Shakespeare peut-il nuire à la Société du spectacle? François Promotrice: Daphn
Shakespeare peut-il nuire à la Société du spectacle? François Promotrice: Daphné D'Heur Heuse 2019 Conservatoire Royal de Bruxelles Un jour. Un jour, bientôt peut-être. Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers. Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche. Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler. D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînement « de fil en aiguille ». Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier. A coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables. Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille. Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter. Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime. Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité. clown, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance. Je plongerai. Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert à tous ouvert à moi-même à une nouvelle et incroyable rosée à force d’être nul et ras… et risible… Henri Michaux, « Peintures » (1939,) in L’espace du dedans De la difficulté d'écrire une biographie à Guy Debord Guy Debord et ses complices de l'Internationale Situationniste (fondée en 1957 par lui-même, 5 ans après avoir créé l'Internationale Lettriste) travaillent, puisque "l'art est mort", à faire de leur propre vie une œuvre d'art. D'où la difficulté de présenter les personnages sans noircir trois volumes de leurs diverses frasques et provocations. (...)ce qui a sans nul doute marqué ma vie entière, ce fut l'habitude de boire, acquise vite. Les vins, les alcools et les bières ; les moments où certains d'entre eux s'imposaient et les moments où ils revenaient, ont tracé le cours principal et les méandres des journées, des semaines, des années. Deux ou trois autres passions ont tenu à peu près continuellement une grande place dans cette vie. Mais celle-là a été la plus constante et la plus présente. Dans le petit nombre des choses qui m'ont plu, et que j'ai su bien faire, ce qu'assurément j'ai su faire le mieux, c'est boire. Quoique ayant beaucoup lu, j'ai bu davantage. J'ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent; mais j'ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent. Je peux me compter parmi ceux dont Baltasar Gracián, pensant à une élite discernable parmi les seuls Allemands - mais ici très injuste au détriment des Français, comme je pense l'avoir montré -, pouvait dire : « Il y en a qui ne se sont saoulés qu'une seule fois, mais elle leur a duré toute la vie. -Guy Debord, Panégyrique Le communisme, c'est le voyage au bout de la nuit pendant la grève générale -Guy Debord, à 18 ans, en 1949 En 1966, des étudiants de l'université de Strasbourg en collaboration avec l'Internationale Situationniste publient un pamphlet, intitulé: De la misère en milieu étudiant considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier. En 1967, deux livres sortent. Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations, de Raoul Vaneigem (à droite sur la première photo) et La Société du spectacle, de Guy Debord. Les deux auteurs sont membres de l'Internationale Situationiste (j'utiliserai l'acronyme I.S. pour en parler désormais). En 1968, Guy Debord et d'autres situationnistes occupent l'université de Nanterre, des situationnistes sont à l'origine du Conseil pour le Maintien Des Occupations à la Sorbonne, ils sont présents sur les barricades rue Gay Lussac et alentours, où ils sévissent avec un autre groupe nommé "Les Enragés" (en référence à un célèbre groupe de sans-culottes actif pendant la révolution française). Sur les murs, des références aux deux livres cités plus haut fleurissent partout dans Paris. Comme la conclusion du bouquin de Vaneigem: Ceux qui parlent de révolution et de lutte de classes sans se référer explicitement à la vie quotidienne, sans comprendre ce qu'il y a de subversif dans l'amour et de positif dans le refus des contraintes, ceux-là ont dans la bouche un cadavre. ou Vivre sans temps mort et jouir sans entraves revendiqué par Debord. Dans les lettres à son ami H.F., écrites à la fin de son adolescence, il est à l'affût de ce qui pourrait lui permettre de vivre, de vivre enfin, pris qu'il est par le sentiment d'être séparé de sa propre existence. Sentiment qui le mènera à l'écriture de La Société du spectacle, et surtout des Commentaires sur La Société du spectacle, qui nous intéresseront dans le cadre de cette recherche. L'avenir, nous saurons peut-être en faire notre maison. Malgré l'écoulement horrible du temps passé à ne rien faire (ou presque) je crois que la vie peut commencer brusquement. -Guy Debord, Lettre à Hervé Falcou, 1951 La Société du spectacle (Thèse numéro 1 de La Société du spectacle, qui est une succession de 221 thèses) En reprenant la théorie sur l'aliénation de Marx où ce dernier l'avait laissée, Debord dans La Société du spectacle, avance que l'idéologie de la production et de la consommation capitalistes a colonisé non seulement la relation que le prolétariat entretient avec son propre travail, mais tous les aspects de la vie courante. En 1967, dès la période d'après-guerre, la production de biens de consommation courante, de design d'intérieur ou de la mode prêt-à porter est propulsée par l'emballage, par le marketing, afin de vendre aux consommateurs un style de vie. L'échange de biens, comme l'a analysé Marx, se mue alors en un échange d'illusions et d'images, ce que Debord appelle la "société du spectacle". Ayant dit cela, rien n'a été dit. Pas plus qu'en définissant le Spectacle comme un usage abusif des médias ou comme la "politique-spectacle" où un Cahuzac jure qu'il n'a jamais eu de compte en Suisse, où Macron dit "Répression, violence policière, ces mots ne sont pas acceptables dans un état de droit." en omettant que ce ne sont pas ces mots mais ces choses qui sont inacceptables. Debord ne réduit pas la notion de Spectacle à l'idée que l'ensemble de ce que nous vivons prend la forme d'une mise en scène. Mais qu'est-ce que le Spectacle? Le Spectacle, chez Debord, pourrait se définir comme tel: La forme contemporaine prise par le capitalisme, ce par quoi il étend son empire sur l'ensemble de l'existence et de la vie quotidienne et ce par quoi il étend sa domination. Le Spectacle est ce qui installe les individus dans une passivité qui est favorable à la perpétuation du système marchand. Mais il n'est pas encore suffisant de dire ça. 1. Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation. La thèse 3 va me permettre d'expliciter un peu plus le Spectacle selon Debord. Le spectacle se présente comme la société même C'est à dire, l'expression du mode de production existant, en ça il est la société même, ce que Marx appellerait notre formation économique et sociale. L'organisation des forces productives déterminant un certain type de relation sociale. comme une partie de la société On peut lire plus loin: "(...) En tant que partie de la société, il est expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience. (...)" À entendre donc, comme le pouvoir, comme tous les individus (mais peut-être faudrait-il ne pas parler d'individus) qui disposent du monopole de la communication et de la diffusion des images, instaurant une communication qui est unilatérale, dans le même rapport finalement qu'un rapport scène-salle classique, où le spectateur n'a pas prise sur la fiction qui se déroule devant lui. et comme instrument d'unification. 3. Le spectacle se présente à la fois comme la société même, comme une partie de la société, et comme instrument d'unification. En tant que partie de la société, il est expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience. Du fait même que ce secteur est séparé, il est le lieu du regard abusé et de la fausse conscience ; et l'unification qu'il accomplit n'est rien d'autre qu'un langage officiel de la séparation généralisée. 42. Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l'occupation totale de la vie sociale. Non seulement le rapport à la marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l'on voit est son monde. La production économique moderne étend sa dictature extensivement et intensivement. (...) 23. (...) Le spectacle est ainsi une activité spécialisée qui parle pour l'ensemble des autres. C'est la représentation diplomatique de la société hiérarchique devant elle-même, où uploads/Litterature/ tfetfetfe 1 .pdf
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- Publié le Nov 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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