1.3. Domaines formels de la prosodie En plus de la décrire selon ses différents
1.3. Domaines formels de la prosodie En plus de la décrire selon ses différents paramètres acoustiques et ses différentes fonctions, on divise souvent la prosodie en plusieurs domaines qui constituent chacun un ensemble cohérent de faits phonologiques et phonétiques. Les trois domaines principaux de la prosodie sont les suivants (cf Frota et Prieto 2015) : - l’accentuation : Il s’agit de l’assignation de différents types d’accents (lexicaux, rythmiques, focaux, emphatiques) à des mots ou à des groupes de mots. - le phrasé (terme que nous adaptons de l’anglais phrasing) : Il s’agit de la formation de groupes prosodiques de différents niveaux (groupe accentuel, groupe intermédiaire et groupe intonatif), et par conséquent du marquage de la structure prosodique des énoncés. - l’intonation : Il s’agit de l’ensemble des contours mélodiques de la langue (continuatifs, terminaux, expressifs). Notons que le terme d’intonation est aussi parfois employé pour désigner la prosodie dans sa totalité. Parmi les autres domaines formels de la prosodie qui sont souvent étudiés, on peut citer les variations de registre tonal ou le rythme. Le registre tonal, c’est-à-dire l’étendue des variations de hauteur du locuteur, peut s’élever vers l’aigu ou s’abaisser vers le grave, et s’élargir ou se rétrécir. Le rythme, domaine qui recoupe en partie celui de l’accentuation, désigne la récurrence de certains motifs dans la prosodie, par exemple l’alternance entre syllabes proéminentes et syllabes faibles (cf Delais-Roussarie et Yoo 2014). 1.4. Caractéristiques du français La suite de ce chapitre aborde successivement les domaines de l’accentuation, du phrasé et de l’intonation en français. Dans cette langue, il existe un syncrétisme entre l’accentuation et l’intonation, car les contours intonatifs sont toujours portés par les syllabes accentuées (e.g. Martin 1975, Delais-Roussarie et al 2015). Pour le comprendre, comparons les exemples (5a), (5b) et (5c) ci-dessous. Ces trois exemples contiennent le même énoncé en français, en espagnol et en anglais. Du point de vue intonatif, il s’agit d’une assertion qui se termine, dans chacune des trois langues, par un contour terminal descendant sur la dernière syllabe de l’énoncé. Cependant, du point de vue accentuel, les trois énoncés varient selon la syllabe (soulignée dans les exemples) qui est accentuée dans le dernier mot. Il s’agit de la dernière syllabe en français, de l’avant-dernière syllabe en espagnol, et de l’antépénultième syllabe en 2. L’accentuation du français 2.1. Catégories d’accents Il existe plusieurs catégories d’accents (cf Di Cristo 1999a) : l’accent lexical : Comme nous venons de le voir, il s’agit de la catégorie, absente du français, qui est distinctive au niveau lexical. - l’accent rythmique (ou métrique) : Cet accent sert à délimiter les groupes prosodiques (et participe à ce titre au rythme de la parole). Il tombe généralement sur la syllabe finale des groupes, et parfois sur une des syllabes initiales. L’exemple (6) ci-dessous reprend l’énoncé que nous avons vu plus haut et indique les accents rythmiques réalisés par la locutrice. (6) donc j'étais à ce cours-là | et c'était assez drôle | parce que tous les étudiants | se sont précipités | au cours | de philosophie indienne | parce que c'était plutôt original - l’accent focal : Cet accent sert à indiquer un focus dans l’énoncé. Les concepts de focus et de ses différents sous-types (informationnel, contrastif, associatif et verum) ont leur importance dans cette thèse, puisque le marquage de focus est une des fonctions attribuées à la focalisation prosodique. Ces concepts seront définis dans le chapitre 3 (cf § 2.1). Pour l’instant, examinons les exemples (7) à (10) ci- dessous, dans lesquels l’énoncé de l’exemple (3) est repris puis modifié pour illustrer les différents contextes dans lesquels on peut rencontrer un accent focal. En (7), l’accent sur voisin marque l’information nouvelle de l’énoncé (focus informationnel). En (8), l’accent sur La Londe marque un contraste avec Bormes dans l’énoncé précédent (focus contrastif). En (9), l’accent sur Bormes marque le fait qu’il s’agit de l’argument de l’adverbe aussi (focus