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HAL Id: ijn_00355815 https://jeannicod.ccsd.cnrs.fr/ijn_00355815 Submitted on 24 Jan 2009 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Deux conceptions de l’interprétation des récits de fiction Jérôme Pelletier To cite this version: Jérôme Pelletier. Deux conceptions de l’interprétation des récits de fiction. Philosophiques, Editions Bellarmin, 2005, 32 (1), pp.39-54. ￿ijn_00355815￿ « Deux conceptions de l’interprétation des récits de fiction » Jérôme Pelletier Université de Brest et Institut Jean-Nicod (Paris) Publié dans la revue Philosophiques 32/1 39-54 (2005) Résumé : Deux conceptions de l’interprétation des récits de fiction sont présentées : la conception « communicationnelle » de Currie et la conception « émotionnelle » de Velleman. Selon Currie, interpréter un récit de fiction requiert de rapporter les événements du récit aux intentions narratives de son auteur (inféré). Cette conception suppose que l’interprète se représente le contexte pragmatique de production du récit et va à l’encontre d’un certain nombre de recherches empiriques montrant que le lecteur d’un récit de fiction ne construit que très rarement une représentation du contexte pragmatique de sa production. Selon Velleman, l’interprétation requiert de la part du lecteur ou du spectateur qu’il reconnaisse dans la séquence émotionnelle qu’il éprouve à la lecture ou au spectacle d’une fiction une séquence émotionnelle familière. Selon cette conception, les événements narrés sont interprétés en fonction de la manière dont ils « résonnent » émotionnellement dans l’esprit du lecteur ou du spectateur. Summary : I discuss two ways one may explain how we interpret the content of a fictional narrative. In the first, the interpreter’s task aims at deciding what is true in a fictional story by figuring out the narrative intentions behind its production. Narrative interpretation is a matter of figuring out the story- telling intentions of the (implied) author of the work. This is Currie’s intentionalist model of narrative interpretation, a conception I present and discuss on the basis of experimental results in the psychology of language. In the second, narrative interpretation is explained by reference to the emotions of the reader or the viewer of the fictional narrative. It is on the basis of his emotional sensibility, of how things feel to him that the reader or the viewer is led to understand the narrated events. This is Velleman’s emotional theory of narrative understanding. Finally, I compare both conceptions. 1 Introduction L’information communiquée par un récit, qu’il soit littéraire ou cinématographique, ne se limite pas à une liste d’événements : un récit raconte 2 le déroulement de ces événements, leur ordre de succession, leur organisation les uns par rapport aux autres. L’acte de raconter vise ainsi à communiquer plus que ce que les mots ou séquences d’images figurant dans un récit signifient lorsque ces mots ou séquences d’images sont considérés indépendamment les uns des autres. Ce supplément communiqué est, le plus souvent, ce qui permet d’expliquer les événements narrés. De manière générale, ce supplément représente pour le lecteur ou le spectateur un supplément d’intelligibilité et de signification des événements narrés. Appelons « histoire » ce supplément communiqué par un récit : l’histoire peut être l’intrigue, la trame causale des événements, la logique des relations entre les événements narrés, mais aussi, plus généralement, le sens des événements racontés. Et appelons « interprétation » l’ensemble des processus qui, à partir d’un récit, rendent les événements narrés intelligibles et aboutissent à une histoire. Les lecteurs d’un récit de fiction ou les spectateurs d’un film de fiction sont naturellement conduits à dériver un ensemble de jugements sur ce qui est fictionnellement vrai dans le livre ou dans le film.1 Que sont ces « vérités de fiction »? Considérons le conte de Perrault sur Cendrillon. Ce conte contient de nombreuses faussetés. Cendrillon n’existe pas et les citrouilles ne se transforment pas en carrosses. Mais ces faussetés réelles sont vraies dans le conte de Perrault : il est vrai dans le conte de Perrault que Cendrillon existe et que les citrouilles peuvent se transformer en carrosses. Toutes les vérités de fiction ne sont pas si évidentes. En particulier, nombreux sont les événements narrés dans les fictions dont la logique n’est pas donnée de manière explicite par l’auteur. Un romancier peut très bien présenter une succession de scènes sans lien causal évident, un cinéaste peut, par le