LA QUESTION DE L'« ABANDON » ET DES INÉGALITÉS DANS LES PREMIERS CYCLES À L'UNI

LA QUESTION DE L'« ABANDON » ET DES INÉGALITÉS DANS LES PREMIERS CYCLES À L'UNIVERSITÉ Romuald Bodin, Mathias Millet Éditions du Croquant | « Savoir/Agir » 2011/3 n° 17 | pages 65 à 73 ISSN 1958-7856 ISBN 9782914968959 DOI 10.3917/sava.017.0065 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2011-3-page-65.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions du Croquant. © Éditions du Croquant. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Romuald Bodin, IUFM de Poitou- Charente, Groupe de recherches et d’études sociologiques du Centre-Ouest (GRESCO), Mathias Millet, Université de Poitiers, GRESCO La question de l’« abandon » et des inégalités dans les premiers cycles à l’université l es premiers cycles universitaires se caractérisent par un taux d’évaporation particulièrement élevé en première année au regard des autres cursus possibles dans l’ensei­ gnement supérieur. On peut en effet considérer que chaque année 25 % des étudiants inscrits en première année de licence ne s’y réinscrivent pas l’année suivante. Globalement, ces dernières années, cela n’a été le cas que de 9 % des étu- diants en STS, 14 % en IUT et 20 % en CPGE1. Cette situation est le plus souvent interprétée comme un dysfonctionnement de l’université (qu’il s’agisse de dénoncer un manque de moyens, la mauvaise orientation des bache- liers ou de supposer le trop faible engagement des ensei- gnants-chercheurs). On voudrait au contraire montrer que loin d’un dysfonctionnement, il s’agit là d’un effet structurel. Celui-ci renvoie à la situation spécifique des premiers cycles dans l’espace plus général de l’enseignement supérieur et, par voie de conséquence, au rôle qu’ils y tiennent : à savoir celui d’un espace tampon, de régulation des flux successifs de bacheliers dans le sens d’un maintien des hiérarchies sociales et scolaires, c’est-à-dire des inégalités sociales face aux possi- bilités d’ascension par les études (en quelque sorte, contre ou malgré la massification de l’enseignement supérieur). L’ « échec dans les premiers cycles » : un concept écran En 2008, Valérie Pécresse, alors ministre de l’Enseigne- ment supérieur et de la recherche, justifiait la mise en place du Plan licence2 par l’existence d’un « échec inacceptable » à l’université. Dans son Plan pluriannuel pour la réussite en licence, le document d’orientation du ministère (MESR, 2008) précise en effet que, en première année, « 52% [des étudiants] échouent (30% redoublent, 16% se réorientent, 6% abandonnent leurs études) ». Dossier © Éditions du Croquant | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 185.41.96.27) © Éditions du Croquant | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 185.41.96.27) 66 savoir/agir Dossier La question de l’« abandon » et des inégalités dans les premiers cycles à l’université 3.  On pense, par exemple, aux nombreux travaux réalisés dans le cadre de l’OVE (Observatoire de la vie étudiante). 4.  R. Bodin, L’abandon en première année de licence à l’université de Poitiers, Rapport final, SAFIRE/ GRESCO (EA 3815), Université de Poitiers, 2009. M. Millet, G. Moreau, Sociographie des étudiants de première année de l’UFR Sciences humaines et art, année 2008, Rapport d’enquête pour l’UFR SHA, Université de Poitiers, GRESCO. 5.  C’était le cas de 35 % des étudiants qui ne se sont pas réinscrits après une première année en sciences du vivant à Poitiers en 2006-2007, de 35 % des étudiants non réinscrits en psychologie et de 32 % des étudiants en sociologie – mais aussi de 40% des étudiants en STAPS. 6.  L’entrée dans les établissements de formation au travail social implique (pour préparer les diplômes de niveau III : éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants, assistants de service social, etc.) la réussite à un concours accessible à partir du baccalauréat. Or si cette condition semble indiquer que l’entrée dans ces formations se fait majoritairement à 18 ou 19 ans, l’âge moyen d’obtention du concours est en réalité bien supérieur : 80 %, par exemple, des entrants en formation d’éducateur spécialisé avaient en 2005 entre 21 et 35 ans. Ce fait est aussi bien connu des formateurs qui sélectionnent et recherchent souvent consciemment des recrues On s’aperçoit dans ce rapport, comme dans beaucoup d’autres, que les auteurs tendent à