LA PHRASE « REVISITÉE » Pierre Le Goffic Armand Colin | Le français aujourd'hui
LA PHRASE « REVISITÉE » Pierre Le Goffic Armand Colin | Le français aujourd'hui 2005/1 - n° 148 pages 55 à 64 ISSN 0184-7732 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2005-1-page-55.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Le Goffic Pierre, « La phrase « revisitée » », Le français aujourd'hui, 2005/1 n° 148, p. 55-64. DOI : 10.3917/lfa.148.0055 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. 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Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.217.88.221 - 01/05/2014 03h43. © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.217.88.221 - 01/05/2014 03h43. © Armand Colin I.A PHRASE ( REVISITÉE , Par Pierre LE GOFFIC Université Paris 3 UMR..LATTICE"CNRS/ENS n Après tout, c'est ainsi que nous communiquons, par des phrases, même tronquées, embryonnaires, incomplètes, mais toujours par des phrases ,. É,. Benveniste, Probllmes dz ling.istique gênhalz C'est le tour de la notion de n phrase o, depuis quelques années, d'être re- mise en question, u revisitée o, en particulier par des chercheurs travaillant sur l'oral et/ou dans une perspective textuelle, et qui n'admettent pas la boutade de Benveniste rapportée ci-dessus. I.a phrase peut-elle garder sa position de clé de voute de l'édifice de la linguistique ? Permet-elle une ar- ticulation avec des approches se définissant en termes cognitifs ? Certains cherchent à élaborer des propositions alternatives - mais la tâche est ardue. Curieux trajet, à vrai dire, que celui de la notion de phrase : tard venue dans la réflexion sur le langage (au XVIII'siècle, alors que le mot de phrase désignait jusque-là ce que nous appellerions un groupe ou un syntagme), mais avec un succès firlgurant qui fait d'elle le concept central, indiscutable et indiscuté, de la grammaire (d'une façon implicite ou théorisée, selon les cas), et maintenant tenue en suspicion par certains, parfois même piétinée. On tentera ici de donner une rapide vue d'ensemble des problèmes en question, sans pour autant prétendre à une impossible neutralité de I'examen. ["a phrase n'est sans doute pas près d'être n déboulonnée u de son statut de concept central de la linguistique, mais elle pose de redoutables problèmes pour une approche et une problématisation adéquates. Comment résoudre, ou gérer, cette contradiction fondamentale: d'un côté la phrase est, par définition nécessaire, une structure autonome et complète ; de I'autre, elle doit impérativement se relier aux autres phrases pour tisser les liens d'un texte cohérent ? Ne pouvant abandonner ni l'un ni I'autre bout de la chaine, on doit donc chercher à travailler cette contra- diction, pour mieux la comprendre et la maitriser. Situation inconfortable sans doute, mais inéluctable - et stimulante. Qu'est-ce qu'une phrase ? Une chose en tout c:N est claire : on ne peut pas définir (d'une façon inté- ressante pour la théorie linguistique) la phrase par ses limites, c'est-à-dire Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.217.88.221 - 01/05/2014 03h43. © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.217.88.221 - 01/05/2014 03h43. © Armand Colin Le Français aujourd'hui n" 148, Linguistique et étude de la langue par des marques de début et de fin clairement reconnaissables dans un texte, écrit ou oral - ce qui est assurément foft regremable ! À l'écrit, même si, dans une première approche informelle du texte, nous nous repérons tous en parlant de n phrase D par rapport au point, chacun sait bien que ce qui est situé entre deux points (ou une majuscule et un point) ne correspond pas toujours, loin s'en faut, à une unité syntaxique u phrase ,. Entre Paul a réussi etJean a échoué, on peur insérer sur le papier (en écrivant, ou rrouver, en lisant) une virgule, un point virgule, ou un point (et/ou un marqueur comme et) ; ces signes corres- pondent certes (concurremmenr avec l'intonation) à des mises en rapport différenciées des deux segmenrs, mais y a-t-il pour âutanr un nombre différent de u phrases )), en un sens de ce mor utilisable dans une théorie syntaxique ? La syntaxe est incapable de caractériser les différents produits résultants comme des entités syntaxiques distinctes dotées de strucrures syntaxiques différentes, elle analyse chacun de ces deux segments comme une phrase ; les différences induites par la ponctuation concerneronr la mise en relation de deux phrases (on