8 | 2012 Insulte, violence verbale, argumentation La langue qui fâche : quand l
8 | 2012 Insulte, violence verbale, argumentation La langue qui fâche : quand la norme qui lâche suscite l’insulte When norms loosen, abuse pops up and language offends Deborah Meunier et Laurence Rosier https://doi.org/10.4000/aad.1285 Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Cité par | Auteurs Résumés FRANÇAIS ENGLISH Dans cet article nous proposons d’étudier les titres de groupes facebook dont les dénominations visent à dévaloriser les locuteurs qui ne maîtrisent pas la norme linguistique. On verra que lorsqu’il s’agit de la maîtrise de la langue, les internautes stigmatisent les accrocs à la norme et peuvent adopter des attitudes d’une extrême violence : les fautes sont considérées comme insultantes pour ceux qui maîtrisent la langue. La violence verbale observée trouverait sa légitimité dans le fait qu’il y a « outrage à la langue » : les locuteurs « censeurs » seraient dès lors autorisés à produire un discours violent « outrageant » vis-à-vis des faiseurs de fautes. Nos analyses montreront que l’appel au regroupement contre les « locuteurs-fauteurs » repose sur une doxa commune (l’importance de la maîtrise de la langue) plutôt que sur une argumentation explicite. Nous verrons comment se manifeste linguistiquement la violence verbale dans notre corpus (phénomènes énonciatifs, processus interactionnel,…) et où se situent les dénominations facebookiennes sur une échelle graduée de violence. Haut de page Entrées d’index Mots-clés: discours normatif, groupes facebook, insulte, outrage, polémique Keywords: facebook groups, insult, normative discourse, outrage, polemic Haut de page Plan Introduction 1. Discours « internautique » et norme linguistique/communicationnelle 2. La polarisation du débat sur la langue : violence verbale et confiscation énonciative 3. « Notre langue est le plus beau des drapeaux » : outrage or not outrage ? En guise de conclusion Haut de page Texte intégral PDFSignaler ce document À ceux qui font de petites fautes (Victor Hugo) Devenir blessant, c’est s’écarter de l’objet de la querelle (parce qu’on a perdu la partie) pour se tourner vers l’interlocuteur et s’en prendre d’une manière ou d’une autre à sa personne. […] Mais lorsqu’on devient offensant, on abandonne complètement l’objet et on dirige son attaque vers la personne de l’adversaire : on devient donc outrageant, méchant, offensant, grossier. Ce sont les forces de l’esprit qui interpellent celles du corps ou celles de l’animalité […] (Schopenhauer, L’art d’avoir toujours raison, 1830-1831). Introduction 1Depuis qu’internet est devenu le médium de communication par excellence, le discours normatif sur la langue n’a jamais été aussi présent dans l’échange virtuel (Osthus 2004, Rosier 2008, Paveau et Rosier 2008) : Aujourd’hui, une valorisation du discours normatif - surtout s’il s’agit de celui des non-spécialistes - ne peut se faire sans prendre en compte les nouveaux médias qui sont en train de bouleverser nos habitudes de communication. Ce ne sont pas que publicitaires et marchands qui se lancent dans l’Internet, comme en témoignent les rubriques de nos journaux destinées à l’économie, mais aussi les amateurs de la langue déjà nombreux avant l’arrivée du réseau mondial. En fait, il ne faut être ni linguiste ni Académicien pour juger sur le bon usage et les normes. Il suffit de se brancher sur Internet (Osthus 2004). 1 Ce néologisme est utilisé sur la toile avec le sens de « qui a rapport à la navigation sur Interne (...) 2Que ce soit sur un site, un forum, un groupe Facebook, consacrés ou non à la langue, les fautes commises par les internautes suscitent railleries ou violence verbale visant à déconsidérer l’intervenant par sa pratique scripturale déviante. La montée en tension très rapide s’explique en partie par les conditions de production du discours « internautique »1 (usage de pseudonymes, rapidité, virtualité de l’interlocuteur, etc.) mais aussi plus largement par l’imaginaire proscriptif puissant attaché à la langue française (sur le mode dire/ne pas dire). 2 Il s’agit d’un séminaire d’analyse du discours et sociolinguistique (Bachelier 3) pour lequel les (...) 3Dans cette contribution, nous nous attacherons plus précisément à la forme particulière (violente et insultante) que prend ce discours normatif dans un corpus constitué de titres de groupes « Facebook » dont la dénomination dévalorise la pratique langagière de l’autre, en lui rappelant qu’il ne maîtrise pas la norme scolaire de référence. Une observation large de Facebook permet de se rendre compte que l’agressivité contenue dans les noms de groupe dépasse la question de la norme linguistique et que, par ailleurs, la violence verbale sur le net est bien représentée dans d’autres espaces en ligne : ces modes de communication favorisent la désinhibition et les comportements agressifs notamment par l’anonymat ou les pseudonymes. Mais ce que nous voulons pointer via ce corpus, c’est une forme spécifique de violence symbolique liée à la non-maîtrise de la langue d’une part, et d’autre part les positions polémiques liées à l’expression de cette violence. Pour ce faire, nous étudierons 50 titres choisis de façon aléatoire dans un corpus plus vaste constitué lors d’un séminaire2. 