CE LIVRE EST PUBLIÉ DANS LA COLLECTION POÉTIQUE DIRIGÉE PAR GÉRARD GENETTE ISBN
CE LIVRE EST PUBLIÉ DANS LA COLLECTION POÉTIQUE DIRIGÉE PAR GÉRARD GENETTE ISBN 978-2-02-129132-2 © Éditions du Seuil, mars 2004 www.seuil.com Cet ouvrage a été numérisé en partenariat avec le Centre National du Livre. Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Le processus de la composition littéraire une fois démonté et remonté, le moment décisif de la littérature deviendra la lecture. Italo CALVINO TABLE DES MATIÈRES Copyright Stratégies de l’ambiguïté 1 - Identification Identification onomastique Identification biographique Identification professionnelle 2 - Paratexte Péritexte auctorial Péritexte allographe Épitexte 3 - Intertexte et métadiscours Indications explicites : le métadiscours 4 - Énonciation Narration Il (ou elle) : voix hétérodiégétique Il (ou elle) et je : voix combinées Je et il (ou elle) : voix homodiégétique Je : voix autodiégétique Tu, vous : voix alterdiégétique 5 - Temps Conjugaison Temps remémoré Moment de l’énonciation Temps du journal intime Brouillages 6 - Lieux de sincérité Fiction et sincérité Aveux Combats Héroïsation 7 - Questions d’histoire Diachronie Infortune critique 8 - Fonctions Écriture du roman autobiographique Lecture du roman autobiographique Bibliographie Index des auteurs cités Index des œuvres citées Index des notions Stratégies de l’ambiguïté LES TEXTES dont il sera question ici se présentent à la fois comme des romans et comme des fragments d’autobiographie. Leur lecteur est appelé à se demander : « Est-il je ? », autrement dit : « Est-ce l’auteur qui raconte sa vie ou un personnage fictif ? » Il a le sentiment qu’ils appartiennent, du fait de cette ambiguïté, à une catégorie littéraire particulière ; mais il ne saurait définir précisément ce genre, ni se référer à quelque étude qui lui soit consacrée, ni même trouver un terme qui fasse l’unanimité pour le désigner. Cette lacune peut s’expliquer. Ce genre hypothétique cumule en effet les défauts aux yeux de la critique. D’abord, il partage le discrédit dont fut longtemps frappée la littérature intime. Philippe Lejeune et Jacques Lecarme ont esquissé l’histoire de cette exclusion du « moi » qui a longtemps tiré sa légitimité théorique d’Aristote 1. En bon philosophe, celui- ci définissait l’art par le niveau de généralité du propos, c’est-à-dire par sa valeur d’exemple : Aucun art n’envisage un cas individuel 2. D’où sa distinction entre « poésie » et « chronique ». Si la poésie est artistique par nature, c’est parce qu’elle représente allégoriquement « ce qui pourrait avoir lieu » en tout temps. Au contraire, la chronique de « ce qui a eu lieu » ne saurait relever d’une appréciation esthétique, car les faits particuliers qu’elle relate ne sont aucunement généralisables 3. En vertu de cette hiérarchie, les genres narratifs en première personne, qui apparurent et se développèrent du XVIIe au XIXe siècle (Mémoires, lettres, journal intime, autobiographie), étaient rangés, non seulement par les poéticiens, mais aussi par les auteurs, dans le domaine prosaïque de la chronique, du particulier, de la non-littérature. Seconde tare de ces textes : leur bâtardise. Ils mélangent deux codes incompatibles, le roman étant fictionnel et l’autobiographie référentielle. Méconnaissant la plus élémentaire théorie des genres, ils échappent aux critères de jugement applicables aux genres établis. C’est pourquoi de nombreux critiques les ont purement et simplement passés sous silence, tandis que d’autres réduisaient leur dualité de façon à pouvoir les classer dans une catégorie déterminée. Enfin, troisième handicap, le roman autobiographique, sans doute honteux de sa bâtardise, avance masqué, sans s’annoncer. Son statut générique ne peut être établi qu’a posteriori, à l’issue d’un processus aléatoire de lecture et d’interprétation. En dépit de ces obstacles, la perception d’une nouveauté générique s’est traduite dans plusieurs langues, dès le milieu du XIXe siècle, par l’apparition de termes tels que « roman autobiographique » ou « roman personnel ». Dans une période où la théorie littéraire était en crise, nul ne se souciait de définir précisément ce que recouvraient ces concepts. Les études publiées par Joachim Merlant en 1905 4 et Jean Hytier en 1928 5 montrent que la critique universitaire circonscrivait le phénomène de l’ambivalence narrative à une époque révolue, le Romantisme. En France, faute de recherche ultérieure, cette doctrine sera enseignée à plusieurs générations de lycéens et d’étudiants. Simultanément, des critiques aussi influents que Brunetière 6 et Thibaudet 7 condamnaient fermement toute nouvelle intrusion de l’autobiographie dans le roman, au motif qu’elle risquait de dénaturer l’essence fictionnelle du genre. Le formalisme, le New Criticism, le structuralisme ont en quelque sorte verrouillé le système en exigeant que les textes soient lus et étudiés en eux-mêmes, de façon immanente, complètement détachés de leur auteur. Et la narratologie a entériné le rejet du roman autobiographique en accordant une attention exclusive au récit fictionnel. Cependant, un certain nombre de