Revue de l'histoire des religions Une tradition essénienne dans le Coran Marc P

Revue de l'histoire des religions Une tradition essénienne dans le Coran Marc Philonenko Citer ce document / Cite this document : Philonenko Marc. Une tradition essénienne dans le Coran. In: Revue de l'histoire des religions, tome 170, n°2, 1966. pp. 143- 157; doi : https://doi.org/10.3406/rhr.1966.8412 https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1966_num_170_2_8412 Fichier pdf généré le 11/04/2018 Une tradition essénienne dans le Coran La question que l'on se propose d'aborder ici est sans doute assez nouvelle. La question des influences juives sur l'Islam naissant, elle, ne l'est pas. Dès 1833, Abraham Geiger la posait avec éclat dans un petit livre très remarquable pour l'époque2 et, depuis lors, elle a été maintes fois reprise. Qu'il suffise de citer ici les travaux de Hirschfeld3, de Speyer4 ou de Torrey5. L'auteur, d'une mise au point relativement récente, n'hésite pas à conclure : « L'influence du Judaïsme sur l'Islam ancien doit avoir été très considérable, sinon décisive »6. Notre étude rejoint donc tout un courant de recherches qui remonte loin. Une remarque toutefois, l'Essénisme n'a guère été évoqué clans ce débat. Plus précisément, il Га été par raccroc, dans la mesure où l'on croyait devoir déceler sur l'Islam en ses débuts l'influence de sectes judéo-chrétiennes. Ainsi Renan estimait-il que par sa doctrine du vrai prophète, l'Islam se rattachait à « l'esséno-ébionisme »7. (Vest donc par le canal du judéo- christianisme que l'on imaginait que des influences essé- niennes avaient pu s'exercer sur l'Islam. Nous ne songeons nullement à écarter cette possibilité. Le judéo-christianisme est un des héritiers légitimes de l'Essénisme. Il a fort bien pu jouer ici le rôle d'un intermédiaire. Il n'en reste pas moins que, pour ce qui est des origines de l'Islam, on ne songeait 1} Communication présentée devant la Société Ernest-Renan, le 26 février l'J6ť>. 2) A. Geiger, Was hal Mohammed ans dem Judenthume aufgennmmen '.', Bonn, 1833. 3) H. Hirschfeld, Jiidische Elemente im Koran, Berlin, 1878 ; Beilràge zur Erklârung des Koran, Leipzig, 1886 ; New Researches into the Composition and Exegesis of the Koran, London, 1901. 4) H. Speyer, Die biblisr.hen Erzàhlungen im (Joran2, Hildesheim, 1961. Г>) С ('. Torrey, The Jewish Foundation of Islam, New York, 1033. 6) S. D. Goitein, Jems and Arabs, New York, 10Г)Г>, р. (U)-(il. 7) E. Renan, Marc-Aurèle, Paris, 1899, p. S3, note 1. 144 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS guère à l'Essénisme en tant que tel. Sans doute, du. temps de Renan, aurait-il été téméraire de supposer un commerce direct entre l'Islam- et l'Essénisme, alors que- les sources^ d'information sur la; secte juive se: réduisaient, pour l'essentiel; aux, notices de Philon: et de Josèphe1. Aujourd'hui que, par les découvertes de la mer Morte, notre connaissance de l'Essénisme est totalement renouvelée, de- nouvelles possibilités s'oiïrent à la* critique.- Dès 1950, le R. P; de Vaux -relevait, chez divers auteurs arabes les traces d'Esséniens cachés sous • le nom- de Maghâria2. Cette piste a été' suivie depuis ; par plusieurs3. Mais il est/possible, il est utile, il est, croyons-nous, nécessaire de remonter plus haut. Peut-on relever dans le Coran même des traces d'influences proprement esséniennes ? Quelques coups de sonde laissent entrevoir la richesse d'un terrain- dont l'exploration devrait être menée de pair par.un spécialiste des questions qoumrâniennes et par un ; islamologue averti4. On se limitera volontairement ici à une tradition essénienne dont on voudrait montrer qu'elle a été reprise par le Prophète. *.- Le point de départ de •- cette recherche est . fourni par ■ le Psaume 15K, Nul n'ignore que le Psautier hébreu* comprend; 150 psaumes.. La- version, grecque, dite des Septante, en- compte' 151. Ce Psaume 15rse trouve être aussi le premier, psaume d'une collection de cinq psaumes conservés en syriaque 1) Voir cependant A.. Sprenger, Das Leben und die Lehre des Mohammad2, Berlin, 1869,4. I, p. 18-21.. 2) R. de Vaux, A propos des manuscrits de la mer Morte, Revue biblique, 57, . 1050, p. 417-429. 3) E. Bammel, Hôhlenmenschen, ZeiUchrifl fur die neutestamentliche Wissen- schaft;4$; 1958, p. 77-88 ; P. Kahle, The Cairo Geniza2, Oxford, 1959, p. 24-25 ; N. Golb, Who were the Magârïya ?, Journal of the American Oriental Society, 80, 1960, p. .'547-359 ; The Qumran Covenanters and . the : Later Jewish Sects, The >~ .Journal of Religion, 41,. 1961, p. 3K-50. Sur un point différent, voir H. Nibley, . Oumran and « The Companions of the Cave », Revue de Qumran, 5, 1965, p. 177-198. 