1 Philippe Meirieu – « La pédagogie au cœur des contradictions » La pédagogie a

1 Philippe Meirieu – « La pédagogie au cœur des contradictions » La pédagogie au cœur des contradictions… Pour comprendre les débats éducatifs d’aujourd’hui Philippe Meirieu Traditionnellement, on peut distinguer, dans la réflexion pédagogique, deux grandes polarités : l'une est centrée sur le sujet – qui doit « construire » ses savoirs et s’approprier « par lui- même » les connaissances -, l’autre est centrée sur la transmission d’une culture et le caractère irrémédiablement dissymétrique de cette transmission. J'insiste sur le terme de polarité : on ne raisonne pas ici en opposant des modèles homogènes, mais en repérant des tensions, y compris au sein de l’œuvre de certains auteurs. La pensée pédagogique se focalise plutôt vers le sujet ou plutôt vers la culture, se situe plutôt d'un côté ou plutôt de l'autre, mais sans que les frontières soient infranchissables, ni complètement stabilisées entre les deux manières de penser..  La centration la plus ancienne est, sans aucun doute, celle qui met l'accent sur le sujet… et, pourtant, c'est, paradoxalement, celle qui est liée à ce que l’on appelle, en général, « l’Éducation nouvelle ». Ce qui caractérise les « pédagogies du sujet », c'est leur insistance à affirmer que c'est l'individu qui est l'auteur et l'acteur de son propre développement. Rien ne se fait en lui qu'il ne fasse lui-même. Tout ce qu'il fait, c'est lui qui le fait, et il le fait parce qu'il le veut ; c’est même précisément parce qu'il le veut que cela contribue à son éducation (Claparède avait donné comme maxime à la « Maison des Petits » qu’il avait fondée à Genève : « L’école où les enfants ne font pas ce qu’il veulent, mais veulent ce qu’ils font. »). Pour les pédagogies centrées sur le sujet, le mouvement général de La pédagogie est toujours en tension entre deux centrations : la centration sur le sujet qui se développe de l’intérieur et la centration sur la culture qu’il convient de lui transmettre de l’extérieur. 1) Les pédagogies centrées sur le sujet… 2 Philippe Meirieu – « La pédagogie au cœur des contradictions » l’éducation est endogène : l’essentiel vient du dedans. Ainsi, dans le discours éducatif, allons nous trouver toute une série de métaphores horticoles qui expriment cela : la graine qui se développe si elle a un bon environnement, la fleur qui s'épanouit, le maître qui, comme un jardinier au printemps, fait apparaître des potentialités déjà présentes dans le sujet... Déjà, dans cette perspective, le jeune Platon1, en évoquant la figure de Socrate, parlait du « maître accoucheur » qui ne se prétend nullement géniteur. Il ne cesse d’affirmer que, si parfois les choses viennent par lui, elles ne viennent jamais de lui. Lorsque quelque chose émerge dans un élève, qu’un être se développe et apprend, c'est grâce à son action, mais en aucun cas à cause de lui… il n'en est jamais directement l'auteur ! Toutes les pédagogies du sujet s’inscrivent dans cette perspective… On en trouve la racine dans les premiers textes de Platon, mais aussi dans le De Magistro de saint Augustin2 ou, bien plus tard, chez Rousseau3 que beaucoup considèrent comme « le père » de l’Éducation nouvelle et des « méthodes actives »… Le terme « École Nouvelle » apparaît exactement en 1899 dans un petit village d'Angleterre où un pasteur, nommé Cecil Reddie, fonde une école qu'il qualifie de « New School ». Cette école va acquérir très vite une grande notoriété en Europe grâce au témoignage d’un ingénieur français nommé Demolins. Ce dernier, qui s’intéresse au développement économique et social de la Grande- Bretagne, rencontre Reddie dans une taverne londonienne. Il est enthousiasmé par les principes de 1 Dans son oeuvre, Platon (428-348 av. J.-C.) a d'abord, semble-t-il, reflété la pensée de son maître Socrate et ses premiers dialogues (Protagoras, Gorgias, L'Apologie) sont dit « socratiques ». En matière de philosophie de l'éducation, ses oeuvres de maturité ou de vieillesse (par exemple Les Lois) expriment des idées sensiblement différentes. 2 354- 430. Le De Magistro est habituellement daté 389. Il insiste sur le fait que l’éducation est avant tout « révélation » et découverte du « maître intérieur ». 3 1712-1778. On trouve l'essentiel de sa philosophie de l'éducation dans l'Emile (1762). De Platon à « l’école active », un même mouvement : éduquer, c’est susciter une démarche du sujet. 