associatif). En (10), l’accent sur c’est sert à souligner la vérité de la proposition (verum focus). (7) Le maire de Bormes ! C’est le voisin, le maire de Bormes... (8) – C’est le maire de Bormes. – Non, c’est le maire de La Londe. (9) J’ai aussi parlé au maire de Bormes. (10) – Ce n’est pas le maire de Bormes. – Si, c’est le maire de Bormes. - l’accent emphatique : Comme son nom l’indique, cet accent sert à marquer une emphase sur un élément, une fonction qui est elle aussi attribuée au phénomène de focalisation prosodique. Dans le chapitre 3 (cf § 3.1), nous distinguerons deux types d’emphase : l’insistance et l’expressivité. L’insistance a déjà été illustrée dans l’exemple (4), repris ci-dessous en (11). L’expressivité est illustrée par l’exemple (12) ci-dessous. En (11), la locutrice insiste sur l’importance de exactement. En (12), l’accent sur hurlé lui sert à exprimer une émotion (probablement la colère). On remarque que, contrairement aux exemples précédents, les accents sont ici initiaux et non finaux. (11) Et les profs, c’est exactement l’inverse, quoi. (12) Et il lui a hurlé dessus ! Nous allons voir que ces différents accents connaissent des réalisations acoustiques différentes. Mais auparavant, il est nécessaire de passer en revue certaines unités et certains principes de l’accentuation du français. 2.2. Unités métriques Le rythme concerne le niveau superficiel de la langue et renvoie donc à la réalisation prosodique effective des énoncés. Le fonctionnement de l’accentuation repose également sur un domaine sous-jacent qui renvoie à la réalisation potentielle des énoncés : il s’agit du mètre. En français comme dans d’autres langues, ce domaine comprend trois unités de base (cf Di Cristo 1999a) : - le pied : Il s’agit de l’unité métrique minimale. Le pied ne peut contenir qu’un seul accent. En français, l’accent tombe toujours à la fin du pied, contrairement à l’anglais où il tombe toujours au début du pied (Di Cristo 2013 : 135). Le pied est donc constitué de la syllabe accentuée et des syllabes qui la précèdent. L’exemple (13) ci-dessous reprend l’énoncé attesté que nous avons déjà vu plusieurs fois plus haut. Un découpage potentiel en pieds y est indiqué à l’aide de parenthèses. 4. L’intonation du français La partie précédente sur la structure prosodique du français nous a déjà donné l’occasion d’aborder le domaine de l’intonation puisque, comme nous l’avons vu, les trois niveaux de la structure prosodique ont chacun leurs propriétés intonatives distinctives. Dans la section qui suit (cf § 4.1), nous allons voir plus précisément comment, au moyen des contours continuatifs, l’intonation contribue à indiquer la structure prosodique de l’énoncé. Ce n’est cependant pas la seule fonction de l’intonation : celle-ci sert aussi à indiquer la modalité de l’énoncé, joue un rôle dans l’assignation de proéminences à travers le phénomène de désaccentuation, et permet d’exprimer les émotions et les attitudes. 4.1. Contours continuatifs Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, les groupes accentuels et les groupes intermédiaires se terminent généralement par des contours montants. C’est également souvent le cas pour les groupes intonatifs lorsqu’ils se trouvent en milieu d’énoncé (Post 2000, Jun et Fougeron 2000). En plus de contribuer (avec l’accentuation) à délimiter les groupes prosodiques, ces contours montants que l’on dit continuatifs remplissent deux fonctions. Premièrement, ils permettent au locuteur de faire savoir à l’auditeur que l’énoncé n’est pas terminé et qu’il faut attendre une suite. Deuxièmement, ils indiquent les relations de dépendance entre les groupes prosodiques. En effet, la présence d’un contour continuatif à la fin d’un groupe signifie que ce groupe est relié au groupe qui suit. Ce processus est illustré ci-dessous (cf Figure 3) par la courbe de fréquence fondamentale de notre énoncé attesté, obtenue à l’aide du logiciel d’analyse acoustique Praat (cf Boersma 2002). Les contours montants à la fin de chaque groupe accentuel (sur les mots cours-là, drôle, étudiants, précipités, cours, indienne et uploads/Litterature/ prosodie 2 .pdf
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- Publié le Jul 25, 2021
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