Gymnase de Nyon 2006 © Daniel Gloor - 1 Autour de l’Evangile de Judas… Sophie L

Gymnase de Nyon 2006 © Daniel Gloor - 1 Autour de l’Evangile de Judas… Sophie Laurant, dans le Monde de la Bible (mars-avril 2006), décrypte les affaires Judas et Da Vinci Code, tirées d'écrits tardifs et de seconde main… Un dossier sur le contenu d'un manuscrit copte recopiant un évangile apocryphe que l'on croyait perdu, justifiant la trahison de Judas. Il est rare que Judas fasse la « une » de l’actualité. Et pourtant, le célèbre éditeur américain National Geographic Society n’a pas hésité a rendre publique la traduction d’un texte s'intitulant « évangile », rédigé probablement au milieu du IIe siècle de notre ère, et signé du nom de Judas, le disciple qui trahit Jésus (cf. ci-dessous). Dans un entretien exclusif, le professeur Rodolphe Kasser, titulaire honoraire de la chaire de coptologie de l’Université de Genève, qui a traduit le manuscrit du copte ne cache pas son émotion : « cela a été pour moi un choc lorsque j’ai été mis en contact, en 2001, avec ce manuscrit que nous croyions irrémédiablement perdu, alors que nous connaissions son existence par une mention de l’évêque Irénée de Lyon (vers 130-202) qui s’indigne contre ce texte ! C’est de toute façon extrêmement rare de retrouver un manuscrit d'un traité aussi ancien. Et celui-ci est remarquablement complet : nous avons les trois-quarts du texte.» L’apôtre réputé félon qui vécut en Palestine au début du 1er siècle et dont les Evangiles racontent qu’il vendit Jésus aux prêtres du Temple pour trente pièces d’argent aurait-il écrit pour justifier sa trahison ? Son rôle - néfaste mais essentiel - dans la Passion a toujours intrigué : pourquoi désigne-t-il Jésus à ses bourreaux en l’embrassant ? Pourquoi, peu de temps après, pris de remords, rend-t-il l’argent et va-t-il se pendre ? Ce nouveau manuscrit peut-il modifier notre vision des Evangiles ? Ces questions font sourire Rodolphe Kasser : « Oui, en quelque sorte, la figure de Judas est « réhabilitée » dans ce texte car son rôle négatif trouve une explication positive. Mais il faut dire et redire qu’il s’agit d’une interprétation postérieure, imaginée au IIe siècle. Vous ne trouverez ici aucune information historique nouvelle sur le véritable Judas l’Iscariote. » Il n’empêche, cet « Evangile de Judas » reste d’un intérêt exceptionnel pour mieux comprendre les débuts du christianisme, qui se développe alors plus ou moins clandestinement dans l’Empire romain, en même temps que d’autres courants religieux. Pour Rodolphe Kasser en effet, si ce texte a été rédigé en grec (puis traduit en copte) dans un milieu déjà très familier du christianisme, il relève pourtant clairement d’un autre mouvement religieux : la « gnose », qui signifie « connaissance » en grec. Il s’agit d’une sorte de religion ou philosophie ésotérique comprenant de nombreuses sectes, qui s’est développée entre le second et le quatrième siècle dans l’Empire romain. De petits groupes d’initiés, les gnostiques, inspirés par certaines idées philosophiques grecques et par les Ecritures bibliques, réinterprétaient à leur façon le christianisme. Ils pensaient que le véritable Dieu était inconnaissable et incréé « hors de toute matière ». Il était masqué aux yeux des hommes par un dieu inférieur malfaisant, créateur du monde, le dieu biblique. Pour les gnostiques, le monde est donc un lieu infesté par le mal, les ténèbres et le péché, où l’on adore un usurpateur. Seuls seraient « élus », sauvés, ceux qui échapperaient à cette supercherie et atteindraient la perfection par une initiation à des pratiques, des paroles de type magique. Ceux-là rejoindraient la lumière, le véritable Dieu après un parcours difficile. Inutile pour eux d’essayer de convertir les autres, ni de se reproduire, car le monde court dans son ensemble, à sa perte… Gymnase de Nyon 2006 © Daniel Gloor - 2 Cette vision très pessimiste entrait en totale contradiction avec le message de salut universel des premiers missionnaires chrétiens ! L’Église, après 313 - date à laquelle le culte chrétien est autorisé avec bienveillance par l’Empire romain - a logiquement écarté les nombreux textes gnostiques, et d’autres au caractère simplement trop légendaire, du canon biblique. Ils sont depuis lors connus sous le nom d’ « apocryphes » c’est à dire « cachés »… Les manuscrits de ces textes ont peu à peu disparu, victimes de campagnes volontaires de destruction, de l’oubli des hommes ou de l’usure du temps. Le mouvement gnostique nous est donc surtout connu par les arguments développés contre lui par les théologiens de cette époque, dans des textes de controverses. D’où