Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques Archives 3 | 1989 Varia Rire au

Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques Archives 3 | 1989 Varia Rire au Moyen Age Jacques Le Goff Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ccrh/2918 DOI : 10.4000/ccrh.2918 ISSN : 1760-7906 Éditeur Centre de recherches historiques - EHESS Édition imprimée Date de publication : 15 avril 1989 ISSN : 0990-9141 Référence électronique Jacques Le Goff, « Rire au Moyen Age », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques [En ligne], 3 | 1989, mis en ligne le 13 avril 2009, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ ccrh/2918 ; DOI : 10.4000/ccrh.2918 Ce document a été généré automatiquement le 19 avril 2019. Article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle. Rire au Moyen Age Jacques Le Goff 1 Au moment de commencer à parler d'une enquête sur le rire au Moyen Age, une première crainte me saisit. Voltaire en effet a écrit : « Les hommes qui cherchent des causes métaphysiques au rire ne sont pas gais ». Mais je ne cherche pas des causes métaphysiques au rire. Je m'efforce de chercher, et en particulier au Moyen Age, quelles ont été les attitudes de la société, les prises de position théoriques à l'égard du rire, et comment le rire, sous ses diverses formes, a fonctionné dans la société médiévale. 2 Je voudrais persuader le lecteur que le rire est un vrai sujet de réflexion, et en particulier, qu'il relève d'une étude historique. J'espère justifier une première observation, très générale, mais qu'il ne faut pas passer sous silence sous prétexte de banalité : le rire est un phénomène culturel. Selon les sociétés et les époques, les attitudes à l'égard du rire, les pratiques du rire, les objets et les formes du rire, ne sont pas les mêmes, changent. Le rire est un phénomène social. Il requiert au minimum deux ou trois personnages réels ou supposés : celui qui fait rire, celui qui rit, celui dont on rit, très souvent aussi celui ou ceux avec qui on rit ; c'est une conduite sociale qui suppose des codes, des rites, des acteurs, un théâtre ; je dirais même que c'est le seul point qui me paraît intéressant dans l'étude, par ailleurs extrêmement décevante, de Bergson sur le rire ; mais il a, et parfois avec des formules heureuses, insisté sur cet aspect social du rire, et Freud a marqué sur ce point la convergence de ses théories avec la pensée de Bergson. En tant que phénomène culturel et social, le rire doit avoir une histoire. Je me vois donc contraint d'amener le lecteur vers le sérieux du rire, et j'ai ici aussi mes autorités. En 1983, l'américain Morreall a publié un livre stimulant, qui s'intitule : En prenant le rire au sérieux1. Et, tout récemment, l'italien Ceccarelli a publié Le rire et le sourire2, ouvrage dans lequel, après avoir rappelé que toute explication du risible tue le rire et que la mort du rire est préoccupante, car le rire est source de plaisir, il entreprend une longue enquête au terme de laquelle il affirme : « Sur l'importance du sourire et du rire, de quelque point de vue qu'on les considère, il est très difficile d'avoir des doutes ». Il ajoute, de manière très perspicace, que la façon dont beaucoup de gens trouvent futile une étude du rire et du sourire, fait partie intégrante du problème de la nature et de la fonction du rire et du sourire. J'évoquerai enfin le Russe Alexandre Herzen qui, il y a plus d'un siècle, remarquait : « Il Rire au Moyen Age Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 3 | 1989 1 serait extrêmement intéressant d'écrire l'histoire du rire ». Ce que je voudrais faire ici, c'est esquisser une problématique de l'histoire du rire dans l'Occident médiéval. 3 Je commencerai, parce que je crois que ceci peut expliquer les orientations en même temps d'ailleurs que les faiblesses et les lacunes de ce que je veux vous proposer, par l'histoire de cette recherche. D'où m'en est venue l'idée, quels sont les motivations et les objectifs de cette recherche ? Je ferai ensuite un inventaire des problèmes qui se sont posés au cours de cette recherche, et qui définissent ses principales orientations. Je dois dire que j'en suis à un stade encore exploratoire de ce sujet. Ce n'est pas une captatio benevolentiae : mes amis et moi en faisons un objet de séminaire commun, et beaucoup dans ce séminaire ont déjà apporté, soit au niveau de la réflexion théorique, soit au niveau de la documentation, des contributions très intéressantes. Je traiterai enfin d'un point plus particulier, à titre d'exemple, que j'ai pu analyser déjà d'une manière relativement approfondie : le rire monastique, risus monasticus, dans le haut Moyen Age. Je poserai également quelques jalons pour une histoire de l'évolution des attitudes à l'égard du rire et des formes du rire, et de la place du rire dans la société médiévale, de l'Antiquité tardive à la Renaissance. Préhistoire et objectifs de la recherche 4 Une étude sur l'histoire du rire doit être construite, me semble-t-il, sur deux versants. C'est là une distinction fondamentale : les démarches, la méthode, les problématiques, et d'abord la documentation, sont différentes sur l'un et l'autre versant, celui des attitudes à l'égard du rire d'une part, celui des manifestations du rire de l'autre. On pourrait dire, de façon traditionnelle : « théorie et pratique du rire ». Sur le premier point, il est relativement facile de rassembler les textes plus ou moins théoriques, disons normatifs, qui, non seulement, expriment des attitudes à l'égard du rire, mais donnent des recommandations sur les façons de rire ; on s'aperçoit, comme pour les manières de table, qu'il y a toute une série de textes sur les manières de rire. C'est peut-être à l'égard de ces textes que nous sommes le mieux armés. Quant au problème de la pratique du rire, il est beaucoup plus difficile. Là encore, on a affaire, me semble-t-il, à deux sous-ensembles ; il y a, d'une part, les textes qui mentionnent la présence de rires, de formes du rire, d'une façon tout à fait limitée, ponctuelle : ainsi dans une chronique où l'on voit un personnage se mettre à rire. Essayer de capter tous ces rires est une chose importante pour une enquête de ce genre, mais on voit tout de suite quelle « pêche à la ligne » cela représente. Il y a, d'autre part, l'énorme domaine de ce que l'on appelle le comique ; la difficulté ici est très différente, parce qu'elle va être de transformer une problématique du comique en une problématique du rire, mais, bien entendu, sans faire disparaître la spécificité de ce concept du comique, ni la spécificité des textes qui expriment ce comique ; c'est-à-dire que l'on considère, d'une part, l'ensemble des textes qui jugent le rire et, de l'autre, l'ensemble des textes qui cherchent à faire rire. Ce sont des choses différentes, et l'un des grands problèmes de cette recherche se manifeste déjà : problème d'hétérogénéité des documents, de la problématique, des concepts, et l'une des grandes incertitudes est de savoir s'il y a un sujet unificateur derrière tout cela. Je dois encore dire que d'un côté, on rencontre une histoire des valeurs et des mentalités, et de l'autre, des représentations littéraires et artistiques ; une histoire du rire et du faire rire. Donc, un premier grand problème : celui des articulations très complexes entre ces quatre domaines – valeurs, mentalités, moeurs et esthétique du rire. Une seconde remarque préliminaire : même si Rire au Moyen Age Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 3 | 1989 2 les catégories du rire sont nombreuses, et si le comique d'un mot n'est pas la catégorie la plus importante de ce qui fait rire, il faut noter ici l'importance des mots et du langage ; heureusement, l'historien est ici mieux armé. Nous avons appris depuis assez longtemps à regarder du côté du langage, du côté du vocabulaire, du côté de la sémantique, mais nous nous heurtons ici encore au très petit nombre d'études sérieuses, intelligentes dans ce domaine. Enfin, il y a le problème du véhicule linguistique, auquel se heurte toujours le médiéviste : il faut mener l'enquête dans le domaine du latin et dans celui des langues vernaculaires. Cette seconde enquête est d'autant plus importante qu'il me semble qu'on a mieux ri en langue vernaculaire qu'en latin, pour toutes sortes de raisons très intéressantes. Si l'un des gros handicaps pour traiter ce sujet est précisément sa diffusion, son hétérogénéité, son éparpillement, par ailleurs tout cela permet de toucher à beaucoup de thèmes fondamentaux de la période historique que l'on étudie. Vont paraître dans quelques mois les actes d'un colloque qui s'est tenu il y a deux ans à Montréal sur le plurilinguisme dans l'Occident médiéval ; il y a là des textes importants. L'un des thèmes que nous retrouvons ici, ce sont les possibilités d'expression des différentes langues employées au Moyen Age, et en particulier du latin par rapport aux langues vernaculaires. Des études très précises d'excellents uploads/Litterature/ rire-au-moyen-age.pdf

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