3 Philippe Meirieu – « La pédagogie au cœur des contradictions » l'« École nouvelle », tels que les lui présente son interlocuteur… C’est une école à la campagne, dans une véritable exploitation agricole, avec tout ce que permet la proximité de la nature et le contact direct avec « les choses »4. L'établissement est dirigé par le pasteur et sa femme. Entourés de leurs propres enfants, ils ont une vingtaine d'élèves. Il n'y a pas de professeurs ni d'instituteurs. Les grands enseignent aux plus petits. La communauté vit en autarcie, fabrique ses meubles, cultive le jardin où elle a même installé un système d'irrigation. On monte des pièces de théâtre, on fait un petit journal... Pour Cecil Reddie, l'apprentissage doit être dans le prolongement de l'expérience directe de l'enfant. Ce dernier n'apprend vraiment que quand il fait un certain nombre d'expériences, quand il s’implique dans des tâches qui sont nécessaires à la vie de la petite communauté scolaire que constitue l'école nouvelle. À travers ces expériences, il est amené à découvrir toute une série de notions qu’on chercherait – en vain, le plus souvent – à lui faire acquérir de manière formelle et livresque. Ainsi l’enfant va-t-il découvrir la géométrie à partir de l'arpentage, le théorème d’Archimède en résolvant les problèmes d'irrigation, la botanique grâce au jardinage, l'écriture et l'orthographe par le journal de l'école qui est diffusé dans la localité, etc. Dans cette petite communauté de vie, l'apprentissage devient en quelque sorte « naturel ». Remarquons que cette conception apparaît très peu de temps après l’affirmation du principe de la scolarité obligatoire qui obéit, lui, à une autre intention : extraire les enfants du circuit productif pour leur permettre d’apprendre sur des supports formalisés. Au moment même où nos sociétés décident de scolariser massivement les enfants, il se trouve des gens pour dire 4 On retrouve, on le voit, les métaphores horticoles ! L'idée qu'on n'éduque bien qu'à la campagne est extrêmement prégnante (qu'on songe, par exemple aux « classes vertes » d'aujourd'hui!) Elle entraînera une scission, dans le mouvement Freinet, entre les éducateurs « campagnards » et les éducateurs « urbains ». L’Éducation nouvelle accompagne le sujet dans ses découvertes et son développement. 4 Philippe Meirieu – « La pédagogie au cœur des contradictions » qu'il vaudrait mieux les déscolariser parce que c'est « en forgeant qu'on devient forgeron »… et non pas en les réunissant dans les classes pour leur faire des cours ! Cecil Reddie dit simplement : « Laissez-les agir et, sous l’impérieuse loi de la nécessité, ils apprendront ! Ils apprendront en fonction des stimulations que leur environnement va naturellement leur apporter ». Fidèle à ces principes, Demolins fonde à son tour, dans la banlieue de Paris, une école qui deviendra un des symboles de l'Éducation nouvelle, l'École des Roches. Tout le mouvement de l'École Nouvelle se développe ainsi avec cette inspiration qu'on pourrait qualifier de naturaliste, selon laquelle dans la nature, au contact des choses, l'enfant découvre et apprend plus efficacement que lorsqu'il est isolé artificiellement dans une salle de classe. Ce courant entre en résonance avec des penseurs de l'époque et va connaître un développement considérable. Les années 1920-1940, sont extrêmement bouillonnantes sur le plan éducatif. Les grands intellectuels comme les grands ténors politiques de l'époque sont des éducateurs, souvent issus de l'École Normale Supérieure : Alain, Blum, Herriot... Le débat pédagogique est au premier plan des préoccupations. On se passionne alors pour la réflexion éducative et l'on assiste à une floraison extraordinaire de textes, d'auteurs, que l'on a du mal aujourd'hui à imaginer. Les tenants de l'École nouvelle sont très présents à ce mouvement d'idées. L'École active de Ferrière5 a dû être tirée à quelque 300 000 exemplaires ! Mais, si l’on regarde les choses de plus près, ce mouvement se diversifie. Assez vite, on peut y distinguer deux courants : - un qui se centre sur l’activité de l'individu. - un qui, au contraire, insiste davantage sur le groupe. 5 Adolphe Ferrière (1879-1960) : un des fondateurs - en Suisse - de l'École Nouvelle. L’Éducation nouvelle cherche à mettre l’enfant dans des situations où il construira lui- même ses propres apprentissages. 5 Philippe Meirieu – « La pédagogie au cœur des contradictions »  Des hommes comme Claparède6 ou Dottrens7 sont caractéristiques du premier courant attentif, surtout, à la dimension individuelle de l’activité des élèves. Ce dernier se développe ainsi surtout autour de l’idée d’ « individualisation » de la pédagogie, comme dans le fameux Plan Dalton8 qui, par une planification rigoureuse des apprentissages scolaires (sous forme de fiches individualisées de travail), permet d'adapter la progression à chaque individu en fonction de ce qu'il sait uploads/Litterature/ peda-gogie-et-contradictions.pdf

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