REVIEW ARTICLE/ ARTICLE DE COMPTE RENDU À PROPOS DES ÉLÉMENTS LATINS DE L’ALBAN

REVIEW ARTICLE/ ARTICLE DE COMPTE RENDU À PROPOS DES ÉLÉMENTS LATINS DE L’ALBANAIS* L’importance du fonds latin dans le vocabulaire albanais est bien connu. Un travail de synthèse comme celui de LANDI, qui se propose en premier lieu de décrire systématiquement l’évolution phonétique des emprunts latins en albanais ainsi que de déterminer l’influence latine sur la morphologie albanaise, pourrait donc être très utile1. Le livre, dont l’auteur nous dit qu’il est basé sur son cours de linguistique de l’année académique 1987-1988, est divisé en trois chapitres d’étendue très inégale. Le premier chapitre (p. 25-130) contient une discussion détaillée du traitement des voyelles et des consonnes latines en albanais. Il est suivi d’un chapitre plus court (p. 131-156) où sont examinées l’intégra- tion des emprunts latins dans la morphologie albanaise et l’influence, jugée assez importante par l’auteur, que le latin a exercée sur la mor- phologie nominale et verbale de l’albanais. Dans un dernier chapitre, de trois pages seulement (p. 157-159), intitulé assez improprement «Lessi- cologia», sont énumérés quelques dérivés et composés latins empruntés (ou supposés tels, cf. ci-dessous) en albanais. Après la bibliographie (p. 161-165) et un index des mots latins (p. 167-172), l’auteur a encore inséré un appendice intitulé «Nuovi elementi latini nella lingua alba- nese» (p. 173-177), où elle étudie les emprunts latins qui figurent dans un vocabulaire italien-albanais de 17102. Commençons par quelques observations d’ordre général. Ce qui étonne tout de suite, quand on parcourt le livre, c’est que souvent les * À propos de: Addolorata LANDI, Gli elementi latini nella lingua albanese. Corso di lezioni universitarie (Pubblicazioni dell’Università degli Studi di Salerno. Sezione di studi filologici, letterari e artistici, 14), Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 1989, 186 p. — Nous tenons à remercier Pierre SWIGGERS, qui a lu une première version de cet article et à qui nous devons plusieurs observations intéressantes. 1 La dernière synthèse systématique et détaillée de l’évolution phonétique des éléments latins en albanais ainsi que des éventuels emprunts morphologiques de l’albanais au latin était celle de MEYER - MEYER-LÜBKE (1904-06). Les études de ÇABEJ (1962), HAARMANN (1972) et autres avaient un but différent ou plus restreint. 2 Cet appendice semble être identique à l’article au même titre paru dans Historische Sprachforschung (LANDI 1989). mots albanais ne sont pas cités dans la forme qu’ils ont dans la langue littéraire standardisée d’aujourd’hui, mais sous des formes dialectales variées, le plus souvent sans qu’on puisse y déceler un principe3. Ainsi, à côté de la forme standard këmbë (p. 48), on trouve kémbë (p. 47) et kambë/kam/kembë (p. 115) «pied, jambe». Il n’y a aucun système non plus dans la notation des consonnes finales sonores, qui se sont assour- dies dans certains dialectes: pourquoi l’auteur note-t-elle par ex. d’une part qint/qind «cent» (p. 51), mënd/-t «raison, pensée, mémoire» (p. 55), mais d’autre part shkëmp et shkam/shkâmb/shëmbë [sic] «rocher, roc» (p. 48 resp. p. 142), mënt/ment (p. 146)4? Un peu plus d’uniformité aurait été souhaitable ici. Certes, on comprend que l’auteur a puisé dans différentes sources, et il est évidemment permis d’utiliser des données dialectales dans un ouvrage comme celui-ci, mais, dans ce cas, le lecteur aurait au moins souhaité des indications sur la provenance des formes citées. Il arrive aussi que l’auteur signale différents traitements phoné- tiques d’un même son sans donner aucune information sur la distribution dialectale de ces traitements5. Et s’il est certainement utile d’indiquer la place de l’accent dans les mots polysyllabiques, on se demande quelle pourrait être la fonction de cette pratique dans les monosyllabes (par ex. fé «foi» ou kryq «croix»)6. Mais il y a pire: il serait vraiment impossible de donner ici la liste complète des interprétations contestables, voire manifestement erronées, qu’on rencontre à presque chaque page du livre. Nous nous limiterons donc à en relever quelques-unes qui sont aptes à illustrer la méthode de l’auteur. Examinons d’abord dans le premier chapitre les pages consacrées aux différents traitements du : accentué latin en albanais7. 428 H. SELDESLACHTS 3 Ces formes ont été prises de façon plus ou moins arbitraire dans divers dictionnaires et lexiques dialectaux. Que l’auteur ait consulté divers ouvrages lexicographiques, cela ressort de son affirmation que pour l’indication de l’accentuation «le parole sono state riportate secondo le norme dei diversi dizionari citati nella bibliografia» (p. 8). 