seul point de vue de l’image dans le temps : l’allégorie de la caverne de Platon 2 et le commentaire critique de Diderot, sous forme de compte-rendu de rêve, d’un tableau de Fragonard 3. On peut lire ces deux textes célèbres et surcommentés avant tout comme des relations d’expérience projective dont le dispositif lumineux est décrit selon les principes d’un récit, doté de « plans-séquences » et d’intervalles narratifs. L’allégorie platonicienne est un récit en quatre moments dont l’enchaînement et le terme donnent le sentiment d’une troublante « prévoyance » en ce qui concerne les installa- tions projectives modernes. C’est évidemment l’inverse; les artistes contem- porains en reviennent à une « installation originelle », celle n’existant que 1. Roland Recht, « Considéra- tions sur la destination de l’espace mu- séal », Le Débat, n° 8 1, sept-oct. 1994, p. 38. 2. Platon, La République, in Œuvres com- plètes, t. VII, 1re partie, Livres IV-VII, Les Belles Lettres, 1989, p. 144 sq. 3. Denis Dide- rot, « Frago- nard, n° 176, Le Grand Prêtre Corésus s’immole pour sauver Calli- rhoé », Salon de 1765, Her- mann, 1984, p. 253. Pro-jeter 167 Photogramme extrait du film de Woody Allen La Rose pourpre du Caire,1985. © Gallimard | Téléchargé le 27/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 189.229.188.143) © Gallimard | Téléchargé le 27/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 189.229.188.143) dans la langue philosophique de Platon et dont on ne retient jamais suffi- samment la durée dramatique. La première partie du texte décrit des « spectateurs » enchaînés dans une caverne qui tournent le dos à un brasier dont la lueur transporte les ombres de figurines sur la paroi opposée. Cette première partie introduit la confusion entre la réalité et la représentation. La deuxième partie de la description narrative expose les dangers doulou- reux de la découverte de l’illusion : la source lumineuse éblouit et empêche également la lucidité conceptuelle. Aussi, dans une troisième séquence, Platon s’attache à décrire la sortie de la caverne. La prise de conscience de l’écart entre représentation et réalité s’accompagne de la découverte des objets mi- métiques qui engendrent les ombres ressemblantes. Au terme de cette troi- sième étape dramaturgique et initiatique, les spectateurs se tournent vers le soleil, source d’énergie vitale et de connaissance de soi. Enfin, les specta- teurs retournent à l’obscurité de la caverne, Leur inaccoutumance percep- tive les rend indésirables et leur confère un statut de victimes de la lumière. Le premier moment du parcours est une confrontation avec les images, avec les doubles des choses réelles. Le second est une confrontation avec les choses proprement dites. Les deux autres moments s’opposent au domaine du vi- sible et forment le domaine des idées, soit le discours mathématique et les concepts. Jean Starobinski note que, pour l’essentiel, la projection des images du rêve de Diderot se produit à peu près comme dans l’allégorie de Platon 4. D’autant que Diderot lui-même dit avoir lu Platon le jour au cours duquel il rate 5 la vision du tableau de Fragonard. Il convient de remarquer le commun enchantement des spectateurs chez Diderot et chez Platon car c’est bien uploads/Litterature/ paini-dominique-pro-jeter.pdf
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- Publié le Fev 26, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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