Cahiers d'études hispaniques médiévales Stratégies du paratexte dans les œuvres
Cahiers d'études hispaniques médiévales Stratégies du paratexte dans les œuvres de don Juan Manuel Olivier Biaggini Citer ce document / Cite this document : Biaggini Olivier. Stratégies du paratexte dans les œuvres de don Juan Manuel. In: Cahiers d'études hispaniques médiévales. N°35, 2012. pp. 195-232; doi : 10.3406/cehm.2012.2281 http://www.persee.fr/doc/cehm_1779-4684_2012_num_35_1_2281 Document généré le 02/06/2016 Résumé Cet article considère les stratégies du paratexte dans les oeuvres de don Juan Manuel selon deux perspectives complémentaires. D’une part, il tente d’examiner l’évolution formelle des prologues manuélins afin de montrer qu’ils élaborent une figure de l’auteur qui occupe une place de plus en plus centrale dans l’énonciation et dans la rhétorique de justification du projet littéraire. Au sein de cette évolution, il semble qu’un pas décisif soit franchi lorsque l’auteur, s’émancipant du modèle d’écriture alphonsin, adopte la fiction comme principe de composition de ses oeuvres (du Libro del cavallero et del escudero au Conde Lucanor), comme si ce principe de distanciation favorisait l’émergence d’une voix propre. D’autre part, l’article suggère que l’affirmation énonciative et rhétorique de l’auteur va de pair avec un transfert – d’abord ponctuel, ensuite plus massif – des fonctions du paratexte au texte proprement dit : de façon de plus en plus nette, le corps du texte intègre des discours réflexifs et accueille en son sein la figure semi-fictionnelle de don Johán, vers laquelle convergent diverses stratégies d’autolégitimation de l’acte d’écriture. Dans les oeuvres les plus tardives (Libro infinido, Libro de las armas) qui, loin des oeuvres fictionnelles précédentes, se dotent d’une véracité testimoniale, tout l’effort rhétorique se concentre sur cette figure du moi, dont le pouvoir énonciatif se fonde sur une expérience personnelle et une continuité lignagère providentielles. Resumen Este artículo contempla las estrategias del paratexto en las obras de don Juan Manuel desde dos perspectivas complementarias. Por una parte, intenta examinar la evolución formal de los prólogos manuelinos con el fin de mostrar que elaboran una figura autorial que va ocupando un lugar cada vez más central en la enunciación y en la retórica de justificación del proyecto literario. Dentro de esta evolución parece que se da un paso decisivo cuando el autor, librándose del modelo de escritura alfonsí, adopta la ficción como principio compositivo de sus obras (del Libro del cavallero et del escudero al Conde Lucanor), como si este principio de distanciamiento favoreciese la emergencia de una voz propia. Por otra parte, el artículo sugiere que la afirmación enunciativa y retórica del autor corre parejas con un traslado – puntual al principio, y luego más intenso – de las funciones del paratexto hacia el texto propiamente dicho : de forma cada vez más nítida, el cuerpo textual va integrando discursos reflexivos y va acogiendo en su seno la figura semificcional de don Johán, hacia la cual convergen diversas estrategias de autolegitimación del acto de escritura. En las obras más tardías (Libro infinido, Libro de las armas) que, alejándose de las obras ficcionales precedentes, ostentan una veracidad testimonial, todo el esfuerzo retórico se concentra en esa figura del yo cuyo poder enunciativo estriba en una experiencia personal y una continuidad linajística providenciales. CAHIERS D’étUDES HISPANIQUES MéDIéVALES, no 35, 2012, p. 195-232 Stratégies du paratexte dans les œuvres de don Juan Manuel Olivier biaggini Université Sorbonne-Nouvelle – Paris III LECEMO / CREM résumé Cet article considère les stratégies du paratexte dans les œuvres de don Juan Manuel selon deux perspectives complémentaires. D’une part, il tente d’examiner l’évolution formelle des prologues manuélins afin de montrer qu’ils élaborent une figure de l’auteur qui occupe une place de plus en plus centrale dans l’énonciation et dans la rhétorique de justification du projet littéraire. Au sein de cette évolution, il semble qu’un pas décisif soit franchi lorsque l’auteur, s’émancipant du modèle d’écriture alphonsin, adopte la fiction comme principe de composition de ses œuvres (du Libro del cavallero et del escudero au Conde Lucanor), comme si ce principe de distanciation favorisait l’émergence d’une voix propre. D’autre part, l’article suggère que l’affir- mation énonciative et rhétorique de l’auteur va de pair avec un transfert – d’abord ponctuel, ensuite plus massif – des fonctions du paratexte au texte proprement dit : de façon de plus en plus nette, le corps du texte intègre des discours réflexifs et accueille en son sein la figure semi-fictionnelle de don Johán, vers laquelle convergent diverses stratégies d’autolégitimation de l’acte d’écriture. Dans les œuvres les plus tardives (Libro infinido, Libro de las armas) qui, loin