RICTUS ROMANTIQUES, Maxime Prévost Remerciements Pénombres du rire romantique I

RICTUS ROMANTIQUES, Maxime Prévost Remerciements Pénombres du rire romantique I. Gaieté perverse et rire de force II. Discours de la Méthode La philologie revisitée Topologie du topos Du personnage comme lieu commun De la source au rapprochement Hugo, ce méconnu Première partie. La gaieté perverse Chapitre I. Le monstre et le bourreau Han d’Islande (1823) Le choix du noir L’horreur de l’histoire Physiologie du monstre Physiologie du bourreau Chapitre 2. Le prêtre, le brigand et la foule Notre-Dame de Paris (1831) « Le livre le plus abominable jamais écrit » Physiologie du prêtre Physiologie du brigand Physiologie de la foule La foule, embryon du Peuple Chapitre 3. Le bouffon de cour Le Roi s'amuse (1832) La bataille du Roi s’amuse Destinées clownesques Physiologie du bouffon de cour Triboulet, le bouffon qui ne fait rire personne L’embryon du rire de force Deuxième partie. La tristesse des justes Chapitre 4. Le tyran, le soldat et le peuple Napoléon le Petit (1852), Châtiments (1853). Histoire d’un crime (1852-1877) Littérature et politique mêlées Les années 1852 et 1853 Physiologie du tyran Physiologie du soldat Physiologie du Peuple Chapitre 5. Le forçat, la fille de joie, le gamin et le policier Choses vues (posthume), Les Misérables (1862) L’horreur du présent Sue, Hugo et le peuple L’extension du domaine populaire L’année 1862 Physiologie du forçat Physiologie de la fille de joie Physiologie du gamin Physiologie du policier « Par le fait des lois et des mœurs » Troisième partie. Le rire de force Chapitre 6. Le Diable La Fin de Satan (posthume) Physiologie du Diable Métaphysique du rire satanique Politique du rire satanique Chapitre 7. L’écrivain William Shakespeare (1864) Le manifeste littéraire du XIXe siècle Physiologie de l’écrivain La formation du peuple Figures du sacre Contre-figures Ces « vérités pas bonnes à dire » Chapitre 8. Le saltimbanque et l’orateur L’Homme qui rit (1869) La grande cime Ode à la gaieté perverse Apothéose du rire de force Consentement de la victime et rébellion Physiologie du saltimbanque Physiologie de l’orateur Gwynplaine stoïcien Éloge de la mauvaise humeur De la gaieté perverse au rire de force Rire pour vrai Pour une topique historique Que peut la littérature ? Textes cités I. Œuvres de Victor Hugo II. Autres textes Index Les efforts de l'homme pour se procurer de la joie sont parfois dignes de l'attention du philosophe, écrit Victor Hugo dans L'Homme qui rit. Comme les autres romantiques, il fait pourtant peser un énorme soupçon sur le rire et sur la gaieté. Les rictus omniprésents sous sa plume et celle de ses contemporains appartiennent tant au sadisme qu'à la souffrance, tant au bourreau qu'à sa victime. Alors que notre époque se montre friande de bonne humeur, de fêtes, de festivals, Victor Hugo et ses contemporains des quatre coins de l'Europe jugent que la joie est mal à-propos, elle qui résonne au milieu des souffrances populaires. Il peut lui arriver de sourire ou de verser des larmes, mais le héros hugolien ne rit pas, sauf si on l'y oblige. Doit-on encore lire les romantiques aujourd'hui ? Oui, parce qu'ils nous rappellent qu'il faut résister à la dictature contemporaine de l'allégresse, du rire de force. Voilà pourquoi Rictus romantiques se termine par un « Éloge de la mauvaise humeur ». Pénombres du rire romantique On a toujours souffert ou on souffrira. Malheur aux insensés qui rient ! (Les Feuilles d’automne, XVII) Le jour naît en larmes. Les lumineux pleurent, ne fut-ce que sur les ténébreux. (Les Misérables, IV, 7, I) I. Gaieté perverse et rire de force Un nain grotesque, monstre errant, cruel et sanguinaire, frappe à la chaumière de la paysanne qui, vingt-quatre ans auparavant, a porté son enfant. Il vient lui apprendre la mort de ce fils. Femme, bois un coup à sa santé, lui dit-il, sortant de sous sa bure une coupe funèbre, chef-d’œuvre artisanal réalisé avec le crâne du fils défunt. Le monstre éclate d’un « rire funeste » (Han d’Islande, chap. XVI). Un prêtre maléfique s’éprend passionnément d’une bohémienne qui rejette ses avances. Il l’envoie à la potence. Saisi par l’énormité de son crime, il court frénétiquement jusqu’à ce que Paris soit loin derrière lui et, dans la solitude d’un champ désert, il sent éclater en lui un rire diabolique, rire qui retentit, effectivement, en des sonorités affreuses (Notre-Dame de Paris, IX, 1). Un bouffon de cour bossu, difforme, seul, ignoble et cruel se dissimule sous une cape noire pour visiter sa fille, laquelle loge secrètement dans une impasse déserte. Il pleure