BERNARD GUYON SAMEDI 2i JUILLET PROUST ET BALZAC I N T R O D U C T I O N Le suj
BERNARD GUYON SAMEDI 2i JUILLET PROUST ET BALZAC I N T R O D U C T I O N Le sujet que je vous propose est immense, et ce serait de ma part une grande prétention que d'essayer de le traiter dans le temps dont je dispose aujourd'hui. Au reste, il a déjà été abordé de bien des manières dans les innombrables ouvrages consacrés à Proust où, sur l'invitation même de l'auteur de la Recher- che, les commentateurs ont mis en lumière ce que devait cette œuvre à La Comédie Humaine. On peut même dire que la comparaison de ces deux grands «patrons» du roman français est devenue une sorte de lieu commun de la critique proustienne. Je vous renvoie à Fernandez, Maurois, Curtius, à B. De Fallois, et plus récemment aux derniers ouvragés de Gaétan Picon. Je vous renvoie aussi à des travaux de détail expressément consacrés à cette comparai- son, en particulier à celui de Harry Levin, le dernier en date à ma connaissance et qui a paru sous le titre Balzac et Proust, dans la revue Inventario, à Milan en 19511. Mon propos est plus modeste, plus conforme à l'atmosphère de cette ren- contre. Je voudrais vous soumettre d'abord quelques réflexions sur les juge- ments portés sur Balzac par Proust. Puis, m'attachant à quelques textes fort connus (mais où n'a pas été jusqu'ici, je crois, décernée l'influence balzacienne), réfléchir avec vous sur la qualité, la profondeur de l'imprégnation de Proust par son ainé, et ainsi, peut-être, fournir quelques éléments nouveaux de réflexions sur la notion d'influence. 1. Cf. encore dans la Revue d'Esthétique, tome XII, janvier-février 19S9, l'article de Michel Zeraffa sur «Personnage et Personne dans le Roman Français». O n y trouvera quelques pages profondes sur Balzac et Proust comparés. Brought to you by | Cambridge University Library Authenticated Download Date | 11/23/19 4:13 PM 130 MARCEL PROUST P R O U S T , J U G E DE B A L Z A C Sujet très riche! Dans les seuls Inédits, dans l'admirable Contre Sainte-Beuve, dont la partie centrale est faite des pages d'abord publiées dans «la Table Ronde » sous le titre: Le Balzac de Monsieur de Guermantes\ dans Jean Santeuiî - où les références au grand modèle surgissent à chaque tournant, où le romancier moderne expose sa vision personnelle d'un Rubempré, d'un Rastignac très différents des héros balzaciens (II, 252 sqq), met en question le procédé classique de la description balzacienne (II, 261 sqq), intitule même un chapitre: Les quartiers d'hiver de Balzac (II, 247-253) - nous trouverions déjà matière con- sidérable. Que dire de l'œuvre complète! Il ne saurait être question, pour l'instant, d'en faire l'exploitation systématique. Le relevé exhaustif des cita- tions et allusions n'est même pas achevé. L'index de l'édition de la Pléiade donne quelques orientations, mais reste très incomplet. Impossible de dessiner, même à grands traits, une «courbe» de la connaissance ou de la critique de Balzac par Proust. Bernard de Fallois, dans son Introduction au Contre Sainte- Beuve a cru pouvoir affirmer qu'il y a eu progrès constant, jugement de plus en plus favorable. Je partage cette opinion, mais il me faudrait beaucoup de temps et d'espace pour la justifier pleinement. Je me contenterai donc de proposer trois remarques qui pourront guider votre réflexion lorsque vous rencontrerez à nouveau dans votre lecture les jugements de Proust sur Balzac. 1. Dans l'ensemble, surtout avant 1900, (dans la Préface de Jean Santeuil, par exemple, mais beaucoup plus tard encore, dans le Contre Sainte-Beuve, vers 1910), Proust, malgré son admiration, fait en effet des réserves. Sur le style, sur la vulgarité de l'homme, etc.... Nous sommes alors tentés de le juger timoré. En fait, il était très hardi... pour son temps\ Car ce temps est celui où la critique universitaire française consentait à peine à «reconnaître» enfin Balzac. En 1905, parurent à la fois sur lui le livre de Brunetière et celui de Lebreton. Tous deux découvraient l'Amérique! Mais, comme nos ancêtres, ils la trou- vaient peu «civilisée». Ils s'efforçaient d'y acclimater leurs lecteurs (ceux de Paul Bourget, d'Anatole France, de Barrés, de Loti...). Nous ne les lisons plus sans sourire. Mais ils ont eu de l'intelligence et du courage. Car vingt ans plus tard, la partie n'était pas gagnée! Il n'y avait pas en Sorbonne, en 1925, un professeur compétent pour diriger mes premiers pas. Paul Hazard, lui-même, m'envoya chez Marcel Bouteron ... et il se mit à lire La Comédie Humaine. Le professeur de khâgne de Louis le Grand, homme au goût «avancé», fit alors un cycle de conférences à la Revue Hebdomadaire qu'il publia en volume. Ce