L’Actualité Poitou-Charentes – N° 51 40 Ce deuxième ouvrage confirme le choix d
L’Actualité Poitou-Charentes – N° 51 40 Ce deuxième ouvrage confirme le choix de la mé- thode foucaldienne, fondée sur une «archéologie du savoir». Michel Foucault dissèque les gran- des discontinuités épistémiques ayant présidé à l’apparition de la psychiatrie et de la médecine modernes. Martine Coussot, psychiatre, psycha- nalyste et responsable des activités de l’Associa- tion de la Cause freudienne1 à Poitiers nous livre ses réflexions sur l’influence de ces deux textes majeurs sur le déroulement de ses études de mé- decine et de psychiatrie. L ’Actualité. – Pouvez-vous nous situer dans quel contexte s’est inscrit votre lecture de Mi- chel Foucault␣? Martine Coussot. – J’ai commencé à lire Mi- chel Foucault à la fin de mes études de médecine, à Poitiers, au début des années quatre-vingt. C’était dans l’air du temps. Mes premières lectu- res de Foucault concernaient l’Histoire de la fo- lie à l’âge classique et Naissance de la clinique. Cette lecture présentait un double intérêt à l’épo- que. A la fois en tant que médecin et comme étu- diante en psychiatrie. A cette époque, il n’y avait pas de cours sur l’histoire de la pensée ou sur l’histoire des sciences.␣ Naissance de la clinique était «révolutionnaire» pour un médecin formé par un regard séméiologique, c’est-à-dire un regard découpant le sujet en morceaux. Ce livre nous éclairait sur la nature et l’origine de ce regard médical et le passage entre l’expérience clinique et le regard anatomo-clinique. Chose dont nous n’avions aucune conscience à l’époque. Qu’entendez-vous exactement par «regard anatomo-clinique»␣? En tant que médecin, on prescrit beaucoup d’exa- mens complémentaires␣: prises de sang, examens histologiques (examen des tissus organiques), pal- pation... Il y a deux choses dans les signes, d’une part la séméiologie (étude des signes de la mala- die␣: auscultation, imagerie...), d’autre part les exa- mens complémentaires. Ces derniers permettent d’analyser les tissus, le sang... Actuellement, les examens complémentaires priment sur l’expé- rience clinique, ce que l’on peut parfois regretter. Nous étions, bien sûr, habitués en médecine à cette distinction, sans pour autant savoir véritablement d’où elle venait. Cet aspect n’était pas du tout dé- veloppé durant nos études de médecine. D Eloge de la discontinuité psychanalyse Martine Coussot, psychanalyste à Poitiers, a découvert la dimension «psychiatricide» de Michel Foucault lors de ses études de psychiatrie Entretien J.-L. Terradillos et B. Lutanie Photos Franck Gérard eux années après la publication de l’Histoire de la folie à l’âge classique, paraît Naissance de la clinique. L’Actualité Poitou-Charentes – N° 51 41 C’est en cela que Naissance de la clinique s’avère tout à fait passionnant, en ce qu’il révèle l’histoire de cette discontinuité entre l’expérience clinique et ce regard. Quel intérêt revêt à vos yeux Histoire de la fo- lie à l’âge classique␣? En tant que psychiatre, c’était très intéressant de voir comment cette histoire de la folie n’était aucunement une donnée naturelle mais une don- née totalement construite. Ce livre remettait en cause le savoir psychiatrique. Au cours de nos études de psychiatrie, nous étudiions les diffé- rentes phases et écoles ayant contribué à l’élabo- ration du savoir psychiatrique. Ce livre remettait en question toutes ces conceptions successives et c’est sans doute là que réside la dimension «psychiatricide» (pour reprendre la formule de Henri Ey) de Michel Foucault. En parallèle de ces deux livres de Foucault, et grâce à eux, j’ai lu l’ouvrage de Georges Canguilhem intitulé Le Normal et le Pathologique qui dépassait la dicho- tomie entre le «normal» et le «pathologique» en montrant qu’il pouvait y avoir une articulation, voire un point d’ancrage entre les deux. Cette vi- sion était totalement absente du monde médical, où la normalité et le pathologique étaient toujours strictement dissociés. Ces trois livres m’ont tout particulièrement marquée et m’ont orientée vers une conception plus globale et moins objectivante. En 1966 paraissent les Ecrits de Lacan et Les Mots et les Choses de Foucault␣: que pensez- vous des étiquettes «structuralistes» accolées à leur nom, et, en tant que psychanalyste d’orientation lacanienne, voyez-vous un