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François Aubral Petites notes autour de l’Extrême contemporain Il importe, pour

François Aubral Petites notes autour de l’Extrême contemporain Il importe, pour parler de l ’extrême contemporain, de se trouver devant quelque chose comme de la presse, de l’urgence et de la nécessité, d’être comme lorsque l’on écrit, vraiment au pied du mur ou avec le couperet du temps sur la tête. Car l’extrême, c’est la limite, la fin presque déjà là du temps qui est imparti aux mots qui à bout de souffle cherchent à dire cet extrême insai sissable. Extrême, là devant moi, mon verbe, parole, écriture, presque mise en silence, en mal de point final, à peine accouchée que morte. Mais, ne nous laissons pas prendre par le tragique, si nous avons peu de temps, tentons de le brûler joyeusement, avec une pointe in extremis d’humour. Vous qui nous écoutez et parlerez tout à l’heure, lecteurs, écrivains, gens de lettres, nous qui parlons maintenant et écouterons bientôt, n’oublions pas cette mise en garde extrêmement contemporaine de d’Alembert lorsque dans son Essai sur la société des gens de lettres, il écrivait : « Il ne peut y avoir que deux sortes d’esprits qui se suffisent à eux- mêmes, l’extrême génie qui n’existe pas et l’extrême sottise qui n’existe que trop. » Gare à nous ! Va pour l’extrême génie, il n’est pas ici, quant à l’extrême sottise qui nous guette, partout, espérons-le pas plus ici qu’ail- leurs, nous ne l’avons pas rencontrée chez Michel Chaillou qui, il vient d’en donner la preuve, a proposé à quelques-uns d’entre nous l’extrême contemporain pour sujet de ce colloque et a trouvé un écho enthousiaste. Le bonheur de ces deux mots, leur caractère jubilatoire met l’accent sur un problème extrêmement présent que nous ressentons tous. A y songer, l’extrême contemporain balaye en deux mots toute la série historique et usée des couples opposés et antinomiques du genre : anciens- modernes, tradition-réforme, classicisme-modernisme, vieillot-avant-garde, avant-garde-post-avant-garde, moderne-post-moderne. Remarquons que le mot « moderne » et le mot « avant-garde », peuvent, suivant le moment où l’on se place dans l’histoire, être soit à droite soit à gauche, dans un sys tème profondément manichéen qui structure l’avance de la perception his torique, qui s’inscrit dans une logique du progrès dont je sens l’enfance autour de la Réforme, l’adolescence avec Condorcet, la maturité, triom phante avec Hegel qui tentera de la dépasser par une synthèse qui nous © ÉDITIONS BELIN / HUMENSIS. TOUS DROITS RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS - PAGE TÉLÉCHARGÉE SUR LE SITE PO-ET-SIE.FR - VOIR LES « CONDITIONS GÉNÉRALES D’UTILISATION » DE CE SITE. laisse froid. L’âge de la retraite et des maladies, je les trouve chez Nietzsche ; quant à la longue agonie, elle se déroule avec l’histoire du xxe siècle qui, ayant inventé la grande mort de 1914, Auschwitz et Hiros hima, ruine définitivement l’idée de progrès, ce rêve propre pour une humanité qui n’existe pas ; Machiavel, Hobbes et Spinoza ne s’y étaient pas trompés. L’écho de l’heureuse expression de Chaillou, c’est aussi votre présence ici : vous êtes venus séduits par la notion, pas assez naïfs pour croire qu’on allait vous la définir mais suffisamment curieux pour la sentir comme un problème, une question extrêmement contemporaine. Car, soyons en per suadés, si l’extrême contemporain dit la mort de l’idée de progrès, il est aussi la mort de la valeur sûre, de l’investissement à cent pour cent. En lui l’angoisse, notre angoisse devant le temps, l’avenir, la disparition néces saire, la mort, notre mort qui, malgré son caractère inadmissible, ne change rien au cours démoniaque de la terre, qui sûrement tournera aussi bien sans nous. Ce qui me frappe dans l’idée d’extrême contemporain, c’est d’abord l’extrême. Car le contemporain à la limite c’est simple, c’est ce qui est avec nous dans notre temps qui suit les modes, les systèmes d’idées et de repré sentations qui se succèdent par opposition, négation ou différence par rap port à ce qui était avant. Le contemporain, c’est la négation