Marcelin Pleynet, 1933-2018 un parcours politique Mettray, septembre 2018. Didi

Marcelin Pleynet, 1933-2018 un parcours politique Mettray, septembre 2018. Didier Morin Il y a deux ans lorsque je suis venu vous voir pour le dossier que je préparais sur la Beat Génération, pour lequel vous m’avez donné un texte intitulé Paris-New-York, je vous avais dit que je souhaiterais faire un entretien avec vous, revenir sur votre engagement dans la poésie, l’art et la littérature. Marcelin Pleynet Je me souviens très bien. D.M. Depuis est paru dans un numéro de la revue L’Infini une note biographique plutôt bien faite, et puis récemment un volume dans la collection Les grands entretiens d’Art Press. M.P. Absolument. D.M. Je dois vous avouer que je n’ai pas lu tous les entretiens que vous avez donnés, et que c’est à partir de vos écrits et de ce que je connais de vous que j’ai travaillé. M.P. Il y a aussi le livre de Jacqueline Risset, que vous connaissez je suppose ? D.M. Oui, le livre paru chez Seghers... Marcelin Pleynet, Seghers, « Poètes d’aujourd’hui », 1988. VOIR Marcelin Pleynet, 1988 M.P. Il est très bien fait, il y a des tas de choses là-dedans. D.M. Alors dans L’Infini on apprend qu’enfant, vous avez 12 ou 13 ans, et vous avez « sous la main » — c’est votre expression — la bibliothèque de votre beau- père, où vous nous dites au passage qu’il était anarchiste et qu’il vire fasciste... M.P. Absolument. Il a été bizarrement gracié à la libération. D.M. Et c’est cette bibliothèque qui vous donne vos premières expériences de lecture. M.P. Tout à fait. D.M. Un peu après 1948, vous découvrez Lautréamont qui va éclairer vos lectures. Vous y consacrerez un essai qui paraîtra une première fois au Seuil, puis chez Gallimard il y a quelques années. M.P. Je l’écris en 1966 et il paraît en 1967. Je m’en sers pour mon enseignement aux Etats-Unis où j’ai fait un cours sur Lautréamont. C’était aux États-Unis, à l’université de Northwestern, près de Chicago... D.M. En 1948, nous sommes dans le contexte français de l’après-guerre, avec tout ce que cela veut dire. C’est à cette époque que vous découvrez Paris et la peinture italienne que vous voyez au Louvre. Est-ce qu’à cette époque vous vous voyez devenir écrivain ? M.P. J’avais déjà écrit des poèmes, que j’écrivais la nuit. Comme j’écrivais la nuit c’était inégalement réparti sur la page. Un jour ma mère, ou mon beau-père en ont tapés certains pour les envoyer à Jean Rostand. Il a répondu que ce n’était pas mal, mais que c’était très insuffisant. Et en effet, c’était même très mauvais. D.M. Et puis il y a la rencontre avec Jean Cayrol, qui dirige la revue Écrire, qui vous encourage à rencontrer Philippe Sollers. VOIR Jean Cayrol - Un homme en résistance M.P. C’est vrai. C’est lui qui me présente Philippe Sollers pour la première fois. Entre temps, j’ai voyagé avec Cayrol en Hollande, où je l’accompagnais comme secrétaire, j’ai aussi voyagé avec lui en Angleterre et en Écosse, où il faisait des conférences. D.M. Il y a une question qui est posée dans un Tel Quel, un des premiers numéros : « Pensez-vous avoir un don d’écrivain ? » Je vous la pose aujourd’hui : « Pensiez-vous à !’époque avoir un don d’écrivain ? » Vous vous souvenez de cette question ? M.P. Oui, bien sûr. J’étais persuadé que j’avais un don d’écrivain. C’est-à-dire... Je suis tout sauf modeste, et j’étais, et je reste si l’on veut très prétentieux. J’écrivais beaucoup, j’écrivais sans arrêt. Sur des bouts de papiers, sur des carnets... D’ailleurs, j’ai tenu et je tiens encore mon journal dont un certain nombre d’exemplaires sont déposés à la bibliothèque Jacques Doucet, avec toutes mes archives. D.M. Vous entrez à Tel Quel en quelle année ? M.P. Je deviens secrétaire de rédaction et directeur gérant de Tel Quel en 1963, mais je figure déjà au sommaire du numéro 0 de la revue. J’avais déjà écrit Provisoires amants des nègres... C’est Cayrol qui montra le manuscrit à Sollers qui le trouva très bien... Le livre est paru, dans la collection Cadre rouge, aux éditions du Seuil. J’ai eu un vrai problème avec le titre... Comme vous le savez, la plupart des poètes du Seuil étant noirs, le titre fit scandale, Paul Flamand ne voulait pas en entendre parler jusqu’à ce qu’il dise à René Char ce qu’il en pensait, René Char lui répondit : « Mais comment ! C’est un merveilleux titre ! » Alors le livre est paru. Le livre publié, Flamand