rap- port entre leurs recherches respectives␣? Je ne crois pas que leurs œuvres se croisent véri- tablement. Sans doute, Lacan était-il plus «struc- turaliste» que Foucault. La rencontre de Lacan avec Lévi-Strauss a modifié l’optique de ses tra- vaux. L ’épithète «structuraliste» reste toutefois abusive. La pensée de Freud n’a pas eu d’in- fluence sur Michel Foucault. On a reproché à Foucault de promouvoir la mort du sujet, ce qui s’accorde mal avec la␣ théorie du sujet élaboré par Lacan. Si l’un et l’autre se respectaient, il n’y a cependant pas vraiment de rapport conceptuel entre ces deux penseurs. Quoi qu’il en soit, Les Mots et les Choses ouvrait de nouvelles perspec- tives et proposait une autre façon de penser le monde. Cette lecture m’a émerveillée. I 1. L’ACF est une association nationale disposant d’antennes régionales telles que l’Association de la Cause freudienne du Val de Loire-Bretagne (ACFVLB) dont fait partie Martine Coussot. Responsable des activités associatives à Poitiers, Martine Coussot organise des séminaires réguliers, des conférences, des soirées d’enseignement et des cartels (groupes de lecture). En 1996, l’Association chauvinoise de philosophie organisait une série de lectures et débats consacrés à Michel Foucault. Une initiative de doctorants en philosophie de l’Université de Poitiers : Eric Puisais, Franck Fischback, Didier Ottaviani et Emmanuel da Silva. A l’origine de ce colloque, un certain agacement, voire un agacement certain : «Cela nous exaspérait de voir fleurir, ici et là, des cabarets dits philosophiques où il ne se disait rien de construit», commente Eric Puisais (qui achève une thèse sur la réception de Hegel en France au XIXe siècle). La figure hétérodoxe de Foucault intéressait Puisais et ses pairs «bien qu’aucun de nous ne travaillait sur lui». Ce colloque s’assignait une double vocation. D’une part, «permettre une confrontation des différents points de vue qui se dégagent des plus récentes recherches foucaldiennes. D’autre part, éclairer quelques pratiques discursives – la folie, la médecine, les sciences humaines, la prison, la sexualité – interrogées par Foucault, sans pour autant prétendre aborder son œuvre, et encore moins la juger, en stricts historiens de la philosophie, historiens des sciences ou historiens tout court.» Ce positionnement dédoublé, mis en exergue du programme, donne le ton et délimite le champ des débats et interventions. La figure du double réapparaît de nouveau : «C’est un philosophe qui me paraît avoir une double facette, au même titre que Gilles Deleuze, d’ailleurs. Je discerne chez lui un côté extrêmement classique, de par sa formation, et, en contrepoint, une manière classique de traiter des thèmes qui ne le sont pas. Foucault choisit des expériences limites telles que la prison, la folie, ou d’autres sujets qui échappent au traitement philosophique.» Rupture de la philosophie et philosophie de la rupture se côtoient dans un même mouvement pendulaire. «Foucault utilise un matériau brut et parvient à en tirer un sens construit. Comme chez Deleuze, la pensée de Foucault s’apparente à de la taille de pierre.» L’objet de ce colloque coorganisé par l’ACP et le Cerphi (Centre d’études en rhétorique, philosophie et histoire des idées ) était de «faire venir des personnes établies, connues et reconnues dans la philosophie, et des plus jeunes. L’idée étant de faire parler tout le monde, du professeur de la Sorbonne à l’étudiant de première année.» Entre Foucault et l’Autre- en-amont : La philosophie doit être faite par tous. J.-L. T. et B. L. Les actes seront publiés aux Presses de l’ENS avec deux autres séminaires sur Foucault organisés en France. L’ACP prépare d’autres rencontres pour 2001, notamment une journée d’étude sur le thème «médecine et pouvoir» où il sera question de Foucault, organisée par Laurent Gerbier et Didier Ottaviani, la présentation du livre La Démocratie de Platon à Rawles et le colloque «Crise, rupture et transition», à l’initiative d’Emmanuel Chubilleau et de Marc Puybareau. Contact: Centre d’Animation Populaire Michel-Foucault, 19, rue de Châtellerault, 86300 Chauvigny. Foucault et ses doubles uploads/Litterature/ martine-coussot-eloge-de-la-discontinuite.pdf
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- Publié le Aoû 21, 2022
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