Une introduction à la Set-Theory Les concepts à la base des théories d’Allen Fo

Une introduction à la Set-Theory Les concepts à la base des théories d’Allen Forte et de David Lewin1 Cet article se propose d'introduire les concepts de base de la Set-Theory aussi bien dans l'approche « classique » d'Allen Forte que dans les développements récents de la théorie « transformationnelle » de David Lewin.2 Malgré l'abondance de publications autour de la Set-Theory dans les Universités et les centres de recherche Nord-américains, cette approche reste souvent peu connue en Europe dans ses principes de base. Un Colloque International, intitulé « Autour de la Set-Theory » se déroulera à l'Ircam dans le cadre du Festival Résonances (15-24 octobre 2003) sous l'égide de la Société française d’analyse musicale et en collaboration avec les Universités de Princeton, de Columbia et de Washington. Afin de préparer le lecteur aux sujets qui seront abordés à cette occasion, nous avons cherché à résumer dans les pages qui suivent certains des concepts majeurs de ces approches analytiques, en laissant toute évaluation critique aux débats qui ne manqueront pas d’animer le colloque. Depuis les années soixante, la recherche théorique en musique s’est penchée sur des questions de formalisation des structures musicales. Des compositeurs / théoriciens tels que Milton Babbitt aux Etats-Unis, Iannis Xenakis en Europe et Anatol Vieru en Europe de l'Est, ont été les premiers à proposer certaines formalisation, non seulement comme moyen de renouvellement de la composition, mais aussi comme point de départ pour des applications analytiques nouvelles. Les idées et les outils proposés par ces derniers ont trouvé leur véritable dimension musicologique à l'intérieur de démarches analytiques qui ont pris le nom, aux Etats-Unis, de Set-Theory. Dans leur expression la plus élémentaire ces théories proposent un protocole d’écriture sous forme symbolique des collections de notes (accords, agrégats, profils mélodiques etc.) considérées par l’analyste comme formant des unités pertinentes au sein de l’œuvre étudiée. Cette écriture facilite par la suite la mise en relation de ces collections via des concepts d’inclusion, de complémentarité et de transformation (pris, dans chaque cas, dans un sens spécifique relativement étendu). La première partie de cet article sera consacrée à une introduction à quelques-uns de ces concepts. Au-delà des similitudes de surface, essentiellement liées à la dimension formelle commune à ces approches, certaines différences fondamentales séparent, par exemple, la démarche analytique de Forte de celle inaugurée par Lewin à partir des années quatre-vingt. Afin de donner un aperçu de ces différences, une dernière partie présentera quelques aspects plus spécifiques concernant les « stratégies analytiques » sous-jacentes à chacune de ces approches. Tout au long de ces pages nous nous appuierons sur des exemples issus d’analyses de Forte et de Lewin de la quatrième des Cinq pièces pour orchestre Op. 10 (1913) d'Anton Webern et d’une analyse de Lewin du Klavierstück III (1954) de Karlheinz Stockhausen. Précisons que nous ne prétendons absolument pas restituer ces analyses dans leur intégralité. Les extraits 1 Nous remercions la Société française d'analyse musicale et la revue Musurgia d'avoir sollicité cet article qui nous donne l'occasion de présenter dans une perspective plus générale quelques-uns des outils théoriques liés à la Set-Theory qui avaient été présentés lors du Premier Congrès Européen d’Analyse Musicale à Colmar en 1989 (voir [Deliège, 1989]; [Forte, 1989]; [Mesnage, 1989]). Cet article est dédié à la mémoire de David Lewin (1933-2003). 2 [Forte, 1973], [Lewin, 1987]. utilisés auront pour unique but d’illustrer les concepts introduits et nous renvoyons le lecteur intéressé aux textes originaux. Écriture symbolique et représentation d’éléments musicaux Classes de hauteurs et ensembles de classes de hauteurs Toute analyse appliquant les principes de la Set-Theory se fonde sur la notion de Classe de Hauteur (pitch class). Les classes de hauteurs (CH) permettent de représenter les hauteurs de la gamme chromatique du tempérament égal via une double simplification. Les différentes écritures enharmoniques d’une même hauteur ainsi que l’octave à laquelle celle-ci apparaît ne sont en effet pas exprimées. Stricto sensu, il n’existe donc que douze CH distinctes : de Do jusqu’à Si, sans distinction entre, par exemple, Do# et Réb, ni entre un Do grave ou un Do aigu. Pour des raisons de commodité qui apparaîtront plus loin, les classes de hauteurs sont écrites sous forme numérique3 : le zéro correspond au Do, le 1 au Do# et ainsi de suite jusqu’au 11 qui correspond à Si (voir figure 1).4 Figure 1 : Les douze Classes de Hauteurs 3 D’un point de vue formel, les classes de hauteurs peuvent