Mélanges Claude MOUSSY, Bibliothèque d’Études Classiques, éd. Peeters, 1998, p.
Mélanges Claude MOUSSY, Bibliothèque d’Études Classiques, éd. Peeters, 1998, p. 219-228. De la synonymie entre noms propres : quelques cas latins Christian NICOLAS, Université de Lyon, Université Jean Moulin - Lyon 3 Le titre de notre contribution est paradoxal. On sait en effet que le nom propre est un désignateur rigide1 qui, en tant que tel, est en marge des catégories linguistiques : servant à référer à un individu (personne ou lieu) du monde extra-linguistique, il est en lui-même dépourvu de sens et n’est donc théoriquement pas sujet aux accidents qui affectent habituellement les autres parties du discours, à savoir la polysémie, l’homonymie, la synonymie. Il intéresse depuis longtemps les logiciens et, depuis environ deux décennies, les linguistes2, malgré sa spécificité en tant que catégorie grammaticale. Nous nous proposons d’apporter ici même notre pierre à l’édifice, en étudiant le degré de synonymie qui affecte les énoncés du type X appellatur Y, où X et Y sont tous les deux des noms propres et où Y est autonyme3. Le nom propre présente la singularité d’être le stéréotype même de la désignation métalinguistique. En effet, à côté d’emplois en usage, dans lesquels le nom propre représente bien son référent (Claude Moussy a été professeur à Paris-X), il est également plus facilement attiré que d’autres parties du discours dans des énoncés en mention, où il est sui-référentiel, comme dans : Cet ex-professeur de Paris-X se nomme Claude Moussy. Dans le second cas seulement il sera considéré comme autonyme. Il n’a pas en effet de référent et ne vaut qu’en tant que signifiant stable dépourvu de tout équivalent sémantique : si l’on compare 1) Victor Hugo est né en 1802 et 2) L’auteur des Misérables s’appelle Victor Hugo on voit à l’œuvre le comportement logique différent du nom propre selon qu’il est en usage (phrase 1) ou en mention (phrase 2). Dans l’énoncé 1, on peut remplacer le nom propre par L’auteur des Misérables ou par toute autre description définie équivalente : L’auteur des Misérables est né en 1802. En revanche, aucune description définie ne peut remplacer le nom propre en mention de la phrase 2 : *L’auteur des Misérables s’appelle l’auteur des Misérables (ou …*s’appelle le père d’Adèle Hugo, etc.). Ces phrases sont réputées agrammaticales. Au contraire, une phrase telle que 3) L’auteur des Misérables s’appelle Claude Moussy constitue un énoncé acceptable, car derrière le verbe s’appeler on attend un nom propre en mention, fût-il le lieu d’une contre-vérité manifeste. La question que nous comptons donc poser est la suivante : est-il possible de concevoir un 1 Terminologie de S. KRIPKE, La logique des noms propres, op. cit., p. 37. 2 Sur le nom propre en général (qui est un sujet à la mode des années 1980-90), sur sa valeur référentielle ou non-référentielle, sur la distinction nom propre linguistique/nom propre logique, cf. les rappels qui sont faits dans F. RECANATI, La transparence et l’énonciation, op. cit., et dans M. WILMET, "Pour en finir avec le nom propre ?", op. cit. Pour de plus amples renseignements, cf. les ouvrages cités de S. KRIPKE, G. KLEIBER, K. JONASSON, et M.-N. GARY-PRIEUR. 3 Une question encore plus difficile, apparemment, et tout à fait “moussienne”, consisterait à se demander dans quelle mesure et jusqu’à quel point un nom propre peut être tenu pour l’antonyme d’un autre. Mais si l’on admet la synonymie dans les noms propres, rien ne paraît pouvoir empêcher d’y trouver également de l’antonymie, avec au moins les mêmes réserves. hal-00327451, version 1 - 8 Oct 2008 Manuscrit auteur, publié dans "MOUSSYLLANEA, Mélanges de linguistique et de littérature anciennes offerts à Claude Moussy, B. Bureau & C. Nicolas (Ed.) (1998) p. 219-228" Christian NICOLAS 220 énoncé bien constitué qui contienne deux noms propres en rapport de prédication, dont l’un au moins soit autonyme (type X s’appelle Y ou peut-être plus généralement Le nom X est le nom Y4), qui soit conforme à la logique ou à ce que les logiciens et certains linguistes appellent la grammaticalité et qui ne puisse être réputé faux ? Car si X s’appelle X, comment peut-il aussi s’appeler Y ? Plusieurs situations de parole peuvent justifier un tel présupposé. En voici un échantillon qui ne prétend pas à l’exhaustivité. a) X=Y dans deux synchronies différentes (Paris / Lutèce) ; équivalent latin possible : Romulus / Quirinus ; on est en droit d’imaginer que dans cette situation le verbe autonymisant est au perfectum lorsqu’il s’agit de caractériser le terminus a quo du change- ment de nom dans un récit (Romulus Quirinus nominatus est : “à compter de ce jour, R. fut appelé Q.” ; dans ce cas, le