désigner par « échec » tout retard, toute réorientation et toute sortie du système univer- sitaire. Or un tel agrégat ne va pas de soi. Il suffit de faire le tour de quelques travaux sociologiques concernant l’hétéro- généité du monde étudiant3 pour se rendre compte que sont ainsi regroupées des situations qui ne sont pas comparables. Par exemple, l’arrêt d’études d’un étudiant salarié pour des raisons économiques est assimilé à la non-réinscription d’un étudiant en médecine ayant échoué à son concours d’entrée. L’« échec » aux examens d’un étudiant investi par ailleurs dans la préparation d’un concours de la fonction publi- que est traité comme la non-réinscription d’un étudiant qui, entré à l’université en position d’attente, trouve un emploi stable lui permettant d’accéder à son indépendance écono- mique. Il en va de même avec la bifurcation en cours d’année d’un étudiant placé temporairement sur les listes d’attente de la formation de son choix, de la sortie du système univer- sitaire d’un étudiant salarié quinquagénaire en reprise d’étu- des « pour le plaisir » ou encore de l’arrêt d’un étudiant par accumulation de mauvais résultats scolaires. Mais plus encore, et au-delà de cette hétérogénéité, parler d’« échec » (y compris, par exemple, en distinguant diverses formes d’échec) a-t-il seulement un sens ? Là encore, rien n’est moins sûr. Par exemple, pour de nombreux étudiants désignés comme « décrocheurs », l’inscription dans un pre- mier cycle universitaire constitue une propédeutique à des formations futures hors université au sein desquelles ils n’auraient sans doute pu « s’épanouir » autrement4. C’est le cas d’étudiants qui, le plus souvent inscrits en sciences du vivant, en psychologie ou en sociologie, passent par ces for- mations pour accéder à des écoles spécialisées, généralement dans le social ou le paramédical5. Pour ces étudiants, l’uni- versité fait alors fonction d’école préparatoire. Ils s’inscri- vent en faculté avec le projet d’entrer le plus rapidement pos- sible dans une école mais ont le sentiment de devoir encore se préparer au concours qui en sanctionne l’entrée en amé- liorant leurs connaissances dans telle ou telle discipline ou, plus simplement, comme c’est souvent le cas pour les écoles de travailleurs sociaux, en attendant de vieillir de quelques années pour paraître et se sentir plus « matures »6. D’une certaine façon, ces étudiants détournent l’offre universi- taire. Ils se l’approprient comme un lieu de préparation de leur avenir professionnel où l’obtention d’un diplôme n’est pas une priorité. En ce sens, l’université joue son rôle, fût-ce © Éditions du Croquant | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 185.41.96.27) © Éditions du Croquant | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 185.41.96.27) savoir/agir 67 Dossier La question de l’« abandon » et des inégalités dans les premiers cycles à l’université plus « matures », que des candidats eux-mêmes qui, dès lors, préfèrent passer une ou deux années à l’université en attendant que leurs chances de réussite au concours soient plus élevées. Pour une analyse de la sélection à l’entrée des écoles pour éducateurs spécialisés : R. Bodin, « Les signes de l’élection. Repérer et vérifier la conformation des dispositions professionnelles des élèves éducateurs spécialisés », Actes de la recherche en sciences sociales, n°178, 2009. 7.  Ces chiffres proviennent d’une enquête réalisée par la Service des Études, de l’Évaluation et de la Prospective de l’université de Poitiers sur le devenir des étudiants non réinscrits (SEEP, 2008). 8.  V. Isambert-Jamati, « Quelques rappels sur l’émergence de l’échec scolaire comme “problème social” dans les milieux pédagogiques français », in E. Plaisance, (dir.), L’Échec scolaire, nouveaux débats, nouvelles approches sociologiques, Paris, CNRS, 1984. malgré elle, d’encadrement, de formation et d’accompagne- ment des nouveaux bacheliers vers un avenir professionnel. De ce point de vue, parler sans plus de précautions, à l’image de la doxa institutionnelle, de l’« échec dans les pre- miers cycles universitaires », c’est s’interdire par avance de saisir la réalité de ce qui se joue dans ces premiers cycles. Pour prendre un exemple plus concret, lorsque l’université de Poitiers annonce, uploads/Litterature/ sava-017-0065 1 .pdf

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