4) Jeme propose de mener cette recherche en collaboration avec mon collègue strasboursreois, T. Fahd. Signalons deux articles de E. F. F. Bishop, The Qumran. Scrolls and the Qur'an, The Muslim World, 48, 1958, p. 223-236 ; Qumran and the preserved/Tablet (s), Revue de Qumran, 5, 1965, p. 253-256. La portée des remarques de C. Rabin, dans ses Qumran Studies, Oxford, 1957, p. 112-130, est très amoindrie par son hypothèse paradoxale de l'origine pharisienne des textes de Qoumrân. UNE TRADITION ESSÉNIENNE DANS LE CORAN 145 et attribués à David. M. Dupont-Sommer voulut bien, en 1958, me suggérer de les étudier. Le caractère essénien de la collection m'apparut immédiatement. Dans un article publié quelques mois plus tard, j'apportais une démonstration de l'origine essénienne de ces psaumes dont je relevais les expressions typiquement qoumrûniennes1. En 1963, un jeune savant américain, .1. A. Sanders, publiait le texte hébreu du Psaume 1512, puis faisait connaître l'année suivante le texte hébreu du second et du troisième psaume do la collection syriaque, trouvés tous trois dans la onzième grotte de Qoumrân3. Cette découverte apportait une confirmation inespérée à la thèse que j'avais soutenue quelques années plus tôt. Il va de soi cependant que l'original des trois premiers psaumes étant maintenant connu, mon travail appelle, plusieurs retouches ou corrections. Le Psaume 151 posait un problème particulier. A le lire attentivement, tel qu'il nous avait été transmis en grec et en syriaque-, on n'y relevait rien, à la différence des quatre autres, qui rellétàt les conceptions mystiques de la secte et son vocabulaire si particulier. Je concluais : « Ce psaume n'a rien de typiquement essénien »4. Cette conclusion, parfaitement légitime à ne considérer que les textes grec et syriaque, doit cependant être écartée maintenant. L'original hébreu du Psaume 151 comporte, en elïet, un certain nombre de phrases qui sont absentes des versions grecque et syriaque, sans doute 1) M. Philonenko, L'origine essénienne des cinq psaumes syriaques «le David, Semilicn, IX, 1959, p. 35-48. 2) Ps. 1 Г>1 in 11 (JPSS*, Zeilschrifl fur die allleslamenlliche Wissenschafl, 7."., 1963, p. 73-*6. 3) Two Non-Canonical Psalms in 11 (JPsa*, Zeilschrifl fur die alteslamentliche Wissenschafl, 76, 1964, p. Г>7-7Г». On peut maintenant lire l'original hébreu «les trois psaumes dans l'édition définitive de Sanders, The, Psalms Scroll of Qumrân Cave 11, Oxford, НИ)!"). La publication du texte hébreu du Psaume 151 a suscité d'assez nombreuses études. Citons, entre autres, J. Carmignac, La forme poétique «lu Psaume 151 de la grotte 11, Revue de Oumran, 1, 1983, p. 371-378 ; \V. II. Broyvnlee, The 11 О Counterpart to Psalm 151, 1-5, Revue de Oumran, 4, 1963, p. 379-387; I. Raiunowitz, The Alleged Orphism <-f 11 QPss 28, 3-12, Zeilschrifl fur die. allleslamenlliche Wissenschafl, 78, 1964, p. 193-200. La plus importante est celle d'A. Dupont-Sommer, Le Psaume CLI dans 11 OPsa et le problème de son origine essénienne, Semilica, XIV, 1 984, p. 25-82. Nous citerons le Psaume 151 dans la traduction de ce savant. 4) M. Philomenko, L'oriirine essénienne «les cinq psaumes syriaques de David..., p. 37. 146 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS parce qu'elles avaient été volontairement retranchées de l'original hébreu par un copiste qui a fait œuvre de censeur. Ces phrases trouvent leur explication la meilleure dans l'origine essénienne du Psaume1. Que l'on nous permette de citer ici ce texte capital : « Alleluia ! De David, fils de Jessé. J'étais le cadet de mes frères et le plus jeune des fils de mon père. Et (celui-ci) fit de moi le pasteur de son troupeau et le chef de ses chevrettes. Mes mains fabriquèrent un instrument de musique et mes doigts, une lyre ; et je rendis gloire à Yahvé, m'étant dit, moi, en moi-même : « Les montagnes ne Lui rendent-elles pas témoignage ? Et les collines ne (Le) proclament-elles pas ? » Les arbres prisèrent mes paroles et le troupeau, mes poèmes. Car qui proclamera et qui célébrera et qui racontera les œuvres du Seigneur ? L'univers, Eloah le voit ; l'univers, Lui l'entend, et Lui prête l'oreille. Il envoya Son prophète pour m'oindre, Samuel pour me grandir. Mes frères sortirent à sa rencontre, eux qui avaient belle forme et bel aspect, qui étaient de haute taille, qui avaient de beaux cheveux : Yahvé Dieu ne les choisit point. Mais II envoya me prendre de derrière le troupeau, et II m'oignit de l'huile sainte, et II fit de moi le prince de Son peuple et le chef des fils de Son Alliance. » Montagnes et collines, arbres et troupeaux ! L'auteur du psaume qoumrânien s'inspire ici sans conteste d'un psaume canonique, le Psaume 148, 7-10 : « Louez Yahvé... Montagnes et uploads/Litterature/ rhr-0035-1423-1966-num-170-2-8412-pdf 1 .pdf

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