THEORIE DU ROMAN ET THEORIE DE LA REVOLUTION DANS LA PENSEE DE SARTRE Cristina

THEORIE DU ROMAN ET THEORIE DE LA REVOLUTION DANS LA PENSEE DE SARTRE Cristina Diniz Mendonga CREMA 1 • RESUME: En redonnant vie au probleme de la transformation des formes tout au long de l'itineraire de la pensee de Sartre - de la "philosophie pure" a la ' 'monographie historique concrete" -, cetle etude essaie de reconstituer quelques moments du processus de gestation de la synthese sartrienne entre Philosophie, Roman et Revolution. La "monographie historique concrete" aurait-elle chez Sartre la fonction de succedane pour la "Philosophie Traditionnelle" et pour Ie "Roman Traditionnel"? Ce qui semble conduire l'itineraire sartrien - de L'etre et 1e neant a L'jdiot de 1a famill e -, c'est la recherche d'une forme philosophique, litteraire et historique qui presuppose, sous-jacente, une Theorie du Roman indissolublement Me a une TMorie de la Revolution, plus precisement, a une theorie de la temporalite revolutionnaire qui recele en elle-meme la marque decisive de l'experience politique de la Guerre, de Occupation et de la Resistance . • UNITERMES: Theorie du Roman; theorie de la Revolution; "Philosophie Traditionnelle"; Resistance; "apocalypse" . Marx disait que les Allemands ont pense ce que les Franr;; ais ont fait, c' est-a.-dire qu'ils ont elabore la tMorie d'une revolution qui a eu lieu de l'autre cate du Rhin. Sartre - Un promeneur dans Paris insurge (titre de sa serie de reportages sur l'Insurrection parisienne d'aout 1944) - n'a guere eu besoin que de franchir la Seine pour elaborer tMoriquement ce que les autres, les Resistants, ont fait dans la pratique politique. Sans avoir besoin de chercher ailleurs, Sartre, a. notre avis, a developpe la tMorie d'un "programme Mroique" qui "s'est realise point par point sous [ses] yeux" , comme il ecrit dans l'un de ses sept reportages publi8s, au fur et a. me sure des evenements, dans Ie journal Combat. Sous les coups de feu des barricades de 1944, une tMorie de la revolution eclat. En nous interrogeant sur la nature de cette theorie forgee a. chaud durant une epoque de "haute temperature historique" (pour utiliser l'expression de Jaures reprise par Sartre), et en essayant de reconstituer Ie processus de sa gestation, il nous a pam 1. Departamento de Filosofia - Faculdade de Filosofia e Ciencias - UNESP - 17500 - Marilia - SP. Trans/Form/Ac;; ao, Sao Paulo, 15: 7-37, 1992 7 qu'elle tend vers une nouvelle forme de narration (pour ainsi dire) a la fois historique, philosophique et litteraire. QueUe forme? * * Si Marx et Engels ont parle de "decomposition de 1'Esprit Absolu" (et desormais il n'est plus possible - si 1'on veut "comprendre la realite humaine dans ce qu'elle a de concret" , comme Ie dit Marcuse dans Culture et Societe - de faire de la "Philosophie TraditionneUe"), T. Adorno parle de "decomposition de la forme romanesque" (puisque les, conditions sociales n'offrent plus les materiaux adequats pour la narration - "on ne peut plus narrer, alors que la forme du roman exige la narration" -, il n'est plus possible de faire du "Roman Traditionnel" , affirme 1'auteur dans Notes sur 1a Litterature, Flammarion, p. 37 et 41). n en resulte un double probleme pour un certain type de reflexion philosophico-litteraire contemporaine. D'une part, quelle serait la nouvelle fayon de conserver ' 'l'unite synthetique" , pour employer une expression recurrente chez Sartre, realisee dans 1'Esprit Absolu hegelien? D'autre part, pour revenir a Adorno, comment ' 'rester fidele" a 1" 'heritage realiste" de la forme narrative ("Ie realisme lui etait immanent") et "suggerer Ie reel", "dire ce qui existe vraiment"? (Notes su 1a Litterature, p. 37 et 39). Ou, pour formuler ce dernier probleme dans les termes sartriens, comment penser un nouveau "realisme" qui, tout en preservant la subjectivite, "montre 1'homme reel au milieu du monde reel"? (Questions de methode, p. 37). On pourrait considerer 1'oeuvre sartrienne comme un moment de ce processus de modification historique de la forme philosophique et litteraire. Le probleme de la forme de survivance de la philosophie et de la litterature a notre epoque fut toujours au centre des preocupations theoriques de Sartre. Deja dans Camers pour une morale, 1'auteur ecrit: " Hegel represente un sommet de la philosophie. A partir de lui, regression. Marx apporte ce qu'il n'avait pas donne entierement [ . . . J. Degenerescence marxiste ensuite. Degenerescence allemande post-hegelienne. Heidegger et Husserl petits philosophes. Philosophie franyaise nulle" (p. 67). Plus tard, reflechissant sur 1'ensemble de son propre travail, Sartre fait une affirmation qui pourrait etonner a premiere vue: "Si, il y a eu deux oeuvres