dans les bras de la jeune femme, ce qui, dit-il, le délasse de ses excès de rire nocturnes (Le Roi s’amuse, II, 3). Un certain 4 décembre, l’armée ouvre le feu sur le peuple ; les barricades sont démantelées, c’est la nuit. Vers les onze heures du soir, rapporte l’historien, le tyran permet à l’armée de s’amuser : fête nocturne sur le boulevard, au milieu des cadavres (Napoléon le Petit, III, 8). Quatre mille ans durant, Lucifer tombe dans l’abîme ; enfin, il se heurte à un roc et s’y agrippe. Pendant mille ans, il contemple, à une distance infinie, la lueur des étoiles. La foudre gronde dans les deux. Satan rit, crache du côté du tonnerre, et sa chute reprend de plus belle (La Fin de Satan, « Hors de la terre », I, 1). Une pauvrette, contrainte de laisser sa petite fille en pension chez des aubergistes sans scrupules, se fait ouvrière. Le couple ignoble la presse sans cesse de demandes pécuniaires. L’ouvrière apprend à rire. En riant, elle vend ses cheveux, puis ses dents, ce qui lui laisse un sourire sanglant. L’argent manque toujours : elle devient fille de joie (Les Misérables, I, V 10). Le fils d’un lord proscrit est vendu par le roi à une bande de gueux spécialisés dans la confection de monstres. Sur le visage de l’enfant, ils sculptent, in vivo, un rire horrible et éternel. Devenu grand, il se fait saltimbanque. Quiconque le voit est saisi d’un rire irrépressible. Un beau jour, la noblesse du saltimbanque est reconnue : il peut siéger à la Chambre des Lords. Il décide d’y devenir le porte-parole des faibles, des vaincus, des opprimés. Par un immense effort de volonté et de contorsion faciale, il arrive momentanément à masquer son rictus, mais, après avoir annoncé l’imminente révolution sociale, il s’oublie, et son rire horrible met le feu aux poudres : toute l’assemblée se tord d’un rire démentiel (L’Homme qui rit, II, VIII, 7). Cette galerie de personnages témoigne d’un phénomène obsédant à travers l’œuvre de Victor Hugo : le rire noir, le rire pervers ou factice. Ce rictus romantique prend sa véritable ampleur si l’on constate qu’il préoccupe non seulement Hugo, mais bien tout un siècle d’écrivains. On songe aux Nachtstücke allemands, au roman historique de Walter Scott, à ces univers peuplés de bouffons, de clowns, d’êtres difformes et hilares (le veilleur de nuit de Bonaventura, le Flibbertigibbet de Kenilworth, le Wamba d’Ivanhoe). L’exemple de Baudelaire vient aussi à l’esprit, lui qui, dans Le Peintre de la vie moderne, compare le rire du dandy au sourire de l’enfant lacédémonien mordu par un renard caché sous son manteau ; dans De l’essence du rire, il évoque le destin tragique de Melmoth, dont le « rire est l’explosion perpétuelle de sa colère et de sa souffrance1 ». Dans l’introduction à son histoire de la Renaissance, Michelet considère le XVe siècle comme celui de la « fausse gaieté » et des « entreprises préméditées et travaillées » pour faire rire le peuple2. À ces exemples, il faudrait ajouter ceux de Musset3, Mérimée4, Lautréamont5, Dickens6 et Zola7, pour ne nommer que ces auteurs. Bakhtine l’avait observé, les romantiques ont manifesté une profonde méfiance à l’égard du rire, leur carnavalesque procédant plutôt de l’anéantissement que du ressourcement8. L’œuvre de Hugo annonce en quelque sorte les analyses de Bakhtine, car il y est bien question d’un « avant », c’est-à-dire d’une période d’innocence où le rire était libérateur, et d’un « maintenant », où il n’est plus possible de rire sans arrière-pensée. Bien sûr, chez Hugo, toute réflexion à caractère historique annonce un futur autre, si bien qu’on peut croire que le rire « de maintenant », pour sombre et pervers qu’il soit, est symptomatique d’une libération future, le prodrome d’une révolution nécessaire. Cet avant lumineux du rire s’opposant à un maintenant noir comme nuit ne se manifeste jamais plus clairement que lorsque Hugo réfléchit sur la portée du rire rabelaisien. « Rabelais, c’est le masque formidable de la comédie antique détaché du proscénium grec, de bronze fait chair, désormais visage humain et vivant, resté énorme, et venant rire de nous chez nous et avec nous9. » On voit clairement le gouffre séparant ce « masque formidable », « de bronze fait chair », et le masque de Gwynplaine (l’« homme qui rit »), cauchemardesque sculpture faciale, signe de déclassement social, manifestation d’une domination aussi sadique qu’inique. Le rire rabelaisien est unificateur, Rabelais riant de lui, de nous, des autres, mais « chez nous et avec nous uploads/Litterature/ rictus-romantiques-monstrul-bufonul-diavolul.pdf

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