thème de la phrase est logiquement le nom le plus ancien), à l’infectum passé pour caractériser l’état antérieur (Tunc Quirinus Romulus nominabatur : “à l’époque Q. s’appelait R.” ; dans ce cas, le thème de l’énoncé est le nom le plus récent, comme dans le vers de Cyrano “Roxane en jupons courts s’appelait Madeleine”), et seulement dans des circonstances exceptionnelles d’énonciation au présent/futur de l’infectum : il faut, dans cette situation, supposer que l’énoncé est concomitant de l’acte de baptême lui-même : Nunc Romulus nominatur (nominetur, nominabitur) Quirinus, “Désormais, R. s’appelle(ra) Q.” (“Désormais, Simon, tu t’appelleras Pierre”). Dans chacune de ces phrases-types, le choix du temps et des éventuelles marques temporelles lexicales (nunc, tunc) est prédéterminé par le fait que les deux noms ne cohabitent pas dans la même personne au même moment, mais se succèdent et se trouvent dans un rapport d’exclusion mutuelle. A ce titre, il est faux de dire que X=Y : il faut dire que X(t1)=Y(t2), puisque l’équivalence concerne des synchronies distinctes, non pas nécessairement immédiatement successives (l’appellation Petersbourg ne succède pas directement à Petrograd, ni à Saint- Petersbourg), mais en tout cas sans recoupement. Romulus, dès lors, est seulement la partie humaine et mortelle ante divinitatem, Quirinus la partie divine post mortem du même individu5. Cette fausse équivalence (en réalité Y remplace X) peut se schématiser de la sorte : b) X=Y dans un contexte sociologique ou stylistique différent : Mitterrand était surnommé Tonton ; équivalent latin : Mamurra / Mentula ou Clodia / Lesbia chez Catulle. Il s’agit, on le voit, d’équivalences qui ne sont pas du même registre : Tonton, tout en faisant une allusion satirique au népotisme mis en place par un ancien chef de l’état, est un surnom hypocoristique de type populaire ; Mentula est une grossiéreté fondamentale dont le caractère cacophémique prétend rejaillir sur Mamurra ; Lesbia (comme Delia par rapport à Plania), au contraire, poétise et ennoblit le nom de Clodia en lui donnant une dimension culturelle très 4 Cf. à cet égard la note 1 de l’Avertissement des traducteurs de S. KRIPKE, La logique des noms propres, op. cit. : “en ce qui concerne les identités exprimées par des phrases qui ne contiennent pas le signe “ = ”, une divergence apparaît entre l’anglais et le français. En anglais, on peut exprimer l’identité de A et de B en disant “A est B”. En français, une telle formulation n’est pas idiomatique : on dira peu facilement “Ajar est Romain Gary” ou “Marcus Tullius est Cicéron””… 5 Cf. LIV. 1, 15, 6. X Y t1 t2 hal-00327451, version 1 - 8 Oct 2008 DE LA SYNONYMIE ENTRE NOMS PROPRES : QUELQUES CAS LATINS 221 élitiste. Dans tous ces cas, le surnom est stylistiquement décalé du nom standard. En outre, il ne prétend pas le remplacer. Le nom préexiste et continue d’exister, alors que le surnom, ou même les surnoms éventuels, sont des créations occasionnelles et qui n’ont pas vocation à l’éternité. Par exemple, les diminutifs donnés au tout petit enfant (P’tit Gibus, Poil de Carotte, Galinette…), théoriquement, disparaissent avec le temps6. Toutefois, il peut arriver que certains de ces sobriquets hypocoristiques se fixent durablement et finissent par s’intégrer à l’appellation officielle : c’est par exemple le cas avec le surnom Caligula, “bottine”7. Dans ces premiers exemples cités, le sobriquet ne prétend pas ressembler phonétiquement au nom8. Mais il arrive aussi fréquemment9 que le surnom s’établisse par calembour sur le nom : qu’on songe aux Juppettes du premier gouvernement d’Alain Juppé ou au surnom que le Canard Enchaîné a réservé à Jacques Chirac (“Le Chi”), depuis telle déclaration très sociale. En latin, un exemple fameux est donné par Suétone lorsqu’il rappelle le sobriquet-jeu de mots dont fut affublé Tibère : Tiberius Claudius Nero était déformé en Biberius Caldius Mero (Tib. 42)10. Mais, que le surnom soit un calembour ou non, il est faux de dire que X=Y. En effet, s’il semble que l’on puisse écrire en latin aussi bien 4) Mamuura uocabatur Mentula que 5) Mentula uocabatur Mamurra, il ne faut pas se laisser abuser par l’apparente identité de la forme verbale : en 4 le passif est extrinsèque et peut admettre un complément d’agent (a Catullo), mais en 5 le passif est intrinsèque et n’admet pas d’agent. L’énoncé 4 se traduit “Mamurra était appelé Mentula (par Catulle)”, l’énoncé 5 se traduit “Mentula s’appelait (en réalité) Mamurra”. On peut comparer avec des tours uploads/Litterature/ synonymienompropre.pdf
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- Publié le Fev 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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