Paul Verlaine Dédicaces D’après le Tome III des Œuvres complètes de Paul Verlai
Paul Verlaine Dédicaces D’après le Tome III des Œuvres complètes de Paul Verlaine chez Léon Vanier (1901). DÉDICACES – 3 – I BALLADE TOUCHANT UN POINT D’HISTOIRE A Anatole France. ASSEZ qu’on – sinon plus qu’assez – Déplore avec désinvolture, Les uns mes « désordres » passés, Les autres ma Noce ! future ; Mais tous joignent cette torture A leurs racontars déplaisants De me vieillir plus que nature : Je n’ai que quarante-trois ans. J’ai mille vices, je le sais, Et connais leur nomenclature, Mais pas tous ceux qu’on a tracés. La pénible mésaventure ! Va-t-il falloir que je l’endure ? Oui, non sans maints ennuis cuisants. Or voici le cas de rupture : Je n’ai que quarante-trois ans. PAUL VERLAINE – 4 – J’aurai quelque jour un accès Contre cette littérature. Je jure alors, foi de Français ! De courre et nâvrer l’imposture, Fût-ce au fond de l’Estramadure Ou vers le pôle aux froids jusants. Dilemme : « Surcharge ou râture ! » Je n’ai que quarante-trois ans. ENVOI Princes du pouf et de l’ordure, Sachez-l’, écholiers maldisants Que tente une poigne encor dure, Je n’ai que quarante-trois ans. Décembre 1887. _____ DÉDICACES – 5 – II BALLADE EN VUE D’HONORER LES PARNASSIENS A Ernest Jaubert. OR on vivait en des temps fort affreux Où la réclame était mal en avance. Dans la bataille aux rimes plus d’un preux Tout juste eut pour l’attaque et la défense Quelque canard d’Artois ou de Provence ; Mais Phœbus vint qui reconnut les siens Et sut garder, vainqueurs, de toute offense Les chers, les bons, les braves Parnassiens. Bien que tenus un peu pour des lépreux, Ne touchant guère en fait de redevance Que tels petits écus des moins nombreux Et l’amour et l’eau claire pour chevance Unique avec la faim de connivence, Tous, aussi bien les neufs que les anciens, Ils marchaient droit dans la stricte observance, Les chers, les bons, les braves Parnassiens. PAUL VERLAINE – 6 – C’étaient, après les Maîtres valeureux, Ces pages fiers : Mendès en son enfance Mais qui déjà portait des coups heureux, – Ah lui ! ne l’eût oncques la rime en vance Gêné du tout, voir celle en revance, – Heredia, fleur des patriciens, Dierx, Cazals, que leur nom pur devance, Les chers, les bons, les braves Parnassiens. ENVOI Princes et rois « gardés de toute offense », Ai-je dit, l’un de ces miliciens, Qu’à leurs santés boivent l’eau de Jouvence Les chers, les bons, les braves Parnassiens. _____ DÉDICACES – 7 – I A JULES TELLIER QUAND je vous vois de face et penché sur un livre Vous m’avez l’air d’un loup qui serait un chrétien, Pardon, rectifiez : qui serait un païen, En tous cas d’un loup peu garou qui saurait vivre. Je vous vois de profil : un faune m’apparaît, Mais un faune select au complet sans reproche Avec, pour plus de chic, une main dans la poche Et promenant à pas distraits son vœu secret. Vu de dos, vous semblez un sage qui médite, A jamais affranchi des fureurs d’Aphrodite Et du soin de penser uniquement jaloux. Vu de loin, on vous veut de près à justes titres, Et, car la vie, hélas ! a de sombres chapitres, Quand je ne vous vois pas je me souviens de vous. 1er janvier 1889. _____ PAUL VERLAINE – 8 – II AU MÊME AINSI je riais, fou, car la vie est folie ! Mais je ne savais pas non plus que tu mourrais, Moi malade et mourant presque (on eût dit exprès, Sûr, mort, du cher tribut de ta mélancolie) Car tu m’aimas de sorte à ce qu’on ne l’oublie, Esprit et cœur enthousiastes toujours prêts A se manifester en quelques nobles traits… – Et c’est moi qui sur toi dis la triste lalie ! Hélas, hélas ! que tout soit ou semble discord En ce inonde où qui donc a raison ou bien tort, A ce qu’ « assure » une dure philosophie ! Mon ami, quelle soit la dispute ou la loi, Je reprends un de mes vers vrais à vous en vie : Quand je ne te vois plus je me souviens de toi. Juin 1889. _____ DÉDICACES – 9 – III A FRANÇOIS COPPÉE LES passages Choiseul aux odeurs de jadis, Oranges, parchemins rares, – et les gantières ! Et nos « débuts », et nos verves primesautières, De ce Soixante-sept à ce Soixante-dix, Où sont-ils ? Mais où sont aussi les tout petits Événements et les catastrophes altières, Et le temps où Sarcey signait S. de Suttières, N’étant pas encore mort de la mort d’Athys ! Or vous, mon cher Coppée, au sein du bon Lemerre Comme au sein d’Abraham les justes d’autrefois, Vous goûtez l’immortalité sur des pavois. Moi, ma gloire n’est qu’une humble absinthe éphémère Prise en catimini, crainte des trahisons, Et, si je n’en bois pas plus, c’est pour des raisons. _____ PAUL VERLAINE – 10 – IV J.