RÉFLEXIONS SUR L'OUVRAGE DE PAUL RICŒUR : LA MÉMOIRE, L'HISTOIRE, L'OUBLI Charl
RÉFLEXIONS SUR L'OUVRAGE DE PAUL RICŒUR : LA MÉMOIRE, L'HISTOIRE, L'OUBLI Charles Reagan Institut Catholique de Paris | « Transversalités » 2008/2 N° 106 | pages 165 à 176 ISSN 1286-9449 ISBN 9782220060354 DOI 10.3917/trans.106.0165 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-transversalites-2008-2-page-165.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Institut Catholique de Paris. © Institut Catholique de Paris. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Institut Catholique de Paris | Téléchargé le 05/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 212.73.197.227) © Institut Catholique de Paris | Téléchargé le 05/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 212.73.197.227) RÉFLEXIONS SUR L’OUVRAGE DE PAUL RICŒUR: La Mémoire, l’histoire, l’oubli1 Charles REAGAN Professeur à Kansas State University Ce nouveau chef-d’œuvre de Paul Ricoeur est étonnant à plusieurs égards: Paul Ricœur l’a écrit plus de vingt-cinq ans après sa retraite de l’université française et onze ans après son dernier cours à l’Université de Chicago. En plus, cet ouvrage de 660 pages est un formidable tour de force philosophique. Il cite et discute les idées de 213 auteurs. C’est pourquoi il est difficile de savoir par quel biais l’on peut engager la discussion. Bien sûr, il y a une architectonique, un schéma, ou mieux, une structure sous- jacente à l’œuvre. Il s’agit d’une phénoménologie de la mémoire, d’une épistémologie de l’histoire et d’une herméneutique de l’oubli. Le plus fascinant est peut-être que l’ouvrage se termine par un épilogue sur le pardon. Les trois thèmes sont intéressants aussi bien sur le plan de la vie ordinaire que sur un plan philosophique. Tout le monde sait ce qu’est la mémoire. Nous nous souvenons de quelqu’un ou d’un endroit, d’un événement dans notre passé. Aussi sommes-nous familiers avec l’oubli: nous oublions un nom propre ou le restaurant où nous avons dîné il y a des années. Quant à l’histoire, nous l’avons apprise à l’école et maintenant nous aimons lire des récits ou des romans historiques. Mais l’histoire de la philosophie nous apprend qu’il y a des problèmes épistémologiques qui concernent la mémoire. Où est l’image-mémoire quand nous n’y pensons plus? Comment est-ce que je retrouve une image 165 1. Paul RICŒUR, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éditions du Seuil, 2000. Les chiffres entre parenthèses renvoient aux pages de ce livre. © Institut Catholique de Paris | Téléchargé le 05/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 212.73.197.227) © Institut Catholique de Paris | Téléchargé le 05/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 212.73.197.227) du passé? Comment peut-elle être dans le passé et réapparaître dans le présent? Quant à l’oubli, pourquoi certaines images ou certains souvenirs s’évanouissent-ils et pas d’autres? Où vont-ils? D’où surgissent ces souvenirs quand ils sont débloqués par la psychanalyse, par exemple? En ce qui concerne l’histoire, quelles sont les différences entre l’histoire et la fiction, un livre d’histoire et un roman? Comment les historiens établis- sent-ils la vérité de leurs affirmations? L’histoire a-t-elle une vérité « objective », ou y a-t-il plusieurs points de vue sur tout événement? Voilà pourquoi ce livre est séduisant et agaçant à la fois. Tous ceux qui ont étudié l’écriture de Paul Ricœur à travers les années sont familiers avec son style consistant à chercher un juste milieu entre deux pôles qui semblent contradictoires ou, du moins, incompatibles. On pourrait s’imaginer qu’il veut placer