Carnets Revue électronique d’études françaises de l’APEF Deuxième série - 4 | 2
Carnets Revue électronique d’études françaises de l’APEF Deuxième série - 4 | 2015 Regards sur Camus Relire Camus : une ethnocritique de la peste Benkhodja Ammar Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/carnets/1597 DOI : 10.4000/carnets.1597 ISSN : 1646-7698 Éditeur APEF Référence électronique Benkhodja Ammar, « Relire Camus : une ethnocritique de la peste », Carnets [En ligne], Deuxième série - 4 | 2015, mis en ligne le 30 mai 2015, consulté le 10 décembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/carnets/1597 ; DOI : https://doi.org/10.4000/carnets.1597 Ce document a été généré automatiquement le 10 décembre 2020. Carnets est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons - Atribution – Pas d’utilisation commerciale 4.0 International. Relire Camus : une ethnocritique de la peste Benkhodja Ammar 1 S’agissant du projet scriptural de La Peste, roman qui demandera à l’auteur une attention particulière1, Albert Camus, comme tout écrivain soucieux de son esthétique, s’interroge lui-même, dans ses Carnets, sur le projet d’écriture de son roman. Il décline, dans les avant-textes que constituent ses Carnets2, une hésitation double ; hésitation sur le titre de son futur livre, et sur le genre littéraire qui prendra en charge sa forme : « Peste ou aventure. Roman. » (Camus, 1962 : 166), « Roman. Ne pas mettre ‘La Peste’ dans le livre. Mais quelque chose comme ‘les prisonniers’« (Camus, 1964 : 34), « La Peste. Pittoresque et descriptives – petits morceaux documentaires et une dissertation sur les fléaux (…) il faut décidemment que ce soit une relation, une chronique, mais de problèmes cela pose » (Camus, 1964 : 55). Il multiplie les moyens pour faire ressortir « le sens social de la peste » (Camus, 1964 : 57) : « les événements de la chronique » (Camus, 1964 : 57), prêches, documents médicaux… Bref, tout un arsenal documentaire à la mode zolienne qui fera de ce roman une œuvre concentrée. 2 C’est justement cette « concentration » culturelle du roman de La Peste que nous avons voulu interroger ici, en faisant l’hypothèse qu’une polyphonie des voix/voies culturelles traverse ce roman3. 3 A cet effet, nous nous intéresserons à la conception que donne le roman du fléau dont il porte le nom. Nous pensons que différents degrés de croyances y sont cristallisés, faisant s’entrecroiser différents mondes et modes de représentations symboliques plus ou moins hétérogènes, permettant de penser, et de repenser, la structure composite de la société et de la culture de l’Algérie française, et le rapport problématique qui lie l’Algérie à la France, ainsi que celui qui lie l’auteur à ces/ses deux parties. 4 Nous ne comptons pas, bien évidemment faire table rase de toutes les lectures, aussi riches les unes que les autres, dont a fait, et continue à faire, objet ce roman, mais nous voulons, ajouter aux voix savantes et philosophiques qu’elle suscite celle portée par le populaire, le folklorique, de ce roman d’Albert Camus. Albert Camus, écrivain avant tout, Albert Camus, artiste et créateur avant tout. Relire Camus : une ethnocritique de la peste Carnets, Deuxième série - 4 | 2015 1 Albert Camus, artiste, Albert Camus, créateur 5 La Peste d’Albert Camus fait partie du cycle de la Révolte et apparait comme « le premier grand roman français de l’immédiate après-guerre » (Levi-Valensi, 1991 : 11). Il vaudra, dix ans après sa parution, le Prix Nobel à son auteur. Ce qui fera de ce roman un grand classique de la littérature française. 6 Unique et universelle à la fois, la critique a longtemps souligné l’aspect philosophique et moraliste de l’œuvre camusienne. Camus le penseur, le journaliste, l’essayiste, le carnétiste chroniquer, le philosophe, le moraliste…, c’est de ces topoïs que partent la majorité des critiques camusiennes pour en faire la partie implicite, mais déterminante, d’un enthymème. Tout alors devient problématisable dans ses textes : ce qui n’est pas consubstantiel au domaine du philosophique4 est infléchit à celui de la chronique, mettant de côté ce en tant que quoi Camus se définissait avant tout : Camus, l’artiste, comme il le souligne lui-même lors de sa rencontre avec le poète et dramaturge belge Jean Mogin : Jean Mogin : On ne sait plus trop souvent, je crois, à confondre Albert Camus l’artiste, le moraliste et même et surtout le philosophe. Monsieur Albert Camus, je voudrais vous demander tout d’abord : que pensez-vous de toute cette confusion dont vous êtes souvent victime ? Albert Camus : Eh bien, c’est une confusion inévitable, mais, si tant est que le point de vue d’un artiste sur lui-même soit le bon, je voudrais insister sur le fait que personnellement, je me sens et je me considère d’abord comme un artiste (Entretien avec Jean Mogin, le 13 septembre 1955, transcription réalisée par nous- même. L’entretien est consultable sur le site de l’INA : <URL : http://www.ina.fr/ audio/PHD98047721>). 