Ecrired’amour p r i è r e d ’ i n s é r e r Nos ancêtres lesdémocrates L’anthro

Ecrired’amour p r i è r e d ’ i n s é r e r Nos ancêtres lesdémocrates L’anthropologueAlainTestartretrace,dans«Avantl’histoire», l’évolutiondessociétésdepuislepaléolithique.Fascinant Jean Birnbaum Julie Clarini I l faut ouvrir Avant l’histoire comme un «tableau de la so- ciété humaine» tel que Rous- seau qualifiait son propos dans Discourssurl’origineetlesfonde- ments de l’inégalité entre les hommes (1755). D’ailleurs, cet ouvrage d’anthropologie, qui fascine par son ampleur, aurait pu s’intituler tantôt «Discours sur l’origine de la richesse et de la pauvreté», tantôt «Discours sur l’origine de l’agriculture», ou encore «Discours sur les sciences et les arts». Armédesafolleérudition,quin’ex- clut pas une part reconnue d’«intui- tion»,AlainTestartbrosseunefresque d’uneremarquableaudace,proposant riendemoinsquesaisir«lesensglobal de l’évolution» – depuis des sociétés sans richesse jusqu’à des sociétés structurées par la «propriété fun- diaire», où travailler une terre ne suf- fit pas à s’en assurer la possession. A sesyeux, l’histoirea un sens,et le dire, ce n’est pas suggérer que la forme contemporaine des sociétés serait supérieure à celles qui l’ont précédée – tout laisse croire que les sociétés du paléolithique étaient socialement pluscomplexesquelesnôtres!–,mais prendre acte du fait qu’«à l’origine, tous étaient chasseurs» et que s’est inventé par la suite un mode de vie agricole, même si tous les peuples ne l’ont pas adopté. Avant l’histoire retrace cet ordre de succession, non nécessairemais irréversible. On y reçoit d’étonnantes révéla- tions. La misère, par exemple, serait une calamité d’invention récente. Elle naît,selonAlainTestart,lorsquelester- res deviennent des biens comme les autresquel’onpeutvendreetacheter, et qu’ainsi des hommes se trouvent privés de leur moyen de production. Auparavant, dès lors qu’il suffisait de travailler son champ pour s’assurer la propriété de son lopin, personne ne souffrait de la faim. Les miséreux apparurentprobablementjusteavant l’Antiquité classique; la plèbe de Rome, formée d’anciens paysans expropriés, désœuvrés, ce sont eux; euxaussi,cesmillionsdegueuxvenus vers les villes « grossir une classe ouvrièreravagée par le chômage». Mais n’allons pas conclure à un âge d’or pour autant, à une quelconque «condition primitive», comme disait Rousseau, qui pourrait nous inspirer dela nostalgie.Lessociétésdupaléoli- thique supérieur (35000-10000ans av.J.-C.)reposaientsurdecriantesiné- galités, loin de l’idéal de «communis- me primitif» avec lequel on a voulu les confondre. Par exemple, posséder plusieurs épouses ou n’en posséder aucunepouvaitreprésenteruneconsi- dérable différence: l’un ira chaque jour chercher sa pitance, quand l’autre sera approvisionné en pro- duitsdecueillette;s’ilseconsacreaux choses de la religion, il aura tout loisir de devenir «influent et redouté». Et encore, ces formes de domination-là n’en devinrent-elles que plus éviden- tes avec «l’invention de la richesse», qu’on date, en gros, du néolithique (vers10000-2000av.J.