grands textes postérieurs au Romantisme résistaient à ces postulats dogmatiques. Comment analyser David Copperfield, Henri le Vert, Jacques Vingtras, Martin Eden, Portrait de l’artiste en jeune homme, Les Carnets de Malte Laurids Brigge, les œuvres de Colette, de Céline, de Knut Hamsun, de Henry Miller sans aborder leur problématique générique ? Régulièrement récusé, redéfini ou rebaptisé, le concept de roman autobiographique réapparaissait ainsi, en marge des débats d’école, dans de nombreux commentaires monographiques. Mais chaque texte, chaque auteur, étant étudiés isolément, ce concept restait flou, sans rapport avec le système générique dominant, ni avec l’horizon d’attente des lecteurs. De même, les éditeurs, les critiques de presse et les enseignants n’hésitaient pas à employer la double étiquette, roman et autobiographie, pour présenter à leur public les récits qui cumulent les deux registres. Mais ils s’arrêtaient le plus souvent au constat de cette mixité considérée comme une monstruosité originale et indescriptible. Dans les années 1970-1980, la critique s’est progressivement dégagée du dogmatisme structuraliste. La théorie de la réception, la linguistique pragmatique, l’étude de l’intertextualité et du paratexte, les essais de Wolfgang Iser et d’Umberto Eco sur l’acte de lecture ont conduit à réévaluer le rôle du lecteur, à considérer l’œuvre non plus comme un texte clos mais comme un support de communication dont les potentialités sont actualisées par l’interprétation du récepteur. D’autre part, le travail de Philippe Lejeune sur l’autobiographie a remis en question l’exclusion du récit référentiel du champ littéraire. C’est dans ce contexte qu’un nouveau terme est apparu pour désigner la réalité générique instable qui nous intéresse : « autofiction ». Lancé par l’essayiste et romancier Serge Doubrovsky, le terme s’est rapidement diffusé dans la critique universitaire puis au-delà, avec des définitions variables. Celle de Doubrovsky contenait trois paramètres : une écriture littéraire, une parfaite identité onomastique entre l’auteur, le narrateur et le héros, et une importance décisive accordée à la psychanalyse. Vincent Colonna et Gérard Genette ont ensuite proposé de réserver ce terme aux cas de « fictionnalisation de soi », c’est-à-dire de projection dans l’imaginaire d’un personnage portant le nom de l’auteur. L’usage n’a pas retenu ces définitions et s’est contenté de transférer sur ce néologisme le contenu sémantique approximatif du désuet « roman autobiographique ». L’engouement suscité par ce mot a éveillé l’intérêt de la recherche pour une catégorie autrefois ignorée ou méprisée. On s’est mis à étudier les textes contemporains à travers la problématique de l’autofiction 8. Mais, à l’instar de Doubrovsky, les zélateurs de ce nouveau genre le présentent généralement comme une forme d’expression inédite, postmoderne, sans antécédent, sans généalogie, sans histoire. Ce faisant, ils coupent les œuvres qu’ils étudient de leurs racines génériques, ils escamotent leur filiation avec le roman autobiographique traditionnel auquel elles empruntent pourtant la plupart de leurs procédés. Le présent travail se démarque de l’effet de mode induit par l’apparition du concept d’« autofiction », car il vise à restituer au genre qu’il désigne son historicité, son évolution et sa place dans l’horizon d’attente des lecteurs depuis au moins deux siècles. Dans cette optique, j’ai tenté de cerner la spécificité de cette configuration générique, donc de démontrer qu’elle est régie par des conventions originales, distinctes de celles qui régissent le récit de fiction, d’une part, et le récit autobiographique, d’autre part. En principe, le statut illocutoire de la fiction et celui de l’autobiographie s’opposent, s’excluent absolument l’un l’autre. Le romancier autobiographe ne réalise donc pas une impossible synthèse des codes antagonistes, mais il les confronte, il les fait co-exister. Il respecte et dénonce alternativement les clauses des deux contrats, il les discute, il les négocie, sans jamais choisir. Cette ambivalence fondamentale s’articule autour de la question de l’identité du protagoniste : tantôt il est identifiable à l’auteur et la lecture autobiographique s’impose, tantôt il s’en éloigne et la réception retrouve une dominante romanesque. Le texte est ainsi saturé par des signes de conjonction et de disjonction des deux instances. Ce double affichage générique ne requiert pas une lecture alternée, qui serait épuisante, mais une double lecture simultanée. Si l’on en juge par le succès de ces œuvres auprès du public, cette exigence de réception en partie double entre dans l’horizon d’attente des lecteurs, dans leur système des genres, dans leur poétique implicite. Loin de nuire au plaisir du texte, il est probable qu’au contraire elle l’excite. S’agissant d’une catégorie située sur une frontière, ou à un carrefour, le uploads/Litterature/ philippe-gasparini-est-il-je-jericho.pdf
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- Publié le Oct 06, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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