MARTIN BARNIER, EN ROUTE VERS LE PARLANT. HISTOIRE D'UNE ÉVOLUTION TECHNOLOGIQU
MARTIN BARNIER, EN ROUTE VERS LE PARLANT. HISTOIRE D'UNE ÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE, ÉCONOMIQUE ET ESTHÉTIQUE DU CINÉMA (1926-1934), LIÈGE, ÉDITIONS DU CÉFAL, 2002, 255 P. Myriam Juan Belin | « Revue d’histoire moderne & contemporaine » 2004/4 n° 51-4 | pages 162 à 162 ISSN 0048-8003 ISBN 2701137373 DOI 10.3917/rhmc.514.0162 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et- contemporaine-2004-4-page-162.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. 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Ces quelques années, durant lesquelles le cinéma connut sa muta- tion la plus radicale sans doute, sont en effet entourées d’une légende noire, parfois tragique (des carrières d’acteurs brisées, un art sublime assassiné…), parfois comique (les déboires des ingénieurs du son, les incidents de projection…), qu’immortalisèrent en 1952 Stanley Donen et Gene Kelly dans le génial Chantons sous la pluie. Le livre de Martin Barnier, issu de sa thèse de doctorat, relève donc d’un travail de démystification, puisque l’auteur entreprend d’y démontrer que si la période marque bien une rupture, elle ne se caractérise nullement, en revanche, par une régression. Au contraire, le cinéma semble avoir joui alors d’une rare liberté, avant l’imposition de nouvelles normes. L’étude, qui débute en 1926, année du premier long métrage sur système Vitaphone, s’arrête d’ailleurs en 1934, lorsque la standardisa- tion commence à triompher. Que la transition s’effectue sur neuf ans suggère combien les changements durent être progressifs et les stratégies d’adaptation variées, en France comme aux États-Unis, ces deux rivaux sur lesquels l’auteur choisit de centrer son propos. Trois perspectives sont successivement explorées: technologique, économique et esthétique, cette dernière éclairée par les deux précédentes, dans la lignée d’une nou- velle histoire du cinéma qui tend à restituer à celui-ci son caractère de phénomène global. En introduisant l’analyse des transformations technologiques par un examen des recherches menées par Léon Gaumont sur le son, Martin Barnier ne fait pas que rendre justice au génie visionnaire d’une des plus fortes personnalités du cinéma, il rappelle surtout la précocité et la diversité des procédés permettant d’«ajouter le son à l’image». Dès 1894, les brevets se sont multipliés. De 1905 à 1912, la firme à la Marguerite pro- posa de nombreux petits films parlants, les phonoscènes, qui remportèrent un vif succès auprès du public. L’appareil d’enregistrement Gaumont se vendit un peu par- tout dans le monde, tandis que la concurrence se développait, aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne. Ralenties par la guerre, les recherches reprirent en 1918, désormais davantage orientées vers le son optique que vers le son sur disque. Associé à deux inventeurs danois, Gaumont lança en 1921 le Gaumont-Petersen-Poulsen (GPP) qui séparait bande-son et bande-image. Trop compliqué et trop en avance, en France, l’appareil ne fut pas adopté. Adaptable à tous les systèmes du moment, soutenu par une presse corporative aux accents nationalistes, l’Idéal sonore, le projecteur lancé par la firme en 1929, rencontra en revanche un incontestable succès auprès des exploitants français. Le matériel allemand et américain dominait cependant le marché, soutenu par la puissance financière et commerciale des compagnies de ces deux pays. Celle-ci n’évita pas aux Majors américaines de nombreux problèmes administratifs et techniques liés à la transition. Martin Barnier les étudie à partir de l’exemple de la Paramount, saisi au travers de sources originales: des memos, courriers internes à la compagnie, et des bulletins d’information, souvent repris par la grande presse. Pour remédier à l’alourdissement des tâches administratives, les Majors procédèrent à une très forte centralisation, occasionnant ainsi le retour des studios sur la côte Est, près du REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE 51-4, octobre-décembre 2004. MARTIN BARNIER, En route vers le parlant. Histoire d’une évolution technologique, économique et esthétique du cinéma (1926-1934), Liège, Éditions du Céfal, 2002, 255 p. © Belin | Téléchargé le 27/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 86.202.56.222) © Belin | Téléchargé le 27/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 86.202.56.222) COMPTES RENDUS 163 service d’exploitation des films. Les problèmes techniques, quant à eux, compliquèrent à l’extrême la tâche des projectionnistes. C’est ce que révèle l’analyse jubilatoire des recommandations que la Paramount envoya à ces derniers lors de la sortie de son pre- mier film sonore, W arming Up, à l’été 1928. De délicates manipulations permettaient de transformer une copie sonore en