m’a fait venir dans son bureau pour me dire : « S’il ne tenait qu’à moi, je n’aurais jan:ais publié ce livre ». Provisoires amants des nègres. ZOOM : cliquer sur l’image. D.M. Avec Provisoires amants des nègres, on est dans la poésie, et dans une poésie où on remarque l’influence de Rimbaud. M.P. C’est de la poésie, oui. Mes trois premiers volumes sont de la poésie. Après Provisoires amants des nègres, les deux suivants Paysages en deux suivi de Lignes de la prose et Comme, ont été publiés dans la collection Tel Quel. Quant à l’influence de Rimbaud, c’est Sollers qui l’a remarquée. Nulle part ailleurs, dans les comptes rendus, il n’en est question. Il n’y a que Sollers, qui a vu ça à l’époque... Autrement, personne, strictement personne ! D.M. Le contexte est celui de la guerre d’Algérie... Il est dédié à votre père. M.P. La guerre d’Algérie, oui... Sollers a été réformé au moment de la guerre d’Algérie, et je le fus aussi pour malformation cardiaque. Le livre n’est pas dédié à mon beau-père, mais à mon père biologique. C’était un petit message à peine crypté, envoyé à mon beau-père. D.M. Il y a une ville, c’est Lyon ? M.P. Oui, absolument, j’y suis né. D.M. Il y a la nuit également et l’aurore... Quelque chose avec les lumières. Je trouve que la lumière est très présente dans votre œuvre, jusqu’aux écrits sur Venise, et y compris dans votre dernier roman qui vient de paraître, L’expatrié. M.P. J’ai depuis toujours eu une particulière sensibilité à la lumière... Si bien que j’ai toujours de vrais problèmes avec le climat parisien où la lumière est le plus souvent grise. J’ai immédiatement été frappé par la qualité très particulière de la lumière la première fois que je suis allé à Venise. D.M. Revenons à cette époque où vous écrivez Provisoires amants des nègres. Que connaissez-vous de la poésie et de la littérature à cette époque ? M.P. J’en connais déjà beaucoup... D.M. Alors on peut donner des noms. On peut dire Céline, on peut dire Genet, on peut dire Joyce, Ponge également, Leiris, Bataille... M.P. Absolument. D.M. Et vos contemporains, Sollers bien sûr, Roche, Guyotat, Claude Simon... M.P. Roche, c’est moi qui le fais entrer à Tel Quel. D.M. On parle bien de Denis Roche ? M.P. Denis Roche oui. Denis Roche écrivait à l’époque des poèmes, qu’il avait présenté dans un lieu tout à fait impossible qui s’appelait « Le Club des poètes »... Il les avait ensuite envoyés à Cayrol qui m’avait demandé de les lire. Je les ai lus, j’en ai fait un compte-rendu très positif, et Cayrol a décidé de les publier. C’est moi qui ai introduit Denis Roche,aussi bien à Écrite, qu’à Tel Quel. Quant à Ponge, il avait alors de grosses difficultés pour faire publier son Malherbe, chez Gallimard. C’est grâce à Sollers que Malherbe a finalement été en partie publié dans la revue Tel Quel. VOIR Dédicaces Braque et les écrans truqués Explications Ponge était très sympathique, au début, on s’est très bien entendu. Nous avions une sorte de reconnaissance mutuelle. Il m’a écrit des tas de lettres tout à fait élogieuses que l’on a publié dans L’Infini... Jusqu’au moment où j’ai écrit dans Art Press un texte sur Braque. Sa réponse à ce texte a été un pamphlet à mon égard (ce pamphlet fut le dernier pamphlet écrit dans l’histoire des lettres françaises). Il avait pour titre : Mais pour qui donc se prennent maintenant ces gens-là ? C’est au nom de Tel Quel que la réponse fut écrite avec notamment cette phrase : « un vieux gâteux crache dans sa soupe. » D.M. Je ne savais pas ça. Et forcément il y avait des écrivains dont l’écriture... vous embarrassait. M.P. Oh... la plupart oui... La plupart ... Vous savez, j’ai toujours été un peu tranchant, d’où la carrière absolument chaotique qui est la mienne... C’est-à- dire que j’ai toujours grosso modo dit ce que je pensais. A l’époque, il y a des écrivains que je ne pouvais pas souffrir... Par exemple, j’ai toujours eu de gros problèmes avec Robbe-Grillet. D.M. Oui, ça je le sais. M.P. J’ai eu de vrais problèmes avec Robbe-Grillet très tôt. Ça a commencé lors d’une réunion, qui se tenait, aux éditions de Minuit, chez Jérôme Lindon... Robbe-Grillet y avait déclaré : « Je ne peux pas souffrir Rimbaud, ce pédéraste prétentieux ». Ça m’avait semblé, et ça me semble encore, stupide et intolérable... uploads/Litterature/ pleynet-entretien-2018.pdf

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