Eugenia Dima, Andrei Corbea-Hoişie (dir.), Impulsul Iluminismului în traduceri

Eugenia Dima, Andrei Corbea-Hoişie (dir.), Impulsul Iluminismului în traduceri românești din secolul al XVIII-lea, Editura Universității Alexandru Ioan Cuza, Iaşi, 2014, 285 pages. Intitulé Impulsul Iluminismului în traduceri românești din secolul al XVIII-lea [L’esprit des Lumières dans des traductions roumaines du XVIIIème siècle], l’ouvrage paru sous la codirection d’Eugenia Dima et d’Andrei Corbea-Hoișie est le fruit d’un projet de recherche financé par l’Unité Exécutive pour le Financement de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche, du Développement et de l’Innovation (UEFISCDI) de Roumanie (code du projet : PN-II-CT-ERC-2012-1). Réunissant sept études qui se proposent d’analyser, d’un point de vue philologique, le phénomène de la traduction, le présent ouvrage débute par un Avant-propos (p. 7-10) rédigé par le directeur du projet, Andrei Corbea-Hoișie, où l’on souligne le mérite de cette « investigation complexe, qui s’appuie sur la prémisse selon laquelle de nombreux écueils de la recherche philologique roumaine concernant la culture du XVIIIème siècle pourraient être surmontés grâce à un regard plus attentif porté non seulement sur les traductions et les traducteurs, mais aussi sur les circuits multiples que suppose le chemin parcouru du texte source à sa traduction en roumain » (p. 9). Signée par Magda Jeanrenaud et intitulée Europa secolului al XVIII-lea: traduceri și traducători [Traductions et traducteurs dans l’Europe du XVIIIème siècle] (p. 11-19), l’étude inaugurale, ayant certainement la valeur d’un prologue, reprend d’une manière synthétique quelques aspects majeurs du contexte européen des Lumières, placé sous « l’influence des philosophes » et dominé par « la foi dans le Progrès » (p. 11). Dans cette Europe ouverte au cosmopolitisme, des individus provenant d’aires culturelles et linguistiques différentes entrent en contact les uns avec les autres par le biais des textes traduits, rédigés dans des registres stylistiques des plus divers et provenant d’une multitude de domaines scientifiques (physique, anatomie, médicine, botanique, astronomie, mathématiques, art, archéologie, géographie, et la liste peut continuer). Il est connu qu’au XVIIIème siècle la langue de circulation employée dans tout l’espace européen, à part le latin, était le français : « l’histoire des traductions réalisées dans cette période-là atteste, pratiquement dans toutes les cultures européennes, l’hégémonie du français ». Cette présence massive du français est due également au fait que les traducteurs français assumaient par là, entre autres, « la mission de transmettre à une Europe francophone un patrimoine de traductions subsumant des ouvrages littéraires, des écrits Studii de lingvistică 5, 2015, 363 - 368 Maria Aldea 364 philosophiques et des traités scientifiques » (p. 13). Cet esprit des Lumières s’est fait sentir également, avec un certain décalage, dans les Principautés roumaines, « où l’activité de traduction des textes profanes était encore à son début. Le problème auquel se confrontaient les premiers traducteurs était plutôt de nature “patriotique”, étant lié à l’état de la langue roumaine à cette époque-là – qui était encore loin d’être devenue une langue savante, à défaut d’une littérature consolidée – et non pas à des projets traductologiques proprement dits ou à l’analyse des rapports entre le texte source et le texte cible » (p. 15). La pénétration du français surtout dans les espaces moldave et valachien est due, tout d’abord, aux princes phanariotes et, ensuite, aux officiers russes « qui séduisent les autochtones grâce à leur maîtrise du français et facilitent la diffusion du savoir-vivre français » (p. 16). Cette lente pénétration a créé le cadre propice pour l’essor progressif « d’une langue roumaine distincte du parler populaire, une langue capable d’exprimer des abstractions, des idées philosophiques, des notions scientifiques et politiques, tout comme, par l’intermédiaire des idées de la Révolution, le français allait guider les Roumains à connaître et à apprécier aussi la langue populaire » (p. 19). L’étude signée par Gabriela E. Dima et Eugenia Dima et intitulée Patrick Gordon și avatarurile geografiei sale în Europa secolului al XVIII-lea [Patrick Gordon et les avatars de sa géographie dans l’Europe du XVIIIème siècle] (p. 21-57) retrace la présence de l’ouvrage de Patrick Gordon (Geography anatomiz’d: or, the Geographical Grammar) dans l’espace européen. Après un bref survol des éditions anglaises de l’ouvrage, les deux chercheuses proposent une approche comparative, en comparant la 16ème édition de l’ouvrage, publiée en 1740 à Londres et servant de texte source pour « la plupart des traductions européennes et indirectement pour celle en roumain » (p. 29), avec l’édition française, tout en mettant en évidence d’une part la fidélité et d’autre part les ajouts que le traducteur Philippe-Florent Puisieux avait apportés au texte source. C’est cette édition française, ayant