Balzac de Bellessort fut un «événement ». Lise2 le! Vous verrez comme il est encore timide. Le véritable événement à cette date, ce fut Brought to you by | Cambridge University Library Authenticated Download Date | 11/23/19 4:13 PM PROUST ET BALZAC 131 le livre de Curtius. Mais Henri Jourdan n'en avait encore pas donné chez Grasset la très belle traduction que vous savez. La France continuait d'ignorer qu'elle avait en Balzac un homme d'un immense génie. Mieux vaut ne pas dire ce que nous enseignaient sur lui Lanson et ses disciples. Curtius vint à Paris, rencontra Bouteron. Ce fut un dialogue de sourds. Alain seul peut-être était alors de taille... Mais il réservait son enthousiasme pour les «khagneux» d'Henri IV. Quant à Bouglé, qui succéda à Lanson à la direction de l'Ecole Normale, lorsque je lui «avouai» que je préparais une thèse sur la «pensée politique et sociale » de Balzac, et que je prenais cette pensée au sérieux, il pouffa de rire, tout simplement... 2. Cela se passait aux environs de 1930. Il est d'autant plus remarquable que, vingt, trente et même quarante ans plus tôt, Proust, sans échapper tout à fait à la pression exercée sur son goût par son milieu social, sa formation universi- taire et les divers groupes littéraires où il évoluait, ait eu assez de hardiesse, assez de génie, pour découvrir en Balzac des aspects alors inaperçus de tous. Avant tout, le mystère. Il y a quelques années, Alain, Claude Mauriac, S. de Sacy, Jean-Louis Bory ont écrit sur ce thème des pages justes et qui ont paru neuves. Ils ne savaient pas, ils ne pouvaient pas savoir (car elles étaient inédites) que Proust, depuis longtemps, les avait écrites, qu'il avait reconnu dans l'auteur de La Comédie Humaine, particulièrement dans le créateur de l'Histoire des treize, d'Illusions perdues, de Splendeurs et Misères, dans le père de Lucien, de Vautrin, de Paquité, un romancier des profondeurs, un courageux explorateur des ténèbres. Et, nous savons pourquoi! Le créateur de Charlus se débattait lui-même dans ces ténèbres. Son «génie» propre le conduisait tout naturelle- ment à définir le mélancolique monologue de Vautrin devant le château de Rastignac (à la fin des Illusions perdues) : «la Tristesse d'Olympio de l'Homo- sexualité » (Contre Sainte-Beuve, p. 219). Proust a su voir aussi (contrairement à tant de critiques dénigrants et aveu- gles) que la structure d'ensemble de la Comédie Humaine n'a pas été une invention a posteriori, la justification, plus ou moins habile, d'une vaste spéculation com- merciale (elle a été aussi cela, mais secondairement), ni moins encore, comme chez Zola et Romains, un plan antérieur, a priori, commandant une création rigoureusement lucide et qui risquait fort d'en mourir, mais la «découverte» tardive et soudaine d'une réalité organique, vivante qui s'était développée en lui à son insu, et qui avait surgi brusquement à la lumière de la conscience créatrice alors que l'œuvre était déjà en grande partie élaborée. A la fin de la Prisonnière, voulant évidemment nous faire comprendre la secrète architecture de son propre roman et le mystérieux processus selon lequél il l'avait créé, l'auteur de la Recherche s'est référé à d'illustres œuvres Brought to you by | Cambridge University Library Authenticated Download Date | 11/23/19 4:13 PM 132 MARCEL PROUST antérieures, nées comme elle presqu'à l'insu du créateur par une formidable poussée organique: la Tétralogie et la Comédie Humaine: Wagner, nous dit-il, s'apercevant tout à coup qu'il venait de faire une Tétralogie dut éprouver un peu de la même ivresse que Balzac quand celui-ci, jetant sur ses ouvrages le regard à la fois d'un étranger et d'un père, trouvant à celui-ci la pureté de Raphaël, à cet autre la simplicité de l'Evangile, s'avisa brusquement, en projetant sur eux une illumination rétrospective, qu'ils seraient plus beaux réunis en un cycle où les mêmes personnages reviendraient, et ajouta à son œuvre, en ce raccord, un coup de pinceau, le dernier et le plus sublime. Unité ultérieure, non factice, sinon elle fût tombée en poussière comme tant de systématisations d'écrivains médiocres qui, à grand renfort de titres et de sous-titres, se donnent l'apparence d'avoir poursuivi un seul et transcendant dessein. Non factice, peut-être même plus réelle d'être ultérieure, d'être née d'un moment d'enthousiasme où elle est découverte entre des morceaux qui n'ont plus qu'à se rejoindre; unité qui s'ignorait donc vitale et non logique, qui n'a pas proscrit la variété, uploads/Litterature/ proust-et-balzac-bernard-guyon.pdf
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- Publié le Nov 23, 2021
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