4 Les formes de la langue littéraire sont qind, shkëmb, mend. 5 Ainsi, quand à côté de la conservation de lat. fl- en albanais, une évolution lat. fl- > fj- est mentionnée (p. 103), le lecteur peut présumer qu’il s’agit là d’un développement dialectal, mais rien n’est précisé à ce propos. — Il faut également constater que non seu- lement les inconséquences (cf. encore, p. 114, guègue râna «sable» [forme déterminée] cité à côté de tosque rërë [forme indéterminée]), mais aussi les fautes d’impression ne sont pas rares dans les exemples cités (par ex. kendój pour këndój «chanter» (p. 40), shégjetë pour shëgjétë «flèche» [p. 58], däm au lieu de dëm «dégât, dommage, perte» [par deux fois, p. 94 et 115]). 6 Remarquons d’autre part que l’auteur n’est pas conséquente dans l’indication de cet accent et l’omet quelquefois même dans les polysyllabes. 7 En principe, nous reprendrons dans notre texte la graphie de l’auteur tant pour les mots albanais (même si elle diffère de l’orthographe officielle) que pour les étymons latins (on observera que l’auteur ne note pas de façon conséquente la longueur vocalique). - Guègue mókënë, tosque mókërë «meule», qu’on considère d’habi- tude (depuis THUMB 1909: 16)8 comme un des rares emprunts albanais au grec ancien (cf. dor. ma¯xana¯´), est rattaché à lat. MACHINA par LANDI, qui interprète le o surprenant en albanais comme «un caso di labializza- zione spontanea» (p. 27, avec n. 2)9; pour cette étymologie latine on peut renvoyer maintenant aux nouveaux arguments de DI GIOVINE (1988: 151- 161)10, qui tente aussi de justifier le fait étonnant que le k ne se soit pas palatalisé en q devant le i suivant11. - Après avoir longuement rendu compte des autres tentatives d’expli- cation (p. 29-38)12, l’auteur explique de sa part le e des substantifs en -tet (< lat. -TATE) comme résultant d’une «palatalizzazione di A > e in sillaba libera» (p. 38). Or, si une telle règle de palatalisation spontanée existe, pourquoi l’auteur ne s’en sert pas pour expliquer les cas de mré- kull «miracle» (< MIRACULU), rép «radis» (< RAPU), shélk «saule» (< «SALICU»13, sur cette prétendue forme latine v. ci-dessous n. 52), pour lesquels elle invoque une règle phonétiquement invraisemblable : > e «per influsso di -u» (p. 45)? Mais il est clair que la palatalisation spon- tanée á > e en syllabe ouverte est un mirage, comme le prouvent des mots comme kunát «beau-frère» (< COGNATU), shpatull «épaule» (< SPA- TULA) et beaucoup d’autres. - Contrairement à l’opinion généralement admise selon laquelle alb. mbret «roi, souverain, monarque» vient de lat. IMPERATOR, l’auteur prétend qu’une telle forme n’aurait pu donner que *mbërdur en albanais, en vue de ljépur/lepur de lat. LEPORE «lièvre» (p. 41), et finit par en conclure que mbret est plutôt «voce mediata dal d[aco]r[omeno] împarát (parát)» (p. 44; cf. aussi p. 145). Or, ce raisonnement est incompréhen- sible: le -a- accentué du latin ne pouvait disparaître en albanais et est en fait représenté dans ce mot par -e-, quelle que soit l’explication de ce trai- tement14; pour la disparition de la syllabe -or on peut renvoyer à roum. À PROPOS DES ÉLÉMENTS LATINS DE L’ALBANAIS 429 8 L’auteur ne semble pas connaître cet article. En tout cas, il ne se trouve pas dans la bibliographie. 9 L’auteur a peut-être trouvé cette idée chez MEYER (1891 [1982]: 285) (cf. aussi MEYER - MEYER-LÜBKE 1904-06: 1042 n. 2). 10 Cet article important ne figure pas dans la bibliographie. Sans doute a-t-il paru trop tard pour que l’auteur en ait pu encore prendre connaissance. 11 L’opinion de l’auteur (cf. p. 112), selon laquelle lat. -CH(I)- apparaît comme alb. -k-, tandis que -C(I)- a donné -q-, est à écarter, puisque la langue populaire latine ne conservait pas les aspirées dans les emprunts grecs (cf. aussi it. macina et le verbe rou- main a macina «moudre»). 12 On pourrait y ajouter maintenant l’explication de KLINGENSCHMITT (1992: 103 n. 26; cf. aussi 1993), qui part d’un nominatif *-tatis (pareillement qen «chien» est expli- qué par *kanis). 13 À remarquer que la variante shélq (de SALICE) est considérée bel et bien comme un cas de á > e en syllabe ouverte! 14 Une explication possible est donnée par KLINGENSCHMITT (1981: 111 avec n. 36 p. 129; 1993), qui pense que lat. tardif *imperato(r) avait donné *êmpe˛ráto en proto-alba- nais; le mot serait ainsi passé aux thèmes en -n- et le -e- de mbret reposerait sur la géné- ralisation du -e- métaphonique des formes avec *-en- (pl. g. mbretën, t. mbretër < *êmpe˛ráten-è˛h). împarat «empereur»15. Le cas de ljepur «lièvre», invoqué comme paral- lèle par l’auteur, est tout à fait différent (lat. lépus, acc. léporem vs imper0tor, acc. imperat3rem; cf. aussi roum. iepure «lièvre» en face de împarat). En outre, l’évolution phonétique de uploads/Litterature/ seldeslachts-1993.pdf

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