-K. HUYSMANS SA douceur n’est pas excessive, Elle existe, mais il faut la voir, Et c’est une laveuse au lavoir Tapant ferme et dru sur la lessive. Il la veut blanche et qui sente bon Et je crois qu’à force il l’aura telle. Mais point ne s’agit de bagatelle Et la tâche n’est pas d’un capon. Et combien méritoire son cas De soigner ton linge et sa détresse, Humanité, crasses et cacas ! Sans jamais d’insolite paresse, O douceur du plus fort des J.-K., Tape ferme et dru, bonne bougresse ! _____ DÉDICACES – 11 – V A STÉPHANE MALLARMÉ DES jeunes – c’est imprudent ! – Ont, dit-on, fait une liste Où vous passez symboliste. Symboliste ? Ce pendant Que d’autres, dans leur ardent Dégoùt naïf ou fumiste Pour cette pauvre rime iste, M’ont bombardé décadent. Soit ! Chacun de nous, en somme, Se voit-il si bien nommé ? Point ne suis tant enflammé Que ça vers les n…ymphes, comme Vous n’êtes pas mal armé Plus que Sully n’est Prud’homme. _____ PAUL VERLAINE – 12 – VI A JEAN MORÉAS C’EST le beau Jean Moréas Qui fait dire à l’échotier Que l’art périclite, hélas ! Aux mains d’un si tel routier. Routier de l’époque insigne, Violant des villanelles Coin nie aussi, blancheurs de cygne ! Violant des péronnelles. Va-t’en, sonnet libertin, Fleurir de rimes gaillardes Ce chanteur et ce hutin, Migrateur emmi les bardes, Que suivent sur ses appels Tous les cœurs des archipels. _____ DÉDICACES – 13 – VII A LAURENT TAILHADE LE prêtre et sa chasuble énorme d’or jusques aux pieds Avec un long pan d’aube en guipures sur les degrés ; Le diacre et le sous-diacre aux dalmatiques chamarrées D’orerie et de perle à quelque Eldorado pillées ; Le Sang Réel par Qui toutes fautes sont expiées, Dans un calice clair comme des flammes mordorées ; L’autel tout fuselé sous six cierges démesurés, Et ces troublants Agnus Dei qu’on dirait pépiés ; Et ces enfants de chœur plus beaux que rien qui soit au monde Leurs soutanettes écarlates, leurs surplis jolis, Et les lourds encensoirs bercés de leurs mains appalies ; Cependant que, poète au front royal sur tout haut front, Laurent Tailhade, tels jadis Bivar, Sanche et Gomez, Érect, et beau chrétien, et beau cavalier, suit la messe. _____ PAUL VERLAINE – 14 – VIII A VILLIERS DE L’ISLE-ADAM TU nous fuis comme fuit le soleil sous la mer Derrière un rideau lourd de pourpres léthargiques, Las d’avoir splendi seul sur les ombres tragiques De la terre sans verbe et de l’aveugle éther. Tu pars, âme chrétienne on m’a dit résignée Parce que tu savais que ton Dieu préparait Une fête enfin claire à ton cœur sans secret, Une amour toute flamme à ton amour ignée. Nous restons pour encore un peu de temps ici, Conservant ta mémoire en notre espoir transi, Tels les mourants savourent l’huile du Saint-Chrême. Villiers, sois envié comme il aurait fallu Par tes frères impatients du jour suprême Où saluer en toi la gloire d’un élu. _____ DÉDICACES – 15 – IX LÉON BLOY LE Dogme certes, et la Loi, Mais Charité qui ne commence Ni ne finit, énorme, immense, Telle est la foi de Léon Bloy. Un Abel mais un saint Éloi : Enclume et marteau sans clémence, La raison jusqu’à la démence, Telle est la foi de Léon Bloy. Une tête féroce et douce, Très extraordinairement Un peu va comme je te pousse ; Un génie horrible et charmant, Et tout l’être et tout le paraître D’un mauvais moine et d’un bon prêtre. _____ PAUL VERLAINE – 16 – X A RAOUL PONCHON VOUS aviez des cheveux terriblement ; Moi je ramenais désespérément ; Quinze ans se sont passés, nous sommes chauves Avec, à tous crins, des barbes de fauves. La Barbe est une erreur de ces temps-ci Que nous voulons bien partager aussi ; Mais l’idéal serait des coups de sabres Ou même de rasoirs nous faisant glabres. Voyez de Banville, et voyez Lecon- Te de Lisle, et tôt pratiquons leur uploads/Litterature/ verlaine-p-dedicaces-pdf 1 .pdf
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- Publié le Jan 30, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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