LA CORRESPONDANCE D’OCTAVE MIRBEAU Une longue quête C’est en 1967 que j’ai comm
LA CORRESPONDANCE D’OCTAVE MIRBEAU Une longue quête C’est en 1967 que j’ai commencé à travailler sur la correspondance d’Octave Mirbeau, dans le cadre de ce qui devait être une thèse complémentaire de la thèse d’État, sur L’Œuvre d’Octave Mirbeau, dont j’avais déposé le sujet à la Sorbonne en décembre 1966, deux ans après l’agrégation. Et c’est en 2017, année du centenaire de la mort de Mirbeau, que devrait paraître, si Octave me prête vie, le tome IV et dernier de mon édition de sa Correspondance générale, ainsi que le supplément, regroupant toutes les lettres trouvées depuis la parution des trois premiers volumes. Autrement dit, ce sera l’aboutissement – certains ne manqueront pas de dire « le couronnement »… – d’un travail d’un demi-siècle. Évidemment, quand je me suis lancé intrépidement dans cette aventure avec l’ardeur et l’inconscience de la jeunesse, je ne soupçonnais pas du tout qu’elle serait d’aussi longue haleine, ni qu’elle aboutirait à un pareil ensemble de publications, d’études, de spectacles et de festivités diverses autour de mon auteur de prédilection, d’autant qu’à l’époque Octave Mirbeau était largement méconnu et incompris et qu’on avait bien pris soin, depuis un demi-siècle, histoire de démonétiser et de miner par avance son message subversif, de le reléguer sur le second rayon, ou de le classer parmi les « petits naturalistes », quand ce n’était pas carrément parmi les écrivains pornographes… Que d’obstacles n’a-t-il pas fallu franchir ou déblayer pour découvrir et faire reconnaître, peu à peu, l’incroyable richesse d’une vie, la diversité et l’étonnante modernité d’une œuvre et l’importance du rôle joué par l’écrivain sur lequel je commençais à travailler dans les luttes esthétiques et sociales de son temps et dans l’évolution des genres littéraires, du roman aussi bien que du théâtre ! C’est cette importance historique, que révèle, précisément, la correspondance que Mirbeau a entretenue avec tous les personnages qui comptaient le plus, à l’époque, dans le monde de l’art, de la littérature, du théâtre, du journalisme et de la politique : Auguste Rodin et Claude Monet, Stéphane Mallarmé et Camille Pissarro, Émile Zola et Edmond de Goncourt, Guy de Maupassant et Paul Hervieu, Alphonse Daudet et Anatole France, Gustave Geffroy et Jules Huret, Remy de Gourmont et Marcel Schwob, Maurice Maeterlinck et Georges Rodenbach, Paul Bourget et Maurice Barrès, Félicien Rops et Alfred Jarry, Lucien Descaves et Léon Hennique, Jean-François Raffaëlli et Eugène Carrière, Aristide Maillol et Félix Vallotton, Juliette Adam et Francis Magnard, Jean Grave et Aristide Briand, Georges Clemenceau et Jean Jaurès, André Antoine et Maurice de Féraudy, Jules Claretie et Georges Charpentier, Sarah Bernhardt et Julia Bartet, Raymond Poincaré et Édouard Herriot, Joseph Reinach et Alfred Dreyfus, Paul Léautaud et Sacha Guitry, excusez du peu ! Ce qui fait que ses échanges épistolaires ne sont pas seulement passionnants pour la connaissance qu’ils apportent sur la vie et l’évolution de Mirbeau, sur ses multiples combats et sur la genèse de ses œuvres, mais aussi parce que, plus largement, ils sont une très précieuse source d’informations sur la vie littéraire, artistique et sociale de la prétendue Belle Époque. .Mais si le nombre, la qualité et l’extrême diversité de ses correspondants permettent justement d’avoir des aperçus sur tout un pan de notre histoire, en revanche, pour un chercheur en quête de lettres dispersées à travers le vaste monde, ils constituent une difficulté difficile à surmonter. Il est à coup sûr beaucoup plus confortable de tomber sur un trésor bien circonscrit de centaines de lettres adressées à un seul destinataire, à l’instar de celles de Pierre Louÿs à son frère Georges. Il m’a donc fallu commencer par dresser la liste de ses correspondants probables, ou simplement possibles, et essayer de déterminer s’il existait quelque part, pour chacun d’eux, un fonds en attente de ma visite, hébergé par un quelconque héritier, par un collectionneur spécialisé ou par des bibliothèques et archives publiques. Que de lettres n’a-il pas fallu écrire pour retrouver les traces de lettres dispersées au fil des successions, des ventes et des donations ! Pour certains fonds, la localisation a été rapide et quasiment évidente : ainsi toutes les lettres adressées à Rodin ont-elles été soigneusement conservées au Musée qui lui est consacré, et celles adressées à Émile Zola et à Joseph Reinach se trouvent-elles à la B. N. D’autres bibliothèques possèdent aussi un nombre non négligeable de lettres de Mirbeau : le Harry Ransom Center, à Austin, Texas (Fonds Artinian), la Bibliothèque Royale de Belgique, à Bruxelles, et, à Paris, la Bibliothèque Jacques Doucet et, pour tout ce qui concerne le théâtre, la