7 En tant qu’écrivain d’abord, Camus interroge aussi bien le champ général de la production littéraire européenne que sa propre production qu’il positionne par rapport à son contexte littéraire : Tout l’effort de l’art occidental est de proposer des types à l’imagination. Et l’histoire de la littérature européenne ne semble pas être autre chose qu’une suite de variations sur ces types et ces thèmes donnés. L’amour racinien est une variation sur un type d’amour qui n’a peut-être pas cours dans la vie. (Camus, 1962 : 168) 8 Le classicisme correspond, pour Camus, à la domination des passions individuelles. Même si Camus emprunte au régime d’écriture littéraire dit classique la structure de la tragédie dont il habillera La Peste, il préférera, dans ce roman, une « tentation d’une mise en forme d’une passion collective » (Camus, 1964 : 140), à une mise en scène d’une expérience individuelle. Un roman qui inscrit sa forme donc dans la tradition classiciste, mais qui s’en éloigne tout aussi bien. Cette double posture sera prise en charge par une orchestration de deux styles : l’un concerne « les actions individuelles » et l’autre concerne, au contraire, « la tragédie collective » (Entretien de Jean Mogin, idem). Un amalgame qui fera de cette épopée des pestiférés une agora où se jouera polyphonie non seulement linguistique, mais également et surtout culturelle, et c’est à cet aspect que nous nous intéressons ici. 9 Nous avons, dans cette perspective, dégagé trois systèmes de croyances, ou de créance, selon la terminologie ethnocritique relative au fléau de la peste. Relire Camus : une ethnocritique de la peste Carnets, Deuxième série - 4 | 2015 2 Régime de créances positivistes La drôle de Peste ? (…) Un des thèmes –possibles- lutte de la médecine et de la religion : les puissances du relatif (et quel relatif !) contre celles de l’absolu. C’est le relatif qui triomphe ou plus exactement qui ne perd pas. (Camus, 1964 : 57) 10 Ce passage avant-textuel place le texte de La Peste sous le signe de l’éternel combat « science vs croyance ». Plus intéressant encore pour une approche ethnocritique du texte, il augure une belligérance dans le système axiologique supportée par différents régimes de croyances que le fléau de la peste suscite et est hiérarchisé, dans l’imaginaire du texte, en degrés de « créances »5. 11 Nous avons nommé le premier régime : « régime de créance positiviste », pour désigner cette mise en ordre, cette explication du phénomène épidémique par le prisme d’une cosmologie scientifique. Cette créance semble être portée par le docteur Rieux, et soutenue par toutes les initiatives préfectorales prises dans le but de mettre un terme au fléau. 12 Le docteur Rieux, premier personnage à entrer dans la scène romanesque, est également le premier à être confronté à l’épidémie. C’est lui qui butta, contre le premier rat mort (de la peste) du roman. Phénomène qu’il prend avec insouciance. Il n’y vit aucun mauvais présage, contrairement à la grande majorité de la population oranaise et, à titre d’exemple, le veilleur de nuit que rencontre Tarrou : « A l’hôtel, le veilleur de nuit, qui est un homme de foi, m’a dit qu’il s’attendait à un malheur avec tous ces rats. ‘Quand les rats quittent le navire...’« (Camus, 1947 : 31). 13 Le médecin, disons-le vite, agit en pur scientifique. Il ne se prononce pas sur le nom de la maladie même après avoir été confronté à plusieurs cas : « – Docteur, disait-elle, qu’est-ce que c’est ? – ça peut être n’importe quoi. Mais il n’y a encore rien de sûr. Jusqu’à ce soir, diète et dépuratif. Qu’il boive beaucoup » (Camus, 1947 : 26). Il procède, pour diagnostiquer les pestiférés, devenus de plus en plus nombreux, pragmatiquement. Il appelle un confrère et enquête dans les régions avoisinantes : « il appela encore quelques médecins. L’enquête ainsi menée lui donna une vingtaine de cas semblables en quelques jours » (Camus, 1947 : 35). 14 En discutant avec Tarrou à propos du prêche du père Paneloux, Rieux avoue ne pas être croyant. Il ne croit pas en des forces vengeresses qui seraient à l’origine du Fléau. Il choisit plutôt de le combattre par le savoir, plutôt que par la prière : uploads/Litterature/ relire-camus-une-ethnocritique-de-la-peste.pdf
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- Publié le Jui 04, 2021
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