être exprimées en terme de classes de congruence modulo 12. Par définition deux nombres sont congruent modulo 12 si leur différence est un multiple entier de 12. Certaines opérations sur les CH peuvent ainsi être traduites par des relations algébriques opérant directement sur les classes de congruence, grâce à la structure sous-jacente de groupe cyclique Z/12Z. Notons que l’introduction de la notion de congruence à été appliquée à la théorie de la musique dès le XIXe siècle par Durutte [Durutte 1855]. La structure de groupe a pour sa part été mise en évidence indépendamment par des théoriciens / compositeurs tels Babbitt, Xenakis, Barbaud, Vieru etc. Ceci montre bien que certaines des idées à la base de la Set-Theory n’ont pas émergé uniquement au sein de ce que l’on appelle communément la « tradition américaine ». Voir à ce sujet [Verdi 1998] et [Mazzola 2003]. 4 Le choix de l’emplacement de l’origine est tout à fait arbitraire. Certains théoriciens ([Babbitt,1961], [Perle,1962]), ont traité cet aspect et proposé des systèmes à origine variable (moveable-DO systems). Dans la pratique le 0 est cependant, par convention, identifié avec la note Do. Le problème de la construction d'un système musical indépendant de l'origine, et de ses conséquences sur la notion d'intervalle entre classes de hauteurs a été développé dans [Lewin, 1977]. Remarquons qu’en Europe on retrouve les mêmes préoccupations chez Iannis Xenakis, dont la formalisation des échelles à travers la théorie des cribles permet de conserver l'indépendance du système musical vis-à-vis de toute origine [Xenakis, 1965]. L’Ensemble de Classes de Hauteurs (ECH) correspondant à une collection de notes, c’est-à- dire à un accord, agrégat ou extrait mélodique sélectionné par l’analyste, n’est autre que la liste des CH présentes dans cette collection, sans considération ni de l’ordre ni de la fréquence d’apparition. Le nombre d’éléments d’un ECH, également appelé la cardinalité de l’ensemble, est donc toujours compris entre un et douze. Un ECH est exprimé sous forme numérique entre accolades5. L’accord de Do majeur s’écrit donc {0, 4, 7} et la gamme par ton sur Do# s’écrit {1, 3, 5, 7, 9, 11}. Figure 2 : Deux hexacorde de l’Op.10 no 4 de Webern Une analyse appliquant les principes de la Set- Theory commence donc typiquement par la transcription sous forme d’ECH des groupes de notes considérées comme formant des unités au sein de l’œuvre étudiée. Les critères régissant le sectionnement sont, pour une grande part, laissés au soin de l’analyste. Le fait qu’on attende de ce dernier qu’il soit en mesure de motiver ses choix n’efface pas les problèmes que peut soulever cette étape. La rigueur formelle et la généralité des outils de la Set-Theory contraste avec une mise en application particulièrement sensible aux spécificités de l’œuvre et aux buts que se fixe l’analyste.6 L’exemple ci-dessous reprend l’analyse par Forte de l’Op. 10 no 4 de Webern.7 Les deux hexacordes suivants sont sélectionnés : A = {0, 1, 2, 6, 8, 9} et B = {3, 4, 5, 7, 10, 11}. Avant de discuter plus avant les caractéristiques des ECH, mentionnons la possibilité de visualiser ces derniers à l’aide de la représentation géométrique portant le nom évocateur d’horloge des classes de hauteurs (pitch class clock). Il s’agit d’un cercle divisé, tel une horloge, en douze sections égales. Le Do (c’est-à-dire le 0) est au sommet (à midi), le Do# à une heure et ainsi de suite jusqu’au Si, à onze heures. Un ECH peut ainsi être représenté par des points 5 La notation que nous adoptons diffère quelque peu de celle utilisée dans la Set-Theory. Les ECH sont généralement notés entre crochets, notation que nous introduirons plus bas avec la notion d’ECH abstrait. Pour ce qui concerne la terminologie en général, nous nous conformerons aux traductions proposées dans les articles parus dans la revue Analyse Musicale et au glossaire des termes analytiques contenus dans la version française de l'ouvrage Analysis de Ian Bent et Willian Drabkin ([Bent & Drabkin, 1998]). 6 Nous renvoyons le lecteur à la discussion de cette question dans [Forte 1973 p. 89] et à l’échange Deliège / Forte [Deliège 1989 p. 68], [Forte 1989 p. 81]. 7 [Forte, 1973 ; 89]. placés sur les nombres correspondant aux CH qu’il contient et réunis par des segments de droites (voir Figure 2). Comme nous allons voir plus loin, cette représentation facilite l’assimilation de certaines des transformations communément appliquées aux ECH.8 Figure 3 : L’horloge des CH Classes d’intervalles et contenu intervallique d’un ECH Au concept de CH s’ajoute celui, similaire, de classes d’intervalles (interval class). Les classes d’intervalles (CI) ne sont autres que les intervalles musicales classiques représentés numériquement uploads/Litterature/ set-theory-complet.pdf

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