Bibliothèque de l’Arsenal. Mais pour la plupart des autres fonds éparpillés à travers le monde, ç’a été la galère pour les dénicher, d’abord, et, ensuite, pour obtenir des ayants droit l’autorisation d’aller les copier ou l’envoi de photocopies, à mes frais. Ainsi les lettres à Pissarro étaient-elles provisoirement entreposées chez le notaire chargé de la succession d’un des héritiers de Camille, en attendant d’être préemptées par le Cabinet des dessins du Louvre. Celles dont j’ai eu le plus de mal à retrouver la trace – mais aussi, par conséquent, la plus grande satisfaction –, ce sont les très nombreuses lettres à Claude Monet qu’aucun des innombrables spécialistes du peintre n’avait débusquées à l’époque. C’est à force de frapper à toutes sortes de portes que j’ai abouti à une dame Giordanengo, qui, dans sa maison de la Côte d’Azur, possédait la bagatelle d’une soixantaine de lettres de Mirbeau à Monet, longues et riches, et qui me les a expédiées sans barguigner dans une boîte à cigares – non les copies, mais les originaux ! –, manifestant ainsi une admirable confiance envers un jeune chercheur inconnu qui n’avait encore rien publié… C’est seulement en décembre 2006, lors de la fameuse vente Cornebois, que j’ai appris, par une conservatrice du Musée d’Orsay qui m’avait contacté, que cette dame n’était autre que la fille non reconnue de Michel Monet, fils de Claude, qui venait de trouver la mort dans un accident de voiture. Elle avait donc, peu de temps avant que je ne lui écrive, hérité d’une masse de documents rares et précieux, qu’elle n’avait visiblement pas eu le temps de classer complètement, ce qui explique sans doute que nombre de lettres aient échappé à sa vigilance. Ce sont ses héritiers qui, quarante ans plus tard, ont décidé de tout vendre en ventes publiques, y compris les quelque 140 lettres de Mirbeau, et qui ont réalisé à cette occasion un gain fabuleux. Les lettres À la différence d’une correspondance croisée, dont la continuité et la cohérence rendent la lecture facile, une correspondance générale oblige le lecteur à passer constamment d’un interlocuteur à un autre, dont les relations au scripteur sont fondamentalement différentes, ce qui peut donner parfois l’impression de sauter du coq à l’âne : la succession de missives quelque peu hétéroclites selon la stricte chronologie est susceptible de produire parfois des effets cocasses, mais c’est la loi du genre. En revanche, elle permet de mettre en lumière et de mieux comprendre la stratégie de l’auteur face à des interlocuteurs qui ont des statuts différents et des intérêts fort divers. À l’occasion, il est ainsi loisible de prendre Mirbeau en flagrant délit de double langage, voire de flagornerie et de mensonge : il ne s’adresse évidemment pas de la même façon à son confident Paul Hervieu, à qui il raconte tout, sans la moindre réticence, et à un éditeur ou un rédacteur en chef, par exemple Juliette Adam, Paul Ollendorff ou Francis Magnard, dont il doit gagner les bonnes grâces pour placer sa copie et en obtenir un bon prix. Les lettres d’une correspondance générale peuvent donc être extrêmement diverses parce qu’elles reflètent la multiplicité et la diversité des relations entretenues par le scripteur. Cette hétérogénéité est accrue par la diversité des origines des lettres collectées. Ainsi m’est-il vite apparu qu’il y avait cinq cas de figure différents : - Les lettres conservées dans des archives publiques ou chez des héritiers dûment identifiés, et généralement ouverts aux demandes des chercheurs (mais il y a des exceptions à la règle). Aujourd’hui, avec l’informatisation des catalogues des grandes bibliothèques du monde, la recherche en est grandement facilitée. Mais, dans les années 1960-1970, force était d’écrire à chacune d’elles, ce qui était à la fois très long, très lent… et coûteux ! Il est donc assez probable, vu le caractère artisanal de ma quête, que des lettres dorment encore dans quelque fonds lointain ignoré des chercheurs. - Les lettres appartenant à des collectionneurs privés, qui ne sont pas toujours coopératifs, certains veillant jalousement sur leurs trésors, tel Harpagon sur sa cassette (ce fut notamment le cas, surprenant, d’un collègue, professeur à la Sorbonne…). J’ai donc dû écrire, à l’aveuglette, à quantité de collectionneurs un tant soit peu connus, dont une petite partie seulement possédait du Mirbeau. Mais la majorité des petits collectionneurs est restée longtemps hors d’atteinte, faute d’être connus comme tels. Juste retour des choses, depuis que Mirbeau est enfin remis à sa juste place et que le travail des mirbeaulogues uploads/Litterature/ pierre-michel-la-correspondance-d-x27-octave-mirbeau.pdf
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- Publié le Jan 23, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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