Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Marie-Pier Luneau Voix et Images, vol. 30, n° 1, (88) 2004, p. 13-30. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/009886ar DOI: 10.7202/009886ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 16 décembre 2014 02:34 « L’auteur en quête de sa figure : évolution de la pratique du pseudonyme au Québec, des origines à 1979 » L ’ A U T E U R E N Q U Ê T E D E S A F I G U R E É v o l u t i o n d e l a p r a t i q u e d u p s e u d o n y m e a u Q u é b e c , d e s o r i g i n e s à 1 9 7 9 + + + MARIE-PIER LUNEAU Université de Sherbrooke RÉSUMÉ L’ u s a ge d u p s e u d o ny m e a l o n g te m p s é té co n s i d é r é co m m e u n e p r a t i q u e m a r g i n a l e , e t p a r c o n s é q u e n t a é t é p e u é t u d i é . A u Québec , on constate toutefois que, des débuts de l’imprimerie à l ’ a u b e d e s a n n é e s q u a t r e - v i n g t , 1 1 9 2 l i v r e s o u b r o c h u r e s o n t é t é p u b l i é s s o u s u n f a u x n o m . B i e n s û r , l a p l u p a r t d e c e s s i g n a t u r e s é t a i e n t t ra n s p a r e n te s e t n ’ ava i e n t p a s p o u r b u t d e mys t i f i e r l e l e c te u r. Po u r q u o i d o n c ce s a u te u r s o n t- i l s d é c i d é d ’ u s e r d e f a u x n o m s ? E n m e t t a n t e n r a p p o r t l ’ é v o l u t i o n d e l’usage du pseudonyme au Québec avec l’évolution du statut des auteurs, cet article propose des pistes de réponse. V O I X E T I M A G E S , V O L U M E X X X , N U M É R O 1 ( 8 8 ) , A U T O M N E 2 0 0 4 « « « » » » Un auteur, c’est avant tout un nom signant une œuvre: aux yeux de ses contemporains comme au regard de l’histoire, il n’existe d’abord que par cette signature. Elle seule l’engage, l’expose aux sanctions que peut entraîner son texte et lui confère le droit de jouir des profits qu’il peut donner. Toute l’économie de la publication s’ordonne autour de sa valeur, aussi bien l’économie marchande (à qui profite la publication?) que l’économie symbolique et affective (signer une œuvre publiée, c’est engager une image de soi) 1. Le pseudonyme est l’éternel oublié des études littéraires. Durant tout le dix- neuvième siècle, user de faux noms, c’était «se montrer mal et se cacher mal tout à la fois, & par conséquent pécher doublement contre la sincérité du cœur 2». Ainsi, les seuls à s’intéresser aux pseudonymes étaient des bibliographes, justiciers chargés de faire régner l’ordre dans le monde des lettres. Au vingtième siècle, après quelques études qui ont sondé les motifs de la pseudonymie 3, les chercheurs se sont arrêtés en chemin. L’auteur était mort, son nom et ses avatars étaient devenus accessoires, délaissés au profit du texte. L’affaire Émile Ajar, au début des années quatre-vingt, a illustré en France ces deux tendances: condamnation de la stratégie de Romain Gary, puis désintérêt par rapport à la question du nom — Ajar était un pseudonyme comme un autre, seule l’œuvre comptait. En ce domaine, Michel Foucault avait pourtant posé des jalons à la fin des années soixante 4, alors qu’il étudiait le fonctionnement du nom d’auteur. Il a cependant fallu attendre le milieu des années quatre-vingt pour voir enfin des chercheurs faire du travestissement onomastique un objet d’étude spécifique (notamment en France, Maurice Laugaa 5, Jean-François Jeandillou 6 et, dans une mesure moindre, Gérard Genette 7 et Gérard Lerclerc 8). Au Québec, l’histoire du pseudonyme reste toujours à faire. Excepté un article de Manon Brunet portant sur l’anonymat et le pseudonymat au dix- neuvième siècle 9, aucune analyse n’a tenté de prendre l’empan de ce phénomène dans une perspective diachronique. La signature d’emprunt s’avère pourtant un indicateur précieux de l’évolution du littéraire dans la culture. Qui plus est, elle porte la marque des transformations historiques du statut de l’auteur. Face à ce régime de signature singulier, plusieurs questions se posent. Pourquoi, par exemple, V O I X E T I M A G E S 8 8 1 4 + + + 1 Alain Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p. 85. 2 Adrien Baillet, Auteurs déguisez, empruntez, supposez, feints à plaisir, chiffrez, renversez, retournez ou changez d’une langue dans une autre (1690), cité par Jean-François Jeandillou, Esthétique de la mystification, Paris, Minuit, 1994, p. 46-47. 3 Les études de Bernard Offner, «Au jardin des pseudonymes» (Vie et langage, nos 58 à 116, 1957 à 1961) et d’Albert Dauzat, Les noms de personnes (Paris, Delagrave, 1925) en sont des exemples pour le corpus français. 4 Michel Foucault, «Qu’est-ce qu’un auteur?», Bulletin de la Société française de philosophie, vol. LXIV, 1969, p. 73-104. 5 Maurice Laugaa, La pensée du pseudonyme, Paris, Les Presses universitaires de France, 1986. 6 Jean-François Jeandillou, op. cit. 7 Gérard Genette, «Le nom d’auteur», Seuils, Paris, Éditions du Seuil, 1987, p. 38-53. 8 Gérard Leclerc, Le sceau de l’œuvre, Paris, Éditions du Seuil, 1998, p. 232-248. 9 Manon Brunet, «Anonymat et pseudonymat au XIXe siècle: l’envers et l’endroit de pratiques institution- nelles», Voix et Images, no 41, 1989, p. 168-182. le nom de plume transparent devient-il presque une mode dans les années vingt et trente, au point qu’Ægidius Fauteux s’exclame: «Jamais peut-être le pseudonyme ne s’est épanoui dans le jardin des lettres plus largement et plus librement qu’aujourd’hui 10»? Pourquoi est-il alors de mise de se doter d’une fausse identité qui ne mystifie plus personne? Dans quelle mesure le nom supposé a-t-il véritable- ment servi de masque dans l’histoire littéraire du Québec? Comment permet-il aux auteurs de se déplacer? Quelles formes de profits symboliques peuvent escompter les auteurs qui en usent? Quelles stratégies, en rapport avec l’acte de création, les y incitent ? Quelles contraintes hors champ (politiques, religieuses, etc.) les y obligent? En définitive, quels en sont les effets sur le littéraire? Il importe d’abord de circonscrire précisément notre objet sur le plan quan- titatif, puis sur le plan notionnel. Afin d’éviter de transformer cette étude en toile de Pénélope, j’ai choisi de ne m’arrêter qu’à l’usage du pseudonyme dans les livres et brochures au Québec. Grâce à l’ouvrage Pseudonymes québécois de Bernard Vinet 11, aux bibliographies des six premiers tomes du Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec 12 et au Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord 13, j’ai répertorié 1192 cas de brochures ou de livres publiés sous un nom d’emprunt au Québec, des origines à 1979. Puisque la production littéraire totale pour la même période (basée sur les bibliographies du DOLQ) compte au bas mot 10285 publi- cations, notre corpus représente donc 12 % des livres ou brochures publiés. Depuis les débuts de l’imprimerie jusqu’en 1979, 1192 fois un auteur a choisi, uploads/Litterature/ pseudonyme-a-quebec.pdf

  • 23
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager