REVUE DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE ET DE LEURS APPLICATIONS INDUSTRIELLES FONDÉE SO
REVUE DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE ET DE LEURS APPLICATIONS INDUSTRIELLES FONDÉE SOUS LA DIRECTION SCIENTIFIQUE • DE P. SCHUTZENBERGER Secrétaire de la Rédaction: A. BROCHET, Docteur ès Sciences DEUXIEME ANNEE 1897-1898 PARIS LIBRAIRIE DE SCIENCES GENERALES 53, BUE MONSIEUR-LE-PRINCE DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE ET DE LEURS APPLICATIONS INDUSTRIELLES SOMMAIRE DU N° I H. Moissan : L'Université Je Chicago. A. Hébert el Zettel : L'éducation scientifique et industrielle. P. Lebeau : Nouvelles expériences sur la liquéfaction du fluor. Revues Mensuelles : Physique. — Chimie. — Applications industrielles. — Chronique. — Brevets. L'UNIVERSITÉ DE CHICAGO 1 Par M. H ENRI MOISSAN, membre de l'Académie des Sciences MESSIEURS, Le conseil de l'Université de Paris m'a fait l'honneur de me choisir pour le représenter aux fêtes du sesquicentenaire de l'Université de Princeton. A cette occasion, j'ai visité les principaux centres d'ins- truction des Etats-Unis. Ayant eu le plaisir, antérieurement, d'offrir l'hospitalité, dans mon laboratoire, à un professeur de Chicago, M. Lengfeld, je tenais beaucoup à étudier cette Université en voie de formation. Je voudrais aujourd'hui vous exposer rapidement com- ment cette grande école a été créée. Il y avait une fois, à l'Université de Yale, près New-Haven, un professeur de langues hébraïques nommé Harper. Cet homme, qui avait beaucoup voyagé, et qui connaissait bien les établissements d'instruction de son pays, avait la prétention de fonder la plus grande Université des États-Unis. Sans cesse, il poursuivait cette pensée, s'enfermant en elle, et lui donnant le meilleur de son intelligence. Son idée devint une idée fixe et, ce qu'il y avait de plus grave, c'est qu'il raisonnait parfaitement 1 Lu dans la séance publique annuelle des Cinq Académies du lundi 2o oc- tobre 1897, Revve de phys. et de chimie. 1 2 MOISSAN son cas. Il prétendait, ce professeur d'hébreu, qu'une Université, vraiment digne de ce nom, devait présenter certaines qualités parti- culières. Il voulait, par exemple, la séparation complète de l'ensei- gnement supérieur et de l'enseignement secondaire, ce qui ne se fait pas souvent aux États-Unis. Tous ses professeurs (car déjà il les voyait en rêve) devaient faire avancer la science par leurs travaux. Il posait, en principe, que l'on n'est un professeur d'enseignement supérieur qu'à la condition d'avoir fait des voyages heureux dans ces terrains vierges si profonds, qui se rencontrent sur le front de chaque science. Il croyait que la jeunesse aurait plus de confiance en ceux qui avaient payé de leur personne, dans ces voyages d'exploration, qu'en ceux qui se contentent de parler des horizons qu'ils n'ont jamais contemplés. Il prétendait qu'un professeur d'enseignement supérieur n'a pas rempli tout son devoir lorsqu'il a fait un certain nombre de cours et d'examens, et que, s'il n'a pas aidé au progrès de la science qu'il enseigne, il est incapable d'en inspirer l'amour à la jeunesse. M. Harper avait encore une autre marotte. Il voulait que la science fût active, qu'elle sortît de ce terrain égoïste et inexpugnable où cer- tains esprits veulent la maintenir. Il prétendait que la science était utile par ses applications et par l'augmentation de lumière qu'elle peut donner. 11 voulait que son Université, non seulement attirât des élèves de partout, mais encore s'étendît au dehors. Il tenait àmodir fier et à diriger des mouvements d'idées, par la conférence, par le journal scientifique et par le livre. Quand il eut bien étudié la question, quand il l'eut retournée sous toutes ses faces, il résolut de passer de la théorie à l'action et, en véritable Américain du Nord, il ne perdit pas une minute. Il se rendit à Chicago, où il rencontra une bonne fée du nom bar- bare de Rockefeller, à laquelle il raconta ses rêves. La bonne fée, après s'être fait expliquer toutes choses par le menu, entra dans les idées du professeur d'hébreu et, d'un premier coup de baguette, lui donna 3 millions de francs pour jeter les fondements de son Université. Cette bonne fée, comme ses sœurs d'Amérique, était essentielle- ment pratique; elle mit à ce .premier cadeau deux conditions (c'est toujours de cette façon qu'agissent les fées) : la première, c'est que M. Harper serait président de la nouvelle Université, et la seconde ) c'est que les habitants de Chicago fourniraient parallèlement une somme de 2 millions pour édifier des laboratoires. L'UNIVERSITÉ DE CHICAGO 3 Le bon exemple est contagieux; tout le monde sait cela et s'en gare. A Chicago, l'esprit d'imitation est très développé. Dans ce milieu ■essentiellement américain, c'est-à-dire très pratique et absorbé par les affaires, on comprit tout de suite l'importance et l'intérêt d'une haute culture intellectuelle. Un M.. Marshall Field offrit un terrain d'une valeur de 625.000 francs. Un M. Kent prit à ses frais la construction du labo- ratoire de chimie ; les autres suivirent, et, en moins de trente jours, la somme fut réunie. Ceci se passait en mai 1889. La bonne fée Rockefeller fut si contente que, d'un second coup de baguette, elle mit à la disposition de M. Harper cinq nouveaux mil- lions, toujours à la petite condition que les habitants de Chicago doubleraient la somme ou à peu près. Tous les grands industriels de Chicago, voulant avoir une université, fournissent la somme demandée. Ce deuxième versement est de septembre 1890, et ce petit jeu, en partie double, se continue avec la même mise, en février 1892, en décembre 1892, et ainsi de suite, de sorte que M. Rockefeller avait promis, fin décembre 1895, la bagatelle de 38.500.000 francs, et les habitants de Chicago 25 millions. Le professeur d'hébreu se frottait les mains, car il voyait son rêve se réaliser. Vous pensez peut-être que l'on a attendu que MM. les architectes aient fini leurs constructions pour appeler les professeurs et les élèves. Ce n'est pas comme cela que l'on opère à Chicago. M. Har- per, qui avait passé par plusieurs universités et qui était très versé dans les choses de l'enseignement, savait aussi qu'il faut battre le fer pendant qu'il est chaud. Il se disait qu'il est bon de ne pas lais- ser refroidir l'enthousiasme, même américain. Il avait donc appelé, aussitôt les cinq premiers millions versés, des professeurs de diffé- rents points des Etats-Unis. Il a pris un physicien par ici, un pro- fesseur d'histoire par là, il a fait venir de très loin un chimiste ou un théologien. Et, si un professeur hésitait, refusait d'aller à Chi- cago, il avait une façon tout originale de le convaincre : il doublait, il triplait son traitement. A la fin, le professeur cédait devant de si bons sentiments et venait s'installer à Chicago. Il créait d'abord son laboratoire, et il commençait ses cours. Comme, au début, aucun bâtiment n'existait, on s'est casé où l'on a pu, car les élèves arrivaient sur ce chantier en même temps que les professeurs. On a loué quelques maisons ; les chimistes se 4 MOISSAN sont mis à l'hôtel, tout un étage leur était réservé. Je ne sais si toutes les préoccupations chimiques à odeurs plus ou moins mau- vaises n'ont pas suscité bien des difficultés de la part de l'hôtelier. Mais qu'importe ! l'Université est fondée, les élèves surviennent ; les cours, les conférences, les travaux pratiques s'organisent et, pendant ce temps, les dons continuent à affluer, et les bâtiments se. construisent autour d'un vaste campus planté d'arbres. Tout marchait avec rapidité et cependant avec ordre. M. le prési- dent Harper, qui cumulait les fonctions de directeur, de recteur, de doyen et de professeur, était dans son' cabinet tous les jours à quatre heures du matin. L'enseignement des langues vivantes, du latin, du grec, de la théologie, de l'hébreu et de la littérature fut de suite organisé. À son début, l'Université ne comprend pas le droit, la médecine et les beaux-arts. Patience, elle enseignera tout cela plus tard. Puis vinrent les mathématiques, la physique et la chimie. Enfin, au fur et à mesure que les laboratoires se construisirent, on donna l'essor à l'anatomie, à la zoologie, à la botanique, à la géolo- gie et à la paléontologie. Un observatoire d'astronomie fut fondé à 80 milles de Chicago. On vient de l'inaugurer le mois dernier. Auprès de chaque chaire furent attachés des professeurs adjoints et des assistants. Un gymnase, des bibliothèques furent créés. Pendant ce temps, comme on s'occupe beaucoup dans ce pays de la vie matérielle des jeunes gens, on construisit, grâce toujours à de nouveaux dons, des maisons d'étudiants, gaies, saines, bien aérées et bien éclairées. Ajoutez à cela que l'Université s'est rattachée, sur leur demande, un certain nombre d'établissements d'enseignement secondaire dont elle surveille les cours et les programmes. C'est une excellente façon de se préparer de bons élèves pour l'avenir. Ajoutez encore les con- férences, les cours payants du soir faits par des professeurs et rétri- bués spécialement par l'Université. Ces cours ont un public de vingt-cinq auditeurs. Ajoutez encore les sociétés, savantes et litté- raires, les journaux et les publications régulières de l'Université, au nombre d'une dizaine au moins, et vous serez d'avis que le président Harper a bien mérité les 50.000 francs qui lui sont alloués tous uploads/Litterature/ rpc-1897-1898-01.pdf
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- Publié le Jan 18, 2022
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