des œuvres fictionnelles précédentes, se dotent d’une véracité testimoniale, tout l’effort rhétorique se concentre sur cette figure du moi, dont le pouvoir énonciatif se fonde sur une expérience personnelle et une continuité lignagère providentielles. resumen Este artículo contempla las estrategias del paratexto en las obras de don Juan Manuel desde dos perspectivas complementarias. Por una parte, intenta examinar la evolución formal de los prólogos manuelinos con el fin de mostrar que elaboran una figura autorial que va ocupando un lugar cada vez más central en la enunciación y en la retórica de 196 OLIVIER BIAGGINI justificación del proyecto literario. Dentro de esta evolución parece que se da un paso decisivo cuando el autor, librándose del modelo de escritura alfonsí, adopta la ficción como principio compositivo de sus obras (del Libro del cavallero et del escudero al Conde Lucanor), como si este principio de distanciamiento favoreciese la emergencia de una voz propia. Por otra parte, el artículo sugiere que la afirmación enunciativa y retórica del autor corre parejas con un traslado –puntual al principio, y luego más intenso – de las funciones del paratexto hacia el texto propiamente dicho: de forma cada vez más nítida, el cuerpo textual va integrando discursos reflexivos y va acogiendo en su seno la figura semificcional de don Johán, hacia la cual convergen diversas estrategias de autolegitimación del acto de escritura. En las obras más tardías (Libro infinido, Libro de las armas) que, alejándose de las obras ficcionales precedentes, ostentan una veracidad testimonial, todo el esfuerzo retórico se concentra en esa figura del yo cuyo poder enunciativo estriba en una experiencia personal y una continuidad linajística providenciales. Si le paratexte configure un espace qui, de façon à la fois concrète et sym- bolique, entoure le texte, on pourrait dire aussi que cet espace le surplombe, car c’est depuis le paratexte, notamment depuis les seuils du texte que sont les prologues ou les épilogues, que le lecteur est invité – parfois directement par la voix de l’auteur – à contempler le texte, à observer sa construction ou à comprendre ses fonctions. Toutefois, ce point de vue sur le texte n’est jamais neutre et, comme tout point de vue, il sélectionne, oriente et, dans une certaine mesure, fait exister ce qu’il y a à voir. L’adjonction d’un para- texte est toujours stratégique. Une de ses fonctions, au-delà de ses aspects pratiques de mise en contexte, de présentation de la matière ou d’attri- bution à un auteur, est de faire exister le texte d’une certaine façon plutôt que d’une autre. Les paratextes ne déterminent pas seulement un espace, mais déploient aussi une généalogie du texte, le dotant d’un avant (relatif à son origine, à sa composition, à son auteur) et d’un après (en offrant des représentations de sa cible, de sa réception, de son interprétation). Dans le cas de l’œuvre foisonnante de don Juan Manuel, il n’est pas difficile de se rendre compte que le paratexte sert autant à garantir le texte qu’à promouvoir la figure de son auteur et les partis pris qui sont les siens. Ses prologues sont le lieu d’une affirmation de soi toujours plus impérieuse. Quant au célèbre prologue général, écrit au terme de cette production, il fixe la liste des œuvres complètes de l’auteur et, par ailleurs, on sait quel procédé il préconise pour remédier à la corruption à laquelle les copistes ne manqueront pas de les soumettre : dans ce prologue, don Juan Manuel affirme avoir préparé un volume approuvé par lui qui pourra servir de version de référence en cas de doute dans la lecture de tel ou tel passage d’un manuscrit de ses œuvres. Si, dans les prologues de ses pre- mières œuvres, don Juan Manuel ne se considère pas pleinement comme un auteur, le prologue général témoigne au contraire d’un souci de garder un contrôle sur la postérité du texte et d’en fixer la lettre comme s’il était un texte canonique. STRATÉGIES DU PARATEXTE CHEZ DON JUAN MANUEL 197 La critique a souvent souligné que cette mise en scène de l’auteur est liée à un rapport atypique de don Juan Manuel à l’auctoritas. Alors que la plupart des écrivains médiévaux affirment leur propre discours et leur propre figure en s’appuyant sur les auctoritates, dont ils peuvent utiliser ou détourner le prestige à leur profit, l’originalité littéraire de don Juan Manuel serait liée à une valorisation de son expérience individuelle, ce qui invite à rechercher dans ses textes les traces d’une « subjectivité litté- raire », notion mal définie qui risque de limiter l’analyse à l’approche bio- graphique1. Pour ma part, je préfère une approche qui procède à uploads/Litterature/ biaggini-strate-gies-du-paratexte-dans-les-oeuvres-de-don-juan-manuel.pdf
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- Publié le Sep 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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