Petite histoire de l’anarchisme chinois - partie 1/4 lundi.am/Petite-histoire-d

Petite histoire de l’anarchisme chinois - partie 1/4 lundi.am/Petite-histoire-de-l-anarchisme-chinois-partie-1-4 « Ce dont, oui, nous sommes sûrs aujourd’hui, c’est que l’anarchisme n’est pas un mot utopique de notre langage, comme d’aucuns veulent le supposer. Il ne l’est pas parce que dans les premières années de ce siècle, quand le mouvement intellectuel de tendance libertaire acquit sa puissance extraordinaire, l’anarchisme contribua, plus que nul autre, par ses efforts et ses initiatives, à créer un large mouvement d’idées » (CJ Tien) [1]. Vous avez entendu parler de la révolution russe, de Bakounine, d’Emma Goldman, de Sacco et Vanzetti ? Mais avez-vous entendu parler de Li Shizeng, de Liu Shifu, de Huang Lingshuang ? On vous propose un retour dans le temps, vers ce qui a été un mouvement politique et intellectuel important de l’histoire contemporaine chinoise : le mouvement anarchiste de la première moitiédu XX siècle. Mais, d’abord, quel intérêt y a-t-il donc aujourd’hui à parler de l’anarchisme et des anarchistes du XX siècle chinois ? L’histoire de l’anarchisme, en Chine et ailleurs, est une histoire contestataire, une histoire qui défie l’Histoire traditionnelle et orthodoxe, et à ce titre, elle permet de remettre en question les récits téléologiques et hégémoniques, les récits de ceux qui cherchent à fonder leur légitimité politique dans l’histoire. e e 1/12 Trois anarchistes chinois de la première génération, fondateurs du journal Xin Shijie, de gauche à droite : Wu Zhihui, Zhang Jingjiang et Li Shizeng. Vers 1910. © Wikipedia Commons. Dans le contexte du XX siècle chinois, l’histoire de l’anarchisme permet d’ouvrir une fenêtre sur des questions et des événements délibérément supprimés, relégués ou transformés dans le « récit national » par l’historiographie marxiste chinoise. C’est avec la mort de Mao en 1976 et le début de remise en question de la Révolution culturelle que s’est ouverte une brèche dans cette historiographie [2], et que les premières recherches sur la question ont vu le jour. Pourquoi cette histoire, alors, dérange-t-elle ? Historiquement, ce serait là l’origine de l’idéologie de la gauche radicale en Chine : bien avant la naissance du Parti communiste en 1921, et sa montée en puissance. L’anarchisme chinois a formulé un ensemble d’idées critiques, un discours révolutionnaire, un discours de justice sociale : terreau qui permettra aux Communistes, à de nombreux égards, de prendre racine plus tard. L’influence du mouvement est immense. C’est aussi le premier grand mouvement internationalisé en Chine, et les nombreuses correspondances, traductions, et voyages des anarchistes chinois en témoignent. Les anarchistes chinois, à l’instar de Li Shizeng ou de Wu Zhihui, représentent le passage du lettré classique à l’intellectuel, du fait de leur maîtrise de nombreuses langues, de leur insertion dans un réseau et un débat d’idées qui transcendent les frontières nationales, et du fait de la pluralité de leurs influences politiques et culturelles. Replonger dans ce mouvement permet de redécouvrir les idéaux démocratiques dont celui- ci, parmi les courants socialistes concurrents dans l’histoire révolutionnaire chinoise, a été le fer de lance. La critique virulente de toutes les formes d’autorité et d’oppression –que ce e 2/12 soit le féodalisme, le patriarcat, l’impérialisme ou le capitalisme. Dans le « Manifeste de la Société Anarcho-Communiste » de Shifu (1914), on peut lire que l’objectif est de : « créer une société sans propriétaires fonciers, sans chefs de famille, sans dirigeants, sans police, sans cours de justice, sans loi, sans religion, sans mariage ». Pour cela, explique-t-il, il faut instiller les idées anarchistes dans la société, et organiser le renversement du pouvoir en place. Xin qingnian de xin daode (La nouvelle moralité de la jeunesse). Mars 1920. Livret en chinois à partir d’un texte original de Kropotkine, « La moralité anarchiste », de 1897. 3/12 Traduction de Yuan Zhenying. Une note manuscrite indique que ce pamphlet aurait beaucoup circulé et eu de l’influence dans les années 20. © CIRA Lausanne L’anarchisme remet en question le cloisonnement idéologique dans lequel s’est trouvé plus tard enfermé le socialisme en Chine – le « socialisme » étatique et autoritaire du Parti Unique [3]. Dans les années 20, certains anarchistes, et en particulier les anarcho-communistes, deviennent rapidement des « ennemis » du Parti Communiste, et des critiques visionnaires des méfaits du Marxisme Léninisme, en Chine et ailleurs. Lu Jianbo, en 1927, prône, contre le communisme d’Etat et le communisme doctrinaire, un « rejet de tous les partis politiques », « rejet de la centralisation », « refus de la dictature du prolétariat », l’abolition des structures oppressives à toutes échelles et de la coercition comme outil de maintien de l’ordre. Un mouvement antiautoritaire