film muet (et réciproquement). D’autres, au cours même de la projection, assuraient l’ajustement du niveau sonore. Comme aux premiers temps du cinéma et jusqu’à la disparition, en 1931, des systèmes sur disque, le projec- tionniste se trouva donc investi non seulement de responsabilités considérables, mais aussi d’un rôle proprement créateur. Toutes ces analyses révèlent des aspects presque inconnus de la transition. C’est à une thèse quasi officielle que s’attaque ensuite Martin Barnier: celle d’une régression du cinéma, selon laquelle les splendeurs du muet auraient fait place à du théâtre en boîte, entièrement tourné en studio avec des caméras et des micros immobiles. Point par point, l’auteur démontre que cette situation, certes dommageable, n’a duré tout au plus que quelques mois aux États-Unis, encore moins en Europe, où l’équipement fut un peu plus tardif. D’autres transformations, induites par l’arrivée du son, vinrent toutefois compliquer les tournages, comme la chaleur étouffante des nouveaux systèmes d’éclai- rage, silencieux, qui obligeaient à aérer très souvent les plateaux. Finalement, Martin Barnier avance l’hypothèse que la réaction négative de certains spectateurs de l’époque tient en grande partie à un problème de sensibilité. Il fallut sans doute une phase d’ap- prentissage pour que l’oreille s’habituât à reconnaître dans ces sons, venus d’ailleurs que de l’image elle-même, parfois très amplifiés, une reproduction fidèle de la réalité. L’analyse des mutations économiques, sur lesquelles se penche la deuxième partie, est dominée par un paradoxe: la pression qui conduisit à la généralisation du parlant fut le fait d’un seul pays, les États-Unis, qui dominaient alors de façon écrasante le marché du film; elle introduisit pourtant un espace de liberté qui permit le foisonnement des diverses cinématographies nationales. De nouveau, l’historien doit combattre des mythes, à commencer par celui de la faillite de la Warner. C’est en pleine expansion que cette dernière lança le processus de transformation, méthodiquement suivie par ses rivales. Cette décision favorisa la lutte économique, comme le montre l’étude des rap- ports commerciaux entre la France et les États-Unis. Les deux pays optèrent pour des stratégies radicalement opposées: offensive pour les firmes américaines, bien organisées et soutenues par l’État, conscient que le cinéma constituait un puissant atout pour le commerce; défensive pour l’industrie française, protégée par un contingentement. Par nationalisme, soucieuse de préserver sa langue, la France favorisa le doublage, tandis que les États-Unis laissaient les versions originales pénétrer leur marché où elles se noyaient dans la production locale, toutes pratiques qui ont perduré jusqu’à nos jours. Après une année de doute en 1929, cette confrontation fut du reste très favorable à la production française et aux autres cinématographies européennes. Le contingentement et l’obstacle de la langue rendaient difficilement exportables les films parlants.Avant que le doublage ne se généralise, à partir de 1931-1933, les pro- ducteurs eurent recours à divers expédients, parmi lesquels la réalisation de «versions multiples», c’est-à-dire des films tournés simultanément, sur un même scénario, avec des équipes venues de différents pays. Aux studios de la Paramount installés à Joinville- le-Pont, on tourna ainsi jusqu’à treize versions d’un même film. Ce système de produc- tion à la chaîne se révéla très vite peu rentable, mais stimula paradoxalement l’industrie européenne. Beaucoup plus fructueuse fut la collaboration qui se développa en Europe, notamment celle, étroite, qui lia tout au long des années 1930 la France et l’Allemagne. © Belin | Téléchargé le 27/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 86.202.56.222) © Belin | Téléchargé le 27/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 86.202.56.222) Recours à des stars bilingues, astuces de scénario pour que les films parlent plusieurs langues, versions multiples réalisées par des cinéastes talentueux (Pabst, Duvivier), cette production semble avoir été une réussite, aussi bien commerciale qu’artistique, ces films étant sinon des chefs-d’œuvre, du moins des trésors d’inventivité. C’est cette thèse d’une production innovante, créative, que développe Martin Barnier dans la troisième partie de son livre, consacrée aux mutations esthétiques. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle théâtre et music-hall furent les modèles des premiers films parlants, ce sont d’autres médias, beaucoup plus modernes, qui influen- cèrent ces derniers: téléphone, phonographe, mégaphone uploads/Litterature/ rhmc-514-0162.pdf
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- Publié le Nov 27, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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