l’importance de « L’évangile de Judas » qui ouvre un accès direct à cette pensée et fera mieux comprendre aussi les réponses des chrétiens de ce temps. Le récit développé dans « l’évangile de Judas », commence par montrer Jésus qui rejoint ses disciples en train de préparer la Pâque. Jésus se moque d’eux et explique que célébrer l’eucharistie est inutile ! « Il essaie de les instruire des idées gnostiques, mais il voit très bien, explique Rodolphe Kasser, qu’ils sont trop stupides pour le comprendre. Sauf Judas, que les autres détestent mais que Jésus affectionne particulièrement. » Jésus, à l’issue d’un long dialogue où il l’initie et interprète ses rêves, demande lui- même à Judas de le livrer aux autorités afin qu’il soit délivré de son corps matériel et retourne vers la lumière. Et le récit se termine sobrement sur la rencontre de Judas avec les Juifs qui cherchent Jésus. « L’auteur s’adresse donc à un public qui connaît les évangiles et en même temps, son but est de leur révéler leur « vrai » sens, décrypte le spécialiste. Les gnostiques ont toujours aimé « retourner » des personnages qui symbolisent le mal ou l’ambiguïté dans la Bible, comme Caïn, le premier criminel; le roi Hérode qui massacra les enfants innocents; ou encore Thomas, le disciple incrédule et ici Judas, le traître perfide. En ayant ce manuscrit sous les yeux, on comprend mieux la colère d’Irénée de Lyon pour qui cette interprétation de la relation entre Judas et Jésus est insultante et hérétique ! » Dans quelques mois, la publication scientifique du manuscrit avec des photographies de chaque page, permettra aux chercheurs du monde entier de se pencher sur ce texte à leur tour. Rodolphe Kasser espère que la confrontation avec d’autres textes gnostiques apportera de nouvelles informations. Il conclut avec humour : « le scribe qui a écrit « l’évangile de Judas » savait qu’un titre pareil ferait scandale ! » Mais il ignorait sans doute que sa provocation attiserait encore la curiosité au XXe siècle… Repères : les tribulations du manuscrit de l'évangile de Judas Années 1970 : Le manuscrit est découvert par des paysans sans doute sur un site archéologique de Moyenne-Egypte, Muhâzafat Al Minya. Il est probablement partagé en plusieurs parties entre les découvreurs et exporté illégalement. 1983 : L’objet réapparaît en Suisse dans les mains d’un antiquaire. 1983-2000 : Divers antiquaires tentent de le vendre à des universités américaines mais à un un prix beaucoup trop élevé. Toutes ces pérégrinations et les manipulations inconsidérées, sans égards pour la fragilité excessive du papyrus, endommagent gravement le codex (livre relié); il présente désormais une déchirure brutale aux 2/3 de la hauteur des 62 feuillets qui nous sont parvenus. Cette crevasse, dont les bords s'effritent de plus en plus, empêche la lecture sur une bande d’environ 1 à 5 cm. Certains folios ont été réarrangés avec des bas de pages qui ne coïncident pas avec le haut… 2001 : la Fondation suisse Maecenas, dont le président est l’avocat Mario Roberty acquiert le manuscrit dans le but de le faire publier et de le rendre à l’Egypte. Elle contacte Rodolphe Kasser, qui demande une restauration immédiate du codex et sa protection sous plaques de verre, avant d’entreprendre son étude et sa traduction. La composition du manuscrit Le codex est probablement incomplet car il ne contient que deux cahiers de feuilles de papyrus reliées entre elles, en quoi il diffère des autres manuscrits contemporains connus. Le texte est en copte, la Gymnase de Nyon 2006 © Daniel Gloor - 3 langue de l’Egypte à l'époque romaine, notée en un alphabet grec adapté. D’après des datations au carbone 14 de fragments infimes de papyrus, le manuscrit a été copié entre 220 et 340 après J.-C. Mais le texte grec qu’il traduit est plus ancien et pourrait remonter aux années 170-180 après J.-C. Outre l’évangile de Judas, le codex contient trois autres textes apocryphes dont deux sont déjà connus mais dans des versions différentes. Pour en savoir plus : - Le livre de Judas, de Nicolas Grimaldi. PUF, 2006, 145 p. ISBN : 2130552838 L’auteur s’interroge sur les raisons de la trahison de Judas. Il questionne à la fois les évangiles et les commentateurs anciens et contemporains. Quatre courts chapitres, faciles à lire, proposent de réfléchir à la question de la liberté de Judas. L’auteur veut bien lui accorder « les circonstances atténuantes » : l’apôtre, pris dans des contradictions qu’il ne comprend pas se réfugie derrière l’avis des représentants de la Loi, avant de se uploads/Litterature/ religion-autour-evangile-judas.pdf

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