de philosophie pure: L 'Etre et 1e neant et Critique de 1a raison dia1ectique, mais c' est un peu en dehors de ce que j'aime faire" (Entretiens avec Michel Sicard, 1977- 1978, in Essais sur Sartre, Galilee, p. 380). Mais si ce que Sartre "aime faire" , la vraie nature de son oeuvre, ne se trouve pas dans la "philosophie pure", cela ne se trouve pas non plus dans Ie "roman traditionnel" (pour reprende l' expression d' Adorno). En 1970, interroge sur les raisons qui l' auraient conduit a abandonner Ie roman pour ecrire des biographies (Ie roman serait-il devenu "une forme litteraire impossible"?), 1'auteur repond: "n n'y a plus d'univers naturel du roman et il ne peut plus exister qu'un certain type de roman: Ie roman "spontane" , "naif" (Situations, IX, dorenavant Sit., p. 122). Et dans un entretien posterieur, Sartre dit que, meme en etant fort "fascine" par Ie style de Madame Bovary, il sait tres bien que 1'on ne peut plus ecrire comme Flaubert: cette sorte de roman appartient " a un monde qui est un peu passe" (Essais sur Sartre, p. 154). 8 Trans/Form/Ar;:ao, Sao Paulo, 15: 7-37, 1992 Par consequent, ni "philosophie pure" ni "roman traditionnel" (dont 1'expression la plus authentique serait, selon Adorno, justement Ie roman de Flaubert). QueUe en serait alors !'issue? "Pour rna part, je la trouve dans mon travail sur Flaubert, qu'on peut d'aiUeurs considerer camme un roman. Je souhaite meme que les gens disent que c'est un vrai roman" (Sit., IX, p. 123). Quelque temps plus tard, cette idee de "vrai roman" pour designer L 'icliot de la famill e est relativisee: "D'abord il faut en venir a !'idee de roman. J'ai peut-etre exagere un peu quand j'ai elit que c'etait un roman [ . . . J. Ce roman n'est pas en fait un roman" (Essais sur Sartre, p. 148). Dans ce "vrai roman", dans ce roman qui est et qui n'est pas un roman, reside, selon Sartre lui-meme, 1'essentiel de son oeuvre: "Le Saint-Genet et L 'idiot de la famill e me paraissement tout a fait representer ce que j'ai chercM" (Essais sur Sartre, p. 380). Partant de 'Tetude d'un cas concret" (L 'Icliot de la famille, I, dorenavant I.F. , p. 7) pour tenter de reconstituer 1'universalite de toute une epoque historique, ce genre de travail biographique (dont l' aboutissement est l' etude sur Flaubert) represente pour Sartre une maniere de demontrer sa "methode progressive-regressive" : "L'Idiot de la f amill e est la suite de Questions de methode" (I.F. , I, p. 7). Or, il se peut que !'idee conductrice de cette methode sartrienne d'investigation - l'idee de synthese universel singulier - ait ete esquissee (quoique d'une maniere encore tres imprecise) au cours de la reflexion faite par Sartre, a la veille de la guerre, sur Ie roman social americain. Plus que cela, il nous semble que l'Insurrection de 1944 ait eu pour Sartre la valeur d'une preuve - une preuve historique - pour cette idee (envisagee vaguement dans Ie roman americain) de synthese entre Ie singulier et 1'universel. Tout se passe comme si la " fulguration" de l"'Apocalypse de 1944" , pour utiliser l'expression de Sartre, avait realise effectivement un ideal de synthese que l'auteur, jusqu'alors, poursuivait a tatons. Mais peut-etre Ie probleme n'est-il pas tout a fait bien pose. Il faudrait considerer aussi Ie sens inverse: cette synthese que Sartre a vue historiquement realisee en 1944 se trouverait deja obliquement anticipee (comme ideal philosophique et litteraire) dans sa reflexion de la veille (ou meme du debut) de la guerre. Confirmee par la preuve de l'histoire, l'idee sartrienne de synthese universel-singulier peut se developper jusqu'a prendre la forme achevee d'une methode qui vise, par Ie moyen de la biographie historique concrete, a "decouvrir en chaque conjoncture, indissolublement Mes, la singularite de l'universel et l'universalisation du singulier" (Sit., IX, p. 190). La biographie historique concrete, 1e "vrai roman" , comme succedane pour la "Philosophie TraditionneUe" et pour Ie "Roman Traditionnel"? Sartre ne Ie dit nulle part, certes. Mais partout dans son oeuvre on peut surprendre, en filigrane, !'idee de biographie comme une sorte d'ersatz des formes philosophique, litteraire et historigraphique traditionnelles - une tentative pour depasser les impasses de ces formes. En ce sens, on pourrait peut-etre considerer la methode sartrienne d'investigation, Ie "vrai roman", comme la recherche d'une nouvelle forme de narration (s'il est possible d'adapter cette categorie a une situation contemporaine) philosophique, litteraire et historique qui presuppose, sous-jacente, une tMorie du Trans/Form/Acao. Sao Paulo. 15: 7-37, 1992 uploads/Litterature/ theorie-de-l-x27-histoire-sartre-pdf.pdf

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