l’histoire entre la mémoire et l’oubli comme une synthèse dans une dialectique traditionnelle. Mais sa démarche est beaucoup plus complexe. Dans la première partie, j’essaierai de proposer une explication assez générale du texte. Ensuite, j’en tirerai quelques analyses que je trouve particulièrement intéressantes. Enfin, je me demanderai où est Paul Ricœur dans ce livre et quelles sont sa thèse et sa contribution personnelle au débat sur la mémoire, l’oubli et leurs rôles dans l’épistémologie et l’herméneutique de l’histoire. Ricœur commence son investigation par une phénoménologie de la mémoire, au sens husserlien du terme. Elle se centre sur les questions: de quoi fait-on mémoire et de qui ces mémoires sont. La première question soulève toute la problématique de la « représentation » dans le présent de quelque chose du passé. L’objet de la représentation n’existe plus, mais la représentation est dans le présent. Cette aporie a troublé les philosophes dès l’origine de la philosophie occidentale. Pour Platon, le problème de l’eikon commence avec l’image comme une empreinte dans un morceau de cire. Mais où est cette cire? Comment en retirons-nous l’image? De plus, comment distinguons-nous l’image vraie de l’image fausse ou du phantasma? Voilà l’origine de l’idée de trace, l’une des liaisons capitales entre la mémoire et l’histoire. Ce qui manque dans ces réflexions, c’est une analyse approfondie du rapport entre l’image et la temporalité. En affirmant que « la mémoire est du passé », Aristote attire l’attention sur l’aspect temporel des phénomènes mémoriels. Ce n’est pas simplement que les images-souvenirs se rapportent à des personnes et des choses et des lieux dans le passé, mais ces images-souvenirs ont un avant et un après 166 VARIA © Institut Catholique de Paris | Téléchargé le 05/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 212.73.197.227) © Institut Catholique de Paris | Téléchargé le 05/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 212.73.197.227) dans leur ordre. Aristote ajoutait à la discussion sur la distinction entre mnémê et anamnèsis, celle entre le souvenir qui surgit à l’improviste et l’effort de se souvenir. Malheureusement, ni Platon ni Aristote n’ont su résoudre les apories de la mémoire. Ricœur continue sa phénoménologie de la mémoire en nous mettant en garde contre la tentation de commencer l’étude phénoménologique avec les faillites, les disfonctionnements ou les ratés de la mémoire. Les pathologies de la mémoire et le phénomène de l’oubli supposent une description préalable de la mémoire. En effet, « Ce qui justifie en dernier ressort ce parti pris pour la “bonne” mémoire, c’est la conviction […] selon laquelle nous n’avons pas d’autre ressource, concernant la référence au passé, que la mémoire elle-même » (26). En dernière instance, c’est le témoignage qui justifie la vraie mémoire face à la fausse mémoire. Le témoignage est la transition fondamentale entre la mémoire et l’histoire. À la fin de sa longue et laborieuse analyse de la mémoire, Ricœur aborde une nouvelle fois la question de la véracité de nos souvenirs et la distinction entre une image et un souvenir. « Appelons fidélité cette requête de vérité. Nous parlerons désormais de la vérité-fidélité du souvenir pour dire cette requête, cette revendication, ce claim, qui constitue la dimension épistémique-véritative de l’orthos logos de la mémoire » (66). Avant de traiter les abus de la mémoire, Ricœur considère les formes de la mémoire réussie, par exemple, la mémorisation d’un poème ou des règles de grammaire d’une langue étrangère ou même la technique de la mémorisation (ars memoriae). Comme