montage, juxtaposer deux scènes sans lien causal apparent. Comment expliquer que le lecteur ou le spectateur pourra être conduit à établir une connexion entre ces événements ? Dans ce qui suit, je présente deux réponses possibles à cette question ainsi que les conceptions particulières de l’interprétation des récits de fiction qui sous- tendent ces réponses. Je présente tout d’abord la conception « communicationnelle » de l’interprétation de Gregory Currie. Selon cette 1 Le travail interprétatif commence véritablement lorsqu’il s’agit pour le lecteur ou le spectateur de saisir un ensemble de « vérités de fiction ». C’est à cette dimension du travail interprétatif du lecteur ou du spectateur que je m’intéresse dans cet article. En particulier, je laisse de côté le travail interprétatif nécessaire à la détermination des propriétés esthétiques ou stylistiques d’une fiction littéraire ou filmique. 3 conception, l’interprétation requiert de la part du lecteur ou du spectateur qu’il lise le texte ou qu’il voie le film comme le résultat d’intentions communicatives particulières, comme le résultat de l’intention de la part de l’auteur du texte ou du film de communiquer au moyen de ce texte ou ce film une histoire spécifique. Je présente ensuite une critique de la conception communicationnelle et une explication alternative de la manière dont un récit de fiction peut avoir un sens pour un lecteur ou pour un spectateur : la conception « émotionnelle » de l’interprétation des récits de fiction. 2 La conception communicationnelle de l’interprétation 2.1 La représentation du contexte pragmatique Selon Currie & Jureidini (2003), on ne peut expliquer le fait que le lecteur ou le spectateur établisse des connexions entre des événements apparemment disjoints de manière causale sans admettre que ce lecteur ou ce spectateur se représente, peut-être de manière tacite, le texte ou le film comme une narration, c’est-à-dire comme la production d’un agent ayant des intentions narratives. Selon cette conception, le lecteur ou le spectateur construirait une représentation, peut-être non consciente, du contexte pragmatique dans lequel le texte ou le film est enchâssé. Par exemple, dans le cas d’un œuvre littéraire, le lecteur construirait une représentation d’un auteur – ce que Currie appelle à la suite de Booth (1961) l’auteur « inféré »2 - qui produit le texte pour un lecteur. Currie & Jureidini prennent l’exemple suivant : dans The Stalls of Barchester Cathedral, M. R. James révèle au lecteur qu’un archevêque âgé est mort au cours d’une chute et que le Dr Hayes, qui attendait depuis de nombreuses années ce moment, lui succéda. Le lecteur forme alors la conviction que le Dr Hayes est responsable de la mort de l’archevêque. Selon Currie & Jureidini, en juxtaposant dans le même paragraphe la nouvelle de la mort de l’archevêque et la réaction du Dr Hayes à cette nouvelle « debout silencieux devant la fenêtre », James indique au lecteur une connexion entre les deux événements 2 L’ « auteur inféré » d’une œuvre ne correspond pas nécessairement à son auteur réel, et encore moins, lorsque figure dans l’œuvre un narrateur explicite, à ce narrateur. Pour Currie, l’auteur inféré est l’agent responsable du récit en tant que celui-ci est un récit de fiction alors que son éventuel narrateur explicite est supposé raconter ce qui est de la fiction comme s’il en avait une connaissance réelle. Cf. par exemple, Currie, 1995b, p. 20. Pour une défense du concept d’ « auteur inféré » d’un film, voir Currie, 1995a, pp. 243-80. 4 pour laquelle il n’offre d’autre preuve que sa propre intention que le lecteur voie les choses ainsi. La situation, selon Currie & Jureidini, est encore plus flagrante dans La Dame de Shangaï d’Orson Wells. Dans ce film, la juxtaposition de la scène où un personnage féminin appuie sur un bouton et de la scène où une voiture a un accident suggère fortement au spectateur d’établir une connexion entre les deux événements bien que les deux scènes se déroulent à distance l’une de l’autre. La raison de l’inférence du spectateur ne se trouve pas dans les événements eux-mêmes mais, selon Currie & Jureidini, dans le fait que le spectateur reconnaît derrière la juxtaposition de ces deux événements l’intention de l’auteur (inféré) du film. Le spectateur infère l’existence d’un lien entre les deux événements parce qu’il reconnaît, d’une part, que le monde de la fiction est gouverné par l’intention d’une intelligence organisatrice et, d’autre part, que l’auteur (inféré) de la fiction a l’intention uploads/Litterature/ recit-de-fiction.pdf

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