Le mouvement anarchiste chinois naît dans les années 1905-1910. Des années d’effervescence politique et culturelle. Le mouvement anarchiste chinois, comme ailleurs, est divers : anarcho-communisme (Liu Shifu), anarchisme agrarien (Liu Shipei), anarcho- individualisme (Qu Qianzhi), anarcho-féminisme (He Zhen), anarcho-syndicalisme (Wu Kegang)… Ces courants se croisent parfois, s’entrechoquent souvent. Cela explique aussi pourquoi les sources dans lesquelles puisent les anarchistes sont diverses : textes taoïstes ou issus du bouddhisme pour les uns, Kropotkine et Elisée Reclus pour les autres, événements contemporains, littérature… Souvent des influences diverses et croisées, ce qui nous permet ici de rappeler que l’anarchisme chinois n’est en rien une « importation » d’une « pensée politique occidentale », comme on peut l’entendre parfois… L’anarchisme chinois est un mouvement avec ses spécificités, ses événements, ses personnages, ses périodiques. Si le courant anarchiste se revendique aussi sans doctrine et sans canon, les anarchistes chinois semblent concentrer leur intérêt autour de l’expression d’une éthique individuelle et collective. Ils formulent un rejet commun et construit de l’autorité, du gouvernement et de la famille, dans la lignée du mouvement du 4 mai [4] et du mouvement pour la Nouvelle Culture. 4/12 Li Shizeng (1881-1973), découvre l’anarchisme dans les écrits de Kropotkine. Ecrit sur les questions de l’éducation moderne et complète, et promeut l’internationalisme et le végétarianisme, entre autres. Fondateur de la société Travail-Etude. Anarchiste de la 5/12 première génération. © CIRA Lausanne. « L’anarchisme est l’idéal et l’idéologie de la classe exploitée », écrit Ba Jin [5]. « L’anarchisme est la négation de l’Etat, négation de l’accaparement individuel des biens de la société, négation de toute autorité », écrit-il dans « Les principes de l’anarchisme » (1929). Dans la lignée de Proudhon et de Kropotkine, il affirme la nécessité de renverser l’Etat et d’abolir la propriété privée. Et à propos de l’Etat, « il se contente de nous massacrer, de nous humilier, de s’allier aux capitalistes pour massacrer les pauvres et nous voler », « tous les gouvernements sont basés sur la terreur » [6]. Pour lui, la révolution en Chine sera forcément liée, soit provoquée par, soit provoquant, « une grande révolution mondiale ». « A mon avis il n’y aura jamais de paix tant qu’un pays qui compte quatre cent millions d’habitants sera opprimé et exploité » [7], écrit-il en 1928. L’anarchisme devient dans les années 20 un phénomène national et rassemble nombre d’intellectuels et d’étudiants. Des groupes d’entraide entre étudiants et ouvriers voient le jour dans les villes, avec des cours dispensés dans les usines, et des programmes d’étude qui allient travail manuel et intellectuel. Dans les campagnes ont lieu diverses expérimentations, notamment au sud de la province de Fujian, où se forme alors une communauté indépendante basée sur des principes « anarchistes » et « révolutionnaires » [8]. Les anarchistes chinois fondent les premiers syndicats ouvriers, particulièrement autour de Canton, où l’on en compte une quarantaine dans les années 1915. Entre 1905 et 1923, il y aurait eu environ 70 périodiques et journaux anarchistes en langue chinoise, et 92 sociétés anarchistes auraient vu le jour en Chine continentale entre 1919 et 1923 [9]. Le mouvement anarchiste chinois est pluriel. On distingue plusieurs « centres » ou « groupes », notamment ceux de Paris, de Tokyo ou de Canton mais aussi le groupe du Sichuan, le groupe du Hunan, qui gravitent autour de sociétés, publications et manifestes. On distingue également deux grands moments : une première génération, active de 1905 à 1915 environ, c’est-à-dire avant la mort de Liu Shifu et l’interdiction de l’anarchisme en Chine, puis une seconde génération, qui émerge dans les années 1915 avec la mouvance de la Nouvelle Culture et du 4 mai et se délite dans les années 30-40 avec la montée des tensions entre Communistes et Nationalistes. La première génération d’anarchistes chinois se forme autour de groupes à Paris et à Tokyo. Menée par Wu Zhihui, Li Shizeng et Zhang Jingjiang, autour du journal Xin Shiji (Le Nouveau Siècle) elle œuvre pour la divulgation en chinois des écrits des grandes figures de l’anarchisme. Au même moment naît le groupe de Tokyo, autour de Liu Shipei et de He Zhen, qui publient également un journal,Tianyi bao(Principes naturels) [10]. Alors que les articles du Nouveau siècle sont davantage tournés vers les débats et dissensions théoriques,Principes Naturels s’intéresse plutôt aux conditions de travail, à la condition des femmes et de la paysannerie chinoise. En Chine, Canton constitue la principale place forte de l’anarchisme, et plus précisément de l’anarcho-communisme, avec Liu Shifu et uploads/Litterature/ petite-histoire-de-l-x27-anarchisme-chinois.pdf

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