abus de la mémoire, il en décrit trois: la mémoire empêchée, la mémoire manipulée et la mémoire abusi- vement commandée. La mémoire empêchée nous rappelle toutes les formes d’une mémoire blessée ou malade. C’est à travers la perlaboration psychanalytique qu’on peut restaurer les mémoires perdues ou bloquées. Parce que la mémoire collective souffre des mêmes maladies, des problèmes semblables se posent au niveau social. Ricœur dit: « Plus précisément, ce qui dans l’expérience historique, fait figure de paradoxe, à savoir trop de mémoire ici, pas assez de mémoire là, se laisse réinterpréter sous les catégories de la résistance, de la compulsion de répétition et finalement se trouve soumis à l’épreuve du difficile travail de remémora- tion » (96). La transition de la mémoire individuelle à la mémoire collec- tive est l’une des liaisons entre la mémoire et l’histoire. Si l’histoire est une 167 RÉFLEXIONS SUR L’OUVRAGE DE PAUL RICŒUR: LA MÉMOIRE, L’HISTOIRE, L’OUBLI © Institut Catholique de Paris | Téléchargé le 05/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 212.73.197.227) © Institut Catholique de Paris | Téléchargé le 05/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 212.73.197.227) forme de la mémoire collective, elle est sujette aux mêmes abus que la mémoire individuelle. Une deuxième forme de l’abus de la mémoire est la mémoire manipulée. Ici, Ricœur parle de l’idéologie comme espèce de mémoire manipulée. L’idéologie est, avant tout, un effort de légitimation d’un gouvernement ou d’un pouvoir, fondé sur un événement originel, des documents fondateurs et des « mémoires » communes. C’est à travers les narrations que l’identité d’un pays, d’un peuple, ou d’un individu se construit. Pour Ricœur, « c’est plus précisément la fonction sélective du récit qui offre à la manipulation l’occasion et les moyens d’une stratégie rusée qui consiste d’emblée en une stratégie de l’oubli autant que de la remémoration » (103). La troisième forme de l’abus est la mémoire commandée. C’est ce qui se passe quand uploads/Litterature/ trans-106-0165.pdf
Documents similaires
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/BOex41j2XadisYNUCIdAExmJyU5vOzCONrdpXnv42sY6L8DSnvKwgoTZ4V3jBEdZAiPPKsRcRKA9n1SlZf1oCEd7.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/1cNorrq8EoIHG3rv3UOfBvWLy7Tp7kHgCQs2aBmhy293VwmkWqrAMYf2ABkjfWJOtxCagbk1zrSpC4MQDE4rHBZI.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/91W8jTzUyvUV5tiEMKRPD11anFKYpMzYWUoiP6fu7lLmSeipDZqgd2DpeGBeqaOs0R7v2pXlEkY6mYutE1o6w6EW.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/XwwtLLp00DNSYh3knZYKEWDtaT0XcQPCCj0Wx58BR50LA7Q1RwoErklLk4cvWvY7s7WlPwSp7v5qNoJKPVQWjd27.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/WRpGq1620IRmso9BzntAEhVWTPOYKvF8iJRWxphIZX7gVXZln0y5bfsmlTWU4BrRJ8e19yH2rvWPAqeIDLQJr4uL.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/UzDh3qM7hXSAv7yKsABsnpEbaKngYKP84v7NyBx868vKZBekHYPhcxGfeUpNzjauBEEW7qR2XasD98gcc7pxbOls.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/aDgsvkCdEm3pHLZLSPYj9YQqbsPQb9C1BuNPXHPrE9ZdcocI2YUfSTupqcBsk2e3JfLuezeogR2085lTvrqRTySa.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/5QglTdu4wrqCmXxU9tS79knI2w2Yhtcx5jdp8rLLLiyXptp5YIyVfMMNrxtOjcfnKIDzS0ECYdmeDV6Qjo7FZgS9.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/YOqFkbJAGociHvlGKo55lAZ1u4Sl8qHQ741j9N591uBVxLOBpBgBdkZXduzXpG8dv4c46evR5ZmSu6XGPq7hSJx4.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/xeUDqXpKhX0iHXhZQrG6DKqv5X8Z56MPTMzPcuI8L4ojAte8AWp2JPzV2Y8ezhDJLUsgnBxjQL8dgvKiyOujUTyF.png)
-
24
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 22, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3191MB