-C.).Làsedépar- tagent les riches et les pauvres – quand il faudra attendre longtemps encore avant que ne s’abattent sur les hommes les deux maux symétriques que sont, aux yeux des moralistes, le luxe et la misère. Cet évolutionnisme tel qu’il le conçoit, Alain Testart le défend depuis longtempsau sein d’une disci- plineoùlemotsertsouventderepous- soir. A rebours de l’époque, le direc- teur de recherche émérite du CNRS se permet un coup de chapeau aux savantsduXIX esièclecommel’Améri- cain Lewis H.Morgan, le Français Fus- tel de Coulanges ou le Britannique Henry Sumner Maine pour avoir eu, en leur temps, la «grandeur de penser uneévolutionglobalede l’humanité». C’est cette ambition qu’il reprend dans Avant l’histoire, mais en la fon- dantcettefoissurlesdonnéesarchéo- logiques. Le livre converge vers un ultime chapitre, le plus risqué, le plus stimu- lant, où Alain Testart essaie de resti- tuer les organisations politiques, sans doute l’exercice le plus «périlleux» tant ces dernières se lais- sent peu percevoir dans les fouilles ou les ruines. Mais la prudence n’éteint pas la flamme de l’anthropo- logue dont la sagacité s’exerce cette fois sur notre continent: nulle part ailleurs, en dehors de l’époque contemporaine, on ne rencontre «dans une même tranche de temps autant de peuples différents et qui tous mettent en scène des assemblées populaires».Cettetraditiondémocra- tique puiserait-elle ses origines dans les temps les plus reculés, ce qui en expliquerait la permanen- ce? Rien ne s’y oppose. Des traces archéologiques per- mettent d’envisager qu’au Rubané (5500-4800 av. J.-C.), quand l’Europe tempérée était sans doute cannibale, le peuple se rassemblait (déjà) et participait aux décisions collectives. C’est un fond ancien, en quelque sorte, qui expliquerait la tonalité démocratique persistante de l’Eu- rope, «aventure unique au monde». L’hypothèse qui clôt cette époustou- flante entreprise intellectuelle pour- raitainsisefondredansun«Discours sur les origines de la démocratie». Jurés de l’académie de Dijon, voilà un candidat sérieux!p 8 aLe feuilleton Eric Chevillard ressuscite Roger Rudigoz 10 aRencontre Metin Arditi, toujours plus écrivain 6 aHistoire d’un livre Lettres retrouvées, de Raymond Radiguet 2 3 aGrande traversée En attendant la fin du monde… …lire quelques bons ouvrages sur le sujet s’impose. Entretien avec le philosophe Michaël Fœssel L a théorie n’est pas seule à penser. La littérature aussi travaille à rechercher le vrai. Pour cela, elle peut compter sur l’imagination des penseurs, des essayistes, de tous ceux qui font des idées leur outil d’investigation. Cette conviction, qui anime semaine après semaine l’équipe du «Monde des livres», a trouvé une nouvelle confirmation lors du Forum philo Le Monde LeMans, qui s’est déroulé les 16, 17 et 18novembre, sur le thème «Amour toujours?». Durant ces journées de réflexion et d’échange, on cita davantage de poètes et de romanciers que de philoso- phes attitrés. Depuis Alain Badiou, qui a ouvert les débats en déclamant des vers de Rimbaud, jusqu’à Alain Finkielkraut, qui les a conclus en citant une page de Phi- lip Roth, les intervenants s’en sont remis à l’intelligence des écrivains. Jusqu’à définir l’amour comme un élan d’écriture: «Aimer, c’est d’abord s’exercer à aimer, donc à écrire, à noter les mouvements de la passion en soi», a tranché le philosophe Pierre Zaoui. «Il y a moins une pensée de l’amour qu’une histoire d’amour», lança quant à lui le philosophe et théologien Fabrice Hadjadj. La parole était aux écrivains. Christine Angot commen- ça par déclarer sa flamme à la littérature. Elle honora cha- quemot en scandant son texte de la main, dans le plus pur style des rappeurs. Puis Camille Laurens cita Lacan et Jankélévitch pour affirmer que l’amour n’est pas un sujet sur lequel on écrit, mais l’espace même d’où naît l’écri- ture: «L’amour est ce qui m’anime (comme vous). Je ne me lèverais pas le matin pour écrire si je ne croyais pas, même unpeu seulement, que j’écris d’amour», confia-t-elle tendrement au public. Et tandis que Michel Schneider livrait une belle exégèse de la dernière phrase d’Un amour de Swann, le micro circula dans la salle et l’on constata que, parmi le bon millier de personnes qui assis- taient au Forum, chacune ou presque avait sa lecture de Proust. Sa façon propre de rechercher l’amour en sa vérité. Autrement dit, de confier son destin au roman.p 4 aLittérature étrangère Patrick deWitt, Walter Siti 7 aEssais Michel Foucault en vérité 9 aPolar L’enquête corse, version «Série noire» 5 aLittérature française Jean Forton, Christophe Carlier L’auteur salue les savants du XIX e siècle qui ont eu la «grandeur de penser une évolution globale de l’humanité» 25e PRIX GONCOURT ORGANISÉ PAR LE MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE ET LA FNAC DEPUIS 1988* DES LYCÉENS Élu par un jury de 2000 lycéens Fnac. On ne peut qu’adhérer. lu par un jury de 2000 lycéens www.goncourtdeslyceens.com *Le Prix Goncourt des Lycéens est organisé par la Fnac et le ministère de l’éducation nationale, en accord avec l’Académie Goncourt et d’après sa sélection. Avant l’histoire. L’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac, d’AlainTestart, Gallimard,«Bibliothèquedes sciences humaines», 560p., 25 ¤. Peinture rupestre, vers 1500 av.J.-C., Libye. AISA/LEEMAGE Cahier du « Monde » N˚ 21102 daté Vendredi 23 novembre 2012 - Ne peut être vendu séparément Grandetraversée Florent Georgesco S i une chose est sûre, c’est que le monde finira. Quand et com- ment, il faudrait être prophète pour le dire. Cela tombe bien: les prophètes ne manquent pas, ces temps-ci. Faux le plus souvent, et fous, confus, absurdes, voire escrocs,avecpeut-êtrequelquesauthenti- quesspécimensnoyésdanslamasse,dont laprésencepotentielle,prétexte ouvague espoir, incite à tendre l’oreille. Il est vrai que, à l’approche du fameux 21décembre, jour supposé de l’apocalypse, le tintamar- re monte. Difficile d’y échapper, sauf à s’être retiré dans un désert, attitude qui, précisément,est depuis toujours celle des apôtres des derniers temps. Où trouver refuge,sinonensoi-même,quandlemon- de se dérobe? C’est ce que font, sans le savoir, les per- sonnes que Nicolas d’Estienne d’Orves a rencontrées pour son enquête, Le Village de la fin du monde, «sorte de journal de bord, façon Tintin» sur la vie dans ce chef- lieu du millénarisme qu’est devenu le vil- lage de Bugarach, réputé être le seul endroit sur terre qui échappera au cata- clysme du 21décembre. Venues dans ce bourg de l’Aude pour des raisons similai- res, elles forment une communauté cependantillusoire; chacun,campantsur sescroyances,erredanssondésertperson- nel.Désertquicessed’êtreunemétaphore quand on entre dans L’Art de la résurrec- tion,leromandel’écrivainchilienHernán Rivera Letelier, bien qu’il revête le même sens pour son héros, Domingo Zarate Vega,«leChrist d’Elqui», lorsqu’iltraverse celui d’Atacama, en prêchant les foules avecle refrain classique: «Le jour du Juge- ment dernier est proche, repentez-vous, pécheurs.» Car les foules sont ingrates et renvoient ce «messie à la manque» à sa folie et à sa solitude. Ensomme,ilfautcommencerpardéser- ter le monde si l’on tient à s’occuper de sa fin. A moins que l’on ne puisse s’enticher d’apocalypse uploads/Litterature/ supplement-le-monde-des-livres-2012-11-23.pdf

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