pour titre Grammaire géographique, qui se trouvera à la base de la traduction en italien réalisée par l’abbé jésuite Pietro Chiari et intitulée Gramatica Geografica (une traduction qui connaîtra, à son tour, au moins 18 éditions). C’est toujours en Italie, plus précisément à Venise, que paraîtra en 1760 la version grecque de l’ouvrage de P. Gordon, Γραμματική Γεωγραφική. La traduction est réalisée par Georgios Fatseas. Cette version néogrecque servira de support pour la traduction roumaine réalisée par l’hiéromoine Gherasim de Putna. De cette version, connue sous le titre Gheográfie noao, nous sont parvenues trois copies. En s’appuyant sur le manuscrit no. 121 conservé dans les Archives Nationales de la Direction Départementale de Iaşi, les auteurs exposent les particularités linguistiques essentielles du parler du nord de la Moldavie (particularités phonétiques, morphologique et Compte rendu 365 lexicales, une attention particulière étant accordée aux emprunts), pour en conclure que cette traduction roumaine « a eu un but pratique », visant à « mettre à la disposition des élèves un ouvrage vaste qui pût leur offrir toutes les informations nécessaires pour la connaissance du monde » (p. 57). Une autre étude, rédigée par Magda Jeanrenaud, Eugenia Dima et Gabriela E. Dima et intitulée Voltaire, « Histoire de Charles XII », și traducerea românească a arhimandritului Gherasim de la Iași [L’Histoire de Charles XII de Voltaire et sa traduction roumaine par l’archimandrite Gherasim de Iași] (p. 59-90), est consacrée, comme son titre l’indique, à un « symbole des idées des Lumières en termes de progrès culturel » (p. 61) et, plus précisément, à Voltaire et à son premier ouvrage historique paru en 1731. On conserve en roumain trois manuscrits de cet ouvrage. Les auteurs examinent la paternité de la version roumaine, mettant en évidence les particularités linguistiques du manuscrit no IV-5 de la Bibliothèque universitaire de Iași (1792), « dans le but de trouver des données nouvelles sur le lieu d’origine du traducteur » (p. 67). Une attention particulière est accordée aux divers aspects lexicaux, en insistant sur la présence des emprunts néogrecques ou turcs, ainsi que latins et romans. Dans la dernière partie de l’étude, les auteurs analysent les modalités de traduction proprement dites. Dans cette analyse, à part les aspects déjà pris en compte par Olga Cosco et N. A. Ursu, les auteurs identifient bien des éléments aux niveaux micro- et macro-textuel qui soutiennent l’hypothèse selon laquelle la traduction roumaine aurait été réalisée d’après l’original rédigé en français. La conclusion finale est que « le traducteur pratique une traduction de type annexionniste ou ethnocentrique, qui tend à aplanir les différences culturelles, en adaptant les termes culturels aux réalités roumaines de l’époque, non seulement à cause de la pauvreté lexicale du roumain, langue cible, mais aussi parce qu’il hésite à néologiser là où il aurait dû essayer de le faire » (p. 86). Ana-Maria Minuț et Ion Lihaciu entreprennent une analyse détaillée de quelques stratégies de traduction dans leur étude Interpolarea ca strategie de traducere a « Istoriei universale adecă de obște, care cuprinde în sine întîmplările veacurilor vechi », versiune în limba română de Ioan Piuariu Molnar [L’interpolation comme stratégie de traduction de l’Histoire universelle, c’est-à-dire pour tous, retraçant les histoires des siècles anciens, version en langue roumaine par Ioan Piuariu Molnar] (p. 91-136). À l’origine, l’ouvrage est rédigé par « Signor Milot » (p. 91) ; sa traduction sera publiée par Molnar Piuariu à Buda, en 1800. Après la présentation biobibliographique du traducteur, les auteurs recensent plusieurs situations lexicales identifiées dans la traduction roumaine, en comparant celle-ci avec l’original français et avec la version allemande, pour conclure que « la comparaison de Maria Aldea 366 la version roumaine avec les deux textes sources utilisés éclaircit la complexité des interventions effectuées dans le processus de traduction et permet une meilleure compréhension des stratégies mises en place par le traducteur. S’intéressant, comme d’autres intellectuels de son époque, à la modernisation du lexique roumain selon le modèle de la culture européenne occidentale, Ioan Piuariu Molnar insère dans son texte un nombre considérable d’interpolations, à l’aide desquelles il explique – soit par des synonymes soit par des paraphrases – les termes savants empruntés. C’est la raison pour laquelle le recours systématique à la technique de l’interpolation ne doit pas être interprété comme la marque d’une attitude entièrement novatrice dans l’acte de traduction ; il s’agit, en fait, d’une modalité, adoptée aussi par d’autres lettrés de l’époque (en particulier par Petru Maior), consistant à atténuer et à uniformiser de cette manière certaines différences linguistiques et culturelles, et à engager progressivement la langue roumaine sur la uploads/Litterature/ recenzie-maldea.pdf

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