d’un passé proche, l’immédiat, l’instantané d’un avenir proche qui, si on regarde les choses de haut, montre l’éternel retour du même à travers l’autre, la volonté de puissance sans cesse impuissante, condamnée à revenir, ressasser, régresser, avancer, découvrir, progresser, ce qui est à peu près la même chose. Le contemporain, c’est ce qui est avec le temps, la conscience immé diate du temps, la réflexivité présente du temps sur lui-même. Avec le contemporain nous épousons les caprices du temps et divorçons sans cesse. Quant à l’extrême contemporain, il nous sort définitivement de ces trivialités que j’allais dire mondaines. Nous changeons notre conscience du temps. Notre avec-le-temps devient autre. La nature du temps elle-même se trans forme ni en mieux ni en moins bien, ni en avant ni en après mais à bout de souffle. Avec l’extrême contemporain, nous touchons, oh non, nous ne tou chons pas, nous mettons dans notre visée ce qui est non plus avec mais tout au bout du temps, ce qui est porté à son point dernier final, ce qui est au plus haut degré de la conscience. L ’extrême contemporain c’est la mort en face, non pas notre décès mais la lecture de l’acte de notre condamnation, c’est l’être présent de l’irréversible. L ’extrême contemporain par rapport au contemporain constitue un changement de nature, d’intensité et de vitesse, c’est la présence du paroxysme. Et en littérature, l’extrême contemporain c’est aussi bien Hélinant de Froidmond qui autour, je crois, des années 1200 écrivait : « Mort qui m'a mis muer en mue Dans cette étuve où le corps sue » que la Genèse qui dit « car tu es glaise et tu retourneras à la glaise » ou Jérémie qui se lamente ou Jean dans l’Apocalypse qui rêve de voir Dieu lui donner « la clef de la mort ou de l’Hadès » qui est aussi un mot grec. © ÉDITIONS BELIN / HUMENSIS. TOUS DROITS RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS - PAGE TÉLÉCHARGÉE SUR LE SITE PO-ET-SIE.FR - VOIR LES « CONDITIONS GÉNÉRALES D’UTILISATION » DE CE SITE. En littérature, c’est, pour prendre un exemple, je pouvais en choisir mille, Michaux : « Sur le chemin de la Mort, Ma mère rencontra une grande banquise ; Elle voulut parler, Il était déjà tard, Une grande banquise d'ouate, Elle nous regarda mon frère et moi, Et puis elle pleura. Nous lui dîmes — mensonge vraiment absurde — que nous comprenions bien. Elle eut alors ce si gracieux sourire de toute jeune fille, Qui était vraiment elle, Un si joli sourire presque espiègle ; Ensuite elle fut prise dans l’ Opaque. » C ’est, vous m’avez compris, tous les autres que je ne peux pas citer qui uti lisent la langue pour dire ce que vous ressentez en ce moment. La langue de leur temps qu’ils poussent à la roue pour lui faire vivre l’extrémité paroxystique et rêvée qui nous occupe. L'extrême contemporain ce sont aussi les résistants dans la langue dont ils vivent les tortures. C’est tout ce qui dit ça dans le roman, la poésie, le théâtre et toutes les créations de l’art. Mais l’extrême contemporain ce n’est jamais l’avant-gardisme d’opposition ou bien son jumeau la régression. L’avant-gardisme et le régressif ce n’est jamais le Butor de Vanité qui, dans un dialogue platonicien sur la mort, aporétique comme il se doit, au XXe siècle justement, réveille les images et les mots de la mort à travers l’histoire des cultures. Je parle du petit livre, inconnu, Vanité, de Michel Butor, où il nous dit justement d’une nature morte que dans une nature morte le mot morte y est pour nous presque entièrement effacé. L ’extrême contemporain c’est Artaud, l’anti-avant-gar- diste et l’anti-régressif qui veut « en finir avec le jugement de Dieu ». Pour en finir, j’ai sûrement dépassé le temps qui m’était attribué, mon temps limité, le terrain devient vite dangereux si je tente d’avancer plus encore vers mon extrême contemporain. Je m’arrête... © ÉDITIONS BELIN / HUMENSIS. TOUS DROITS RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS - PAGE TÉLÉCHARGÉE SUR LE SITE PO-ET-SIE.FR - VOIR LES « CONDITIONS GÉNÉRALES D’UTILISATION » DE CE SITE. uploads/Litterature/ petites-notes-autour-de-l-x27-extreme-contem-porain-francois-aubral.pdf