pourra chercher à y voir la constitu- tion d'une unité d'un autre niveau), et non pas le fait de savoir ce qui est phrase. À I'oral, la recherche de phrases sur la base de marques formelles de début et de fin est encore plus incertaine : la structuration intonative (notam- ment le jeu des montées et des descentes de la voix) est difficile à mettre en correspondance avec des constituants moqphosyntaxiques et, d'une manière générale, elle est plus en rappoft avec la structure communicative ou infor- mative du message qu'avec sa structure syntaxique. On pourra très bien avoir une intonation montante (un intonème continuatifl sur un segmenr initial tel que II pleuuait, en raison de sa valeur thématique, par rapporr à une suite comme j'ai pris mon parapluie (avec intonème conclusif), bien que ce u thème > ne puisse s'analyser au plan syntaxique que comme une phrase complète. Si I'intonation traite de la même façon un u thème o, qu'il soit une phrase, un GN, ou tout autre chose, cerrains vont jusqu'à conclure que la notion syntaxique de phrase est non pertinente pour l'oral - ce qui est peut-être aller un peu vite en besogne. Si on ne peut définir la phrase u par les bords u, il faut chercher à la définir u par le centre >, c'est-à-dire par ses propriét& intrinsèques essentielles. L'histoire peut aider : le terme de phrase a dt sa forrune à ce qu'il réalise un compromis entre la n proposition , de la logique et la u période o de la rhétorique : de la < proposition , des logiciens, il retient I'idée d'une arti- culation cenûale entre un sujet et un prédicat, cimentée par un acte de l'énonciateur (tel que, prototypiquement, une asserrion) ; de la o période , de la rhétorique, le terme retient l'extension au-delà d'une proposition unique, la possibilité d'une ceftaine multiplicité, pour auranr que celle-ci puisse se r6orber dans l'unité d'une strucrure matrice. D'oir la définition (qui concerne aussi bien I'oral que l'écrit) : la phrase est une proposition étendue le cas échéant à tout ce qu'elle englobe (par enchâssement) ou s'annexe (par ajout). Ou encore : la phrase est un fais- ceau de dépendances hiérarchisées, une strucrure syntaxique complète et 56 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.217.88.221 - 01/05/2014 03h43. © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.217.88.221 - 01/05/2014 03h43. © Armand Colin ( La phrass "revisitée" n autonome, autour d'un cenrre de dépendance unique lié à un acre. La phrase est donc, inséparablement, une réalité à la fois syntaxique (prédica- tive) et énonciative. . La phrase comme prêdication: la phrase se consritue d'un (et aurour d'un) prédicat, rapporté à un terme dont la réalisation rype est celle de sujet ; c'est le domaine proprement rectionnel, comporrant des éléments ( essentiels u (et qu'on peut figurer par exemple autour d'un verbe, en termes de valence à la Tesnière) et des éléments u accessoires , intégrés. Comme dit Benveniste : n Les rypes de phrase qu'on pourrait distinguer se ramènent tous à un seul, la proposition prédicative, et il n'y a pas de phrase hors de la prédicatiott , 1i966, n. IZù. . La phrase comme acte d'énonciation; d'autre pan la phrase procède d'un acte du sujet énonciateur (les classiques l'ont bien marqué pour la n proposition n), que cet acte soit une assertion (comme dans la phrase type, celle qui énonce une ( proposition r, c'est-à-dire un o jugement ,), une interrogation, ou une injonction (mais le para- digme est fort restreint). Ainsi abordée, la phrase ne se distingue pas de l'< énoncé , : elle est non seulement une totaliré structurale (smtence en anglais), mais aussi un acte (statetnmt), énoncé unique inséparable de son énonciation. C'est dans I'alliance de la prédication et de l'énonciation que réside le saut qualitatif qui marque la rupture avec les unités inférieures à la phrase, et qui donne à celle-ci son statut spécifique. C'est par là également qu'on peut répondre à la question classique : u l,a phrase appartient-elle à la langue ou au discours ? o. Pour Saussure, on le sait, la phrase appartient à la parole (assimilable au discours), pour une raison simple: la langue est faire d'éléments uploads/Litterature/ pierre-le-goffic-la-phrase-revisitee.pdf
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Licence et utilisation
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- Publié le Apv 08, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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