4Notre hypothèse est que la violence verbale extrêmement agressive que révèle notre corpus s’appuie sur ce qui est ressenti comme une agression préalable : ceux qui se présentent comme les garants de la norme se sentiraient victimes d’une violence causée par les fautes des locuteurs (ressenties comme autant de coups portés à la langue), selon une catégorisation spontanée implicite (l’outrage à la grammaire, l’outrage à la langue). Dès lors, ils se permettraient une agression verbale qui pourrait paraître disproportionnée si elle ne révélait les jeux de pouvoir et de domination inscrits au cœur de la langue (selon les travaux bien connus de Bourdieu sur l’économie du marché linguistique, 1982). Cette violence s’inscrit dans un cadre de relations polémiques sur lesquelles nous revenons plus avant, mettant au cœur de l’échange la sauvegarde versus l’abandon de la norme. Mais la particularité de notre corpus, du moins le supposons-nous, est que l’une des positions polémiques n’a pas le même statut que l’autre : d’un côté les garants de la norme, de l’autre, non pas ses adversaires conscients (par exemple des réformateurs d’orthographe), mais des locuteurs dépourvus de compétences. En effet, l’adversaire désigné dans le titre même du groupe est exclu de toute intervention possible : ne possédant pas la norme, il n’a littéralement pas le droit, ni à la parole, ni à l’écriture (le groupe 29 : Tu fais des fautes à chaque mot, alors ferme ta gueule). 5Nous organiserons notre réflexion en trois étapes : d’abord nous définirons le discours « internautique » et son rapport à la norme linguistique/sociale ; ensuite nous interrogerons la dimension argumentative et polémique des échanges dans Facebook avant d’analyser plus finement notre corpus (manifestations linguistiques, énonciatives de la violence) ; enfin, nous traiterons de la catégorie constitutive de notre imaginaire linguistique, l’ « outrage à la langue », et de son rôle déterminant dans le processus de légitimation d’une certaine violence. 1. Discours « internautique » et norme linguistique/communicationnelle 6La sociolinguistique interactionnelle s’est penchée sur les nouveaux corpus constitués par les communautés virtuelles comme des « communautés de paroles » (Marcoccia 2001) ou « communautés discursives » (terme emprunté à Maingueneau). Partant, nous relèverons ce qui est pertinent par rapport à notre problématique, c’est-à-dire le rapport collectif à la norme qui participe de la définition même d’une communauté virtuelle. C’est dans la lignée de la définition de la « speech community » par Gumperz (dès 1968) qu’on peut définir les interactions verbales comme des processus sociaux dans lesquels les énoncés produits sont en accord avec les normes collectivement reconnues et attendues (Marcoccia 2001). 7Il est intéressant de voir que cet aspect est particulièrement prégnant dans les groupes de discussions de Facebook dédiés à la norme orthographique. Le sentiment d’appartenance se double d’un sentiment d’exclusion corrélatif, exprimé de façon particulièrement violente (selon un continuum que nous examinerons ci-après) et par un rappel incessant de la norme et de ses outils de diffusion consacrés par l’imaginaire normatif (le Bescherelle par exemple). 8Les groupes sur Facebook sont des communautés virtuelles qui ont des critères de formation et de fonctionnement ainsi que des caractéristiques spécifiques. À visées culturelle, politique, sociale, publicitaire, ludique, ils sont créés à la faveur, soit d’un événement ponctuel, soit d’un projet commun à plus long terme (une cause politique par exemple). Certains fonctionnent sur le mode du « mouvement d’humeur » face à un événement du monde et disparaissent rapidement, d’autres sont réactifs (par rapport à des groupes existants), tandis que d’autres encore, qui sont le miroir d’activités de groupes dans la réalité, sont alimentés par des discussions et des événements extérieurs qui les renouvellent et leur assurent une certaine pérennité. Unis par un intérêt commun, les participants adhèrent de façon volontaire ou sont conviés à entrer dans le groupe par des amis. Dès lors, les échanges entre membres devraient être de nature conviviale sans pour autant être toujours consensuels. Or, on constate, au-delà du cadre particulier des groupes et de leurs modalités de communication, que les interactions virtuelles de formes multiples (chats, forums, posts, commentaires,…) sont propices à des débordements verbaux parfois extrêmement violents, allant du commentaire désobligeant à l’insulte, uploads/Litterature/ quand-la-norme-qui-lache-suscite-l-x27-insulte.